En apparence, cette vaste étendue de 56 hectares dont 16 de tourbières, située au coeur des monts du Forez en Auvergne, semble en pleine santé, avec sa végétation bien verte parsemée d'arbres florissants à côté d'une forêt d'épicéas.
Mais le diable se cache parfois dans les détails: ici, il prend la forme d'une petite touffe herbeuse dressée vers le ciel.
"Vous voyez ces molinies bleues, c'est une plante qui ne vit pas vraiment dans les tourbières, elles se développent quand on n'est pas en saturation (d'eau) en permanence", explique Caroline Folliet, directrice Sud-Est de CDC Biodiversité, l'organisme chapeauté par la Caisse des dépôts qui vient de racheter le site pour lui rendre ses fonctions écologiques.
"Ici on devrait avoir un sol composé essentiellement de sphaignes", petites mousses de couleur verte très claire à jaune, "de linaigrettes ou de carex", explique la responsable. Ces espèces sont présentes mais de manière trop clairsemées.
Puits de carbone
L'eau est essentielle aux tourbières: elle préserve la matière organique et ralentit sa décomposition, permettant de mieux piéger et stocker le carbone.
Les tourbières ont un "effet colossal" pour ralentir le réchauffement climatique, "c'est l'un des puits de carbone les plus efficaces", souligne Mme Folliet.
Alors qu'elles ne représentent que 3% à 4% des terres émergées de la planète, "elles contiennent jusqu'à un tiers du carbone du sol mondial", soit "le double de la quantité" de toutes les forêts, selon un rapport de Global Peatland Initiative.
En France, elles en stockeraient environ 111 millions de tonnes.
Elles participent également à limiter les inondations, à purifier l'eau et constituent des réservoirs de biodiversité souvent uniques (amphibiens, reptiles, papillons).
Mais à la Tuile, peu d'espèces subsistent en raison de l'exploitation sylvicole.
Cette tourbière de plus de 10.000 ans est alimentée principalement par les eaux souterraines et le ruissellement.
Mais des fossés drainants favorisant la pousse des arbres ont été mis en place sur près de 2,5 kilomètres. Résultat: la nappe a été abaissée et l'alimentation en eau réduite, provoquant en partie son assèchement.
"La première étape va donc être de limiter l'effet drainant des fossés" en installant des "petits barrages en bois régulièrement pour retenir l'eau et petit à petit faire remonter la nappe", explique Mme Folliet. Des arbres vont également être coupés pour réouvrir le milieu.
Bombe à retardement
Les tourbières en général sont aussi menacées par l'érosion à cause du surpâturage, l'exploitation pour les combustibles et l'horticulture, ainsi que la pollution, quant elles ne sont pas asséchées pour construire ou carrément brûlées. Le changement climatique, qui exarcèbe les sécheresses, contribue également à leur détérioration.
En France, la superficie des tourbières, supérieure à 200.000 hectares vers 1945, a été réduite de moitié en cinquante ans et 89% sont dégradées. Dans le monde, on estime qu'entre 50% et 75% des tourbières et des autres zones humides ont été détruites ou fortement dégradées depuis environ 200 ans.
Chaque année, ce sont 500.000 hectares qui sont détruits, souligne l'Atlas mondial des tourbières, important rapport produit en novembre par l'ONU.
Un programme européen fixe pour objectif de restaurer 70 % des tourbières à l'horizon 2050.
Car une tourbière en péril, au lieu d'être un allié climatique, peut devenir une véritable bombe à retardement.
"Les tourbières dégradées émettent environ 2.000 millions de tonnes" d'équivalent en CO2 "par oxydation microbienne", soit 4% des émissions carbone de l'humanité, hors incendies, selon International Peatland Society. L'ONU estime que cela pourrait représenter jusqu'à 10% des émissions annuelles mondiales.
A la Tuile, les chiffres sont plus modestes: la tourbière stocke "en moyenne entre 10 et 30 tonnes par hectare et par an", et en cas de drainage trop important, "elle relarguerait autour de 0,3 à 0,5 tonne par hectare". Si ça continue, "ça perd tout son intérêt", avertit Mme Folliet.
Avec AFP.