Des stades flottants biomimétiques, une forêt verticale carbo-absorbante, un "gratte-océan" pour habiter la mer...voici quelques exemples de projets futuristes dévoilés dans le livre Villes 2050 – 10 actions d’architectures climatiques pour un futur désirable.
Co-écrit par l’architecte Vincent Callebaut et le journaliste Arnaud Pagès, cet ouvrage manifeste, publié le 31 octobre dernier aux éditions Eyrolles, donne à voir le travail entrepris par l’agence Vincent Callebaut Architectures à travers une trentaine de leurs réalisations - livrées, en chantier ou en cours d’étude.
Une plongée dans un univers qui flirte parfois avec la science-fiction, mais qui promet de "réconcilier la construction et le vivant, la technologie et l’environnement, l’individu et le climat". Entretien avec les auteurs.
A travers votre livre, quelle vision de la ville du futur souhaitez-vous proposer ?
Vincent Callebaut : A une époque où nous sommes déchirés par les guerres, où les partis politiques sont de plus en plus polarisés vers les extrêmes et où les crises sanitaires se succèdent aux crises économiques, je milite pour le mouvement Solarpunk. Autrement dit, je défends une vision heureuse et optimiste de l’écologie où le biomimétisme, le numérique, l’économie circulaire régénérative et les énergies renouvelables se conjuguent pour construire un avenir meilleur pour tous.
Il s'agit d’un contre-pied à l’écologie "punitive" et au mouvement Cyberpunk que l’on a connu durant les années 80, et qui prônait une vision sombre et dystopique du monde - véhiculée notamment à travers des films comme Star Wars, Matrix ou encore Blade Runner.
Arnaud Pagès : Cette approche biomimétique est révolutionnaire. Elle réinvente les techniques de construction en se rapprochant de la nature et en s’appuyant sur les nouvelles technologies. Elle ouvre ainsi un nouveau chapitre de l’architecture, avec des bâtiments réadaptés à l’environnement qui sont capables de re-régler le climat.
Parmi les 35 projets présentés, lequel illustre le mieux cette approche d’après vous ?
Vincent Callebaut : Je dirais le projet Jardins Secrets, actuellement en chantier à Montpellier, que mon agence va livrer courant 2025. C’est l’un des plus "simples" du livre mais c’est aussi celui qui résume le mieux notre vision globale, à savoir l’utilisation de matériaux biosourcés et bas-carbone, l’intégration de la ventilation naturelle et de toitures solaires, la rétention des eaux pluviales et le recyclage des eaux grises, le recours à la végétalisation pour offrir tous les avantages d’une maison à la campagne avec jardin mais en plein centre-ville, au plus proche des services dans des écoquartiers dédiés à la mobilité douce - piétonne et cyclable. C’est un projet auquel tout le monde peut s’identifier et où tout le monde pourrait habiter.
Arnaud Pagès : De mon côté, je choisirais Lilypad – une ville flottante conçue pour accueillir 10 000 réfugiés climatiques. Ce projet anticipe le problème majeur qu’est la montée des eaux océaniques. Un problème dont on n’a pas encore pleinement pris la mesure, et auquel il est pourtant urgent d’apporter des solutions. On ne peut pas parler de transition écologique sans parler de solidarité humaine.
Tous ces projets sont-ils réalistes et réalisables ?
Arnaud Pagès : Tous les projets présentés dans le livre sont réalisables ou réalisés. Ce n'est pas de la science-fiction. Tout cela est très concret.
Vincent Callebaut : Edifiée à Taipei (Taiwan), la tour bioclimatique de 22 étages, Tao Zhu Yin Yuan, est par exemple certifiée LEED Platinum, la plus haute et exigeante certification environnementale au monde dans le milieu de la construction écologique. Cela signifie que nos ingénieurs et des scientifiques ont calculé toute l’analyse du cycle de vie du bâtiment, notamment la quantité de CO2 utilisée pour les matériaux de construction et le nombre d’émissions rejetées pendant l’exploitation...
Cette tour résidentielle anti-sismique est construite sans béton, elle intègre une immense cheminée à vents, des canopées solaires et des éoliennes en rooftop. Elle économise ainsi 50 % de CO2 intrinsèque et réduit de 70 % sa consommation énergétique. De plus, les 23 000 plantes, arbustes et arbres absorbent 135 tonnes de CO2 par an dans l’atmosphère tout en créant un véritable ilot de fraicheur urbain grâce à l’évapotranspiration végétale.
Plusieurs de vos constructions sont gigantesques. Ce parti pris est-il conciliable avec l’idée de sobriété prônée aujourd’hui dans l’architecture durable ?
Vincent Callebaut : Il est vrai que l’écologie dans l’habitat est souvent liée à des très petites surfaces. Dans les librairies, on retrouve par exemple beaucoup de livres dédiés aux tiny houses. Mais en tant qu’architecte, j’ai toujours lutté contre l’habitat individuel qui a notamment rendu toute une génération addict au tout automobile.
Dans ce livre, on montre qu’il est possible de construire une écologie pour tous à travers des logements non pas individuels mais collectifs, qui sont beaucoup plus sobres en carbone, en énergie, en électricité, en réseau de chaleur que n’importe quel habitat individuel aussi petit soit-il. C’est une réponse forte au mieux vivre ensemble solidaire et inclusif, à l’étalement urbain énergivore et à la lutte contre l’artificialisation des sols qui nous rend vulnérables. La sobriété foncière est notre maitre-mot.
Arnaud Pagès : Ces projets montrent également qu’il est possible et souhaitable de basculer vers l’économie circulaire, en privilégiant le réemploi et le recyclage des matériaux et des ressources.
Vincent Callebaut : Cela passe aussi par la réhabilitation du patrimoine, à travers l’hybridation des approches low-tech et high-tech - ce qui ne va pas encore de soi. En France, dans le milieu de l’architecture - on polarise tout un peu comme en politique, soit on adore le low-tech, soit on adore le high-tech. Or, aujourd’hui, si on veut que la lutte contre le changement climatique touche efficacement le plus grand nombre, il faudrait plutôt concilier les meilleurs ennemis plutôt que de stérilement les opposer.
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A travers ce livre, vous souhaitez inspirer plus particulièrement les jeunes générations. Pourquoi ?
Vincent Callebaut : Les jeunes sont aujourd’hui pris en étau entre les discours des climatosceptiques – qui refusent de voir le dérèglement climatique, et ceux des collapsologues – qui croient en un possible effondrement de notre civilisation. Bien au-delà de ces deux mouvements, celui du déni et de l’effondrement, nous voulons montrer qu’une voie plus optimiste est possible. En combinant à la fois l’intelligence de l’humanité, celles de la nature et des nouvelles technologies comme l’IA, nous voulons crier haut et fort que nous pouvons lutter contre le dérèglement climatique.
Arnaud Pagès : C’est un livre qui montre que les transformations sont possibles, que l’avenir n’est pas encore écrit et que l’écologie peut être désirable. C’est un manifeste éco-optimiste qui a pour but d’apporter de l’espoir car on ne gagne pas une bataille avec du défaitisme et du découragement. C’est pour cette raison que ce livre a notamment pour vocation d’inspirer les jeunes générations car ce sont elles qui sont en première ligne pour transformer le monde.