Après l'éco-anxiété, le climate doomism est un autre effet du changement climatique sur le moral.
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Essoufflement vert : qui sont les "climate doomers" ?

Ce sont les nouvelles stars des réseaux sociaux : les climate doomers. Ils sont jeunes, conscients de la crise climatique qui touche le monde, mais décident de ne pas agir pour l’arrêter. Qu’est-ce qui motive un tel paradoxe ? C’est ce qu’ID a cherché à comprendre. 

Incendies, inondations, sécheresses… Les récits de catastrophes naturelles sont devenus monnaie courante dans le paysage médiatique actuel. De fait, la notion de changement climatique qui y est associée occupe une place de plus en plus importante dans notre quotidien. Elle suscite majoritairement de la peur, à l’idée de voir la planète être détruite.

Dans une étude parue en septembre 2020, un groupe de chercheurs s’est intéressé à la manière (positive ou négative) dont les discours sur le dérèglement climatique peuvent être présentés par l’émetteur pour influencer l’opinion. Ils en concluent que la peur est un "facteur de motivation utile" qui peut amener à un "meilleur engagement" de la population. 

Mais, dans toute crise, il y a ceux qui agissent et ceux qui restent statiques. La crise climatique n’échappe pas à ce dicton. La peur, mêlée à certains discours fatalistes et aux actualités démoralisantes, provoque dès lors chez certaines personnes un sentiment que l’on appelle le climate doomism.

Ce terme est un néologisme créé à partir des mots anglais "climate" (climat) et "doom", que l’on peut traduire littéralement par "destin tragique" ou "ruine".

Ce concept, récemment popularisé sur les réseaux sociaux, renvoie à un sentiment d’impuissance face aux conséquences du changement climatique sur l’environnement et la société. Certains, comme l’influenceur aux 275 000 abonnés sur TikTok Charles McBryde, dénoncent le manque d’action des gouvernements. Il affirme d’ailleurs sur son compte : "Depuis environ 2019, je pense que nous ne pouvons rien faire pour inverser le changement climatique à l’échelle mondiale".  

Le climate doomism se divise en deux comportements en apparence semblables, mais tout de même distincts. Il rassemble à la fois des personnes désespérées qui ne voient plus de solutions et des individus ayant le sentiment d’avoir totalement perdu le contrôle face à l’urgence climatique. 

La Fondation Jean Jaurès parle quant à elle d’un "essoufflement vert", en incluant des personnes ayant "baissé les bras" face à ce qu’ils considèrent être un défi "insurmontable".

Un phénomène tout de même minoritaire

Souvent associé à l’éco-anxiété, le climate doomism ne fait pas l’objet d’études spécifiques. Cela complique donc l’évaluation de ce phénomène, dont les acteurs sont dilués parmi les éco-anxieux encore porteurs d’espoir. 

Dans une enquête de 2021, les organismes de sondage Ipsos et Futerra montrent que 20 % des personnes de moins de 35 ans (19 520 adultes interrogés dans 27 pays) estiment qu’"il est déjà trop tard pour résoudre le changement climatique", témoignant ainsi d’un fort fatalisme parmi les plus jeunes. 

De manière générale, 58 % des personnes interrogées se disent "optimistes" quant à la possibilité de mettre fin à la crise climatique, tandis que 31 % adoptent une vision pessimiste ou fataliste.

Comment reconnaitre les discours doomistes ?

Cette proportion de climate doomers chez les jeunes est liée à leur forte présence sur les réseaux sociaux, là où les discours fatalistes et négatifs pullulent

Dans une autre étude, l'université de Cambridge a identifié deux formes de discours qui peuvent entrainer un sentiment de climate doomism

D’une part, il y a celui du "tout changement est impossible", comme l'ont renommé les chercheurs. Ils "fétichisent l’état actuel des choses et nient la capacité des sociétés à organiser de grandes transformations socio-économiques", expliquent ces derniers. C’est l’idée selon laquelle les politiques et technologies mises en place pour lutter contre le dérèglement climatique transformeraient tellement l’humanité qu’elles ne sont pas efficaces. Agir en faveur de l’environnement serait donc, selon les adeptes de ce courant de pensée, une cause perdue. Ils peuvent également nourrir des discours contre les transformations ou pour des interventions minimales.

D’autre part, il existe aussi les partisans du "c’est déjà trop tard". Cette vision du monde "sous-entend que l'atténuation est vaine et suggère que la seule réponse possible est l’adaptation", précise William F. Lamb, coordinateur de l'étude. Le romancier américain Jonathan Franzen s’inscrit dans cette catégorie lorsqu’en 2019, il écrit dans les colonnes du magazine The New Yorker : "L’apocalypse climatique arrive. Pour s’y préparer, nous devons admettre que nous ne pouvons pas l'empêcher."

Ces deux courants de pensée "ne favorisent pas le travail difficile de construction d'un engagement climatique et de réflexion sur des solutions efficaces", déplore William F. Lamb. En effet, par résignation, les climate doomers se tournent vers l’inaction.

Dans une certaine mesure, les climate doomers et les climatosceptiques se ressemblent de plus en plus, avec un mode d'action commun : l'inertie. Pour reprendre les mots de l'artiste Jenny Odell dans son ouvrage How to Do Nothing: Resisting the Attention Economy (2019), même en matière de climat, "le refus de participer est en soi une forme de participation".