Canicules, inondations, tempêtes… Le dérèglement climatique influe de plus en plus sur notre quotidien, et cela depuis plusieurs décennies. Mais saviez-vous qu’il peut nous affecter moralement ? C’est en ce sens que l’on parle d’éco-anxiété.
Cette notion a été inventée et théorisée à partir de 1997 par la chercheuse en santé publique belgo-canadienne Véronique Lapaige. Ces dernières années, alors que les enjeux environnementaux ont occupé une place croissante dans les médias, l’éco-anxiété s’est imposée sur le devant de la scène. Les Nations unies (ONU) la considèrent même comme le nouveau "mal du siècle".
Un mal-être, pas une maladie
Dans une étude de 2025, l’Agence pour la transition écologique (ADEME) la définit comme "une détresse psychologique découlant des inquiétudes liées à la crise environnementale".
Véronique Lapaige soutient que l’éco-anxiété ne relève pas "du registre de la santé mentale" ou "du pathologique" et que cela "n’a rien d’une maladie". Pour elle, cela ne nécessite donc pas de suivi psychologique par un professionnel. C’est avant tout "un mal-être, une responsabilisation nécessaire qui est expérimentée, qui va conduire à un engagement responsable en termes de pensée, de parole et d’action", développe la chercheuse dans ses travaux.
Il est vrai que l’éco-anxiété ne figure dans aucun annuaire des maladies mentales comme le DSM-5, le registre états-unien ou les registres internationaux gérés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le CIM-10 et le CIM-11.
Pour autant, ces symptômes sont bien concrets et peuvent fortement perturber la vie des personnes qui les subissent. "Les formes les plus aiguës d’éco-anxiété se manifestent par des ruminations permanentes quant à la crise environnementale et à ses conséquences existentielles, des symptômes affectifs intenses, tels que l’inquiétude, la peur et l’anxiété, le sentiment de ne pas en faire suffisamment pour la planète et, pour les cas les plus extrêmes, un isolement social, une difficulté à dormir et à vivre sereinement", constate l’ADEME.
"Même si 75 % de la population française n’est pas, très peu ou peu éco-anxieuse, 15 % des Français, moyennement éco-anxieux, commencent à ressentir des symptômes qu’il convient de ne pas laisser s’aggraver", ajoute l’organisation. Elle recommande alors un suivi psychologique le plus tôt possible, "avant que les symptômes ne s’aggravent".
Un stress par anticipation
Dans son dernier rapport, datant de juillet 2025, l’Institut Montaigne affirme que la cause de ce mal-être est le résultat d’une "rupture entre la terre habitée et celle perçue comme ayant été une terre plus saine et moins touchée par l’Homme".
Alice Desbiolles, médecin en santé publique et auteur de L’Éco-anxiété, considère ce mal comme la "perception d’un avenir compromis, d’un monde en péril". C’est donc toujours une protection face aux enjeux climatiques.
La psychiatre américaine Lise Van Susteren va même jusqu’à parler d’un "stress prétraumatique". À la différence du stress post-traumatique qui se manifeste après la réalisation de l’évènement responsable du stress, le "stress prétraumatique" agit avant l’évènement. Les incendies n’ont pas encore ravagé son logement, les inondations n’ont pas emporté ses effets personnels, mais ces épisodes extrêmes causés par le dérèglement climatique sont une source de stress pour l’éco-anxieux. De plus, ces évènements sont souvent médiatisés, ce qui peut alimenter l'éco-anxiété.
Cela explique d’ailleurs que l’éco-anxiété soit souvent associée au concept de solastalgie qui renvoie à la peur provoquée par la disparition immédiate de son environnement et de son habitat.
Selon Charline Schmerber, psychothérapeute, "les personnes éco-anxieuses sont les personnes saines d’un monde qui s’ignore fou".
Même "si l’éco-anxiété n’est pas en soi une maladie, elle peut rendre malade", rappelle l’ADEME. 5 % de la population française sont jugés comme étant "fortement éco-anxieuse", tandis que 5 % des Français, soit 2,1 millions, sont "très fortement éco-anxieux", selon les calculs de l’agence.
Qui sont les éco-anxieux ?
Dans les faits, il n’y a pas de profil type de la personne éco-anxieuse. Cependant, l’ADEME, en partenariat avec l’Observatoire de l’éco-anxiété, a fait ressortir des tendances similaires dans les cas d’éco-anxiété étudiés.
En effet, les personnes âgées entre 25 et 34 ans sont les plus éco-anxieuses. Ils sont suivis par les 15-24 ans et les 50-64 ans. On note toutefois que les retraités sont la catégorie de population la moins éco-anxieuse. Les personnes détentrices d’un niveau bac+3 sont les plus éco-anxieuses, tandis que les "sans-diplômes" le sont le moins. La proportion de femmes est légèrement plus élevée. L’ADEME remarque également qu’habiter une grande agglomération et, en particulier, la région parisienne accroît cette détresse.
"L’éco-anxiété est un enjeu de santé publique qu’il convient de prendre en charge pour en faire une force positive d’adaptation aux situations environnementales à venir", estime Pierre-Éric Sutter, psychologue-psychothérapeute expert en éco-anxiété.
Cette dernière étant intrinsèquement liée à la situation environnementale, elle-même en pleine dégradation, Alice Desbiolles et Charline Schmerber soutiennent que "le phénomène s’amplifiera dans les prochaines années".
Dans son rapport, l’Institut Montaigne appelle toutefois à la modération pour éviter de tomber dans les extrêmes tels que l’écoluddisme, mouvement qui rejette la technologie et l’industrie qu’il perçoit comme nocives pour l’environnement. "Face aux risques climatiques croissants, des voix pourront appeler à un interventionnisme étatique bien plus fort pour imposer des mesures coercitives, afin de limiter l’impact humain sur la planète", prévient l’Institut.