Nichée dans une ancienne crèche, à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), l’appartement, imaginé par l’ingénieur navigateur Corentin de Chatelperron et l’éco-designeuse Caroline Pultz – tous deux membres de l’association low-tech lab, dénote par rapport aux habituels intérieurs citadins.
Dans ce cocon de 26 m2, isolé thermiquement grâce à des blocs de chanvre et de laine qui ont été emballés dans du tissu en coton blanc, des pleurotes comestibles poussent dans une douche brumisante, des larves de mouches soldats noires transforment les biodéchets des toilettes sèches en compost nutritif et...des grillons, destinés à être mangé, se développent dans des bacs transparents, disposés entre l’entrée et le salon.
Un écosystème vivant et low-tech
Des colocataires discrets mais pas muets. Leur chant bien caractéristique enveloppe le studio et lui confère une ambiance zen et nature – perceptible également à travers le design minimaliste du mobilier. Ici, tout est simple, épuré et conçu à partir de matériaux bruts et biosourcés : du bois mais aussi du mycélium, issu des champignons.
"Quand on récolte les pleurotes pour les manger, on réutilise le substrat pour fabriquer des objets. On l’a par exemple récupéré pour l'un des luminaires de l’appartement", lance Caroline Pultz qui occupe le lieu depuis plus de trois mois aux côtés de Corentin de Chatelperron, pionnier du mouvement low-tech en France.
Installé dans cet espace éphémère jusqu’au 15 novembre prochain, le couple souhaite démontrer qu’il est possible, et même "désirable", de reconnecter avec le vivant et d'appliquer une démarche low-tech en ville à horizon 2040. Autrement dit, d’avoir recours à des technologies simples, et accessibles à tous et toutes, pour répondre à des besoins essentiels du quotidien : produire de l’énergie, se nourrir ou encore recycler ses déchets.
"On voudrait montrer que ce mode de vie est compatible avec une vie citadine lambda qui allie un métier, des sorties le soir, une famille etc...L’idée, c’est que cet habitat écosystème prenne le moins de temps possible en maintenance", développe Caroline Pultz avant de préciser : "Aujourd’hui, on est à 6 minutes par jour et par personne."
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"Respecter les limites planétaires"
Pour cette expérience, les deux colocataires se sont inspirés des résultats obtenus lors d’une expérimentation commune, en milieu aride, dans le désert mexicain. Intitulée "Biosphère, capsule en milieu aride", celle-ci a été réalisée en 2023 dans un habitat de 60 m2 où ont été testés la culture de champignons, de plantes, d’algues, ou encore des systèmes alimentés à l'énergie solaire. Objectif affiché : générer des ressources plutôt que des déchets.
Même défi pour cette déclinaison en milieu urbain. "Le but de ce projet est de montrer que l'on peut vivre bien en ville tout en respectant les limites planétaires. Un de nos objectifs phare, c'est d'atteindre les seuils fixés par l'ONU pour 2050 en termes d'émissions de gaz à effet de serre et d'arriver aux 2 tonnes de CO2 équivalent par an et par personne grâce à tous les dispositifs low-tech que l’on expérimente. Pour le moment, on y arrive. On est même en-deçà, aux alentours de 1,5 tonnes", souligne Caroline Pultz.
Bien en amont, chaque poste de dépense énergétique a été soigneusement étudié. Pour diviser par dix la consommation d’eau, le duo utilise ainsi une douche brumisante, comme celle de la Nasa, ce qui lui a permis de passer de 60 litres à 5 litres par lavage.
Après la douche, l’eau est collectée, traitée par des bactéries et utilisée ensuite pour faire pousser des plantes comestibles, cultivés hors-sol dans un bassin de 300 litres d’eau fonctionnant en circuit fermé. Ce système de bioponie a été installé dans la cuisine, près des fenêtres.
Une aventure humaine et sociale
Côté électricité, le réseau est alimenté par des panneaux solaires placés sur le toit. Ils permettent de faire fonctionner les équipements de la cuisine, comme une cocotte solaire dont le système de cuisson a été imaginé avec les étudiants ingénieurs de l’Icam, à Nantes.
Pour se nourrir, les deux locataires ne concoctent que des menus végétariens, agrémentés d’oeufs ou de grillons. Un régime encadré et validé par un nutritionniste, qui a analysé au préalable les besoins nutritionnels de chacun.
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Pour s’approvisionner, les explorateurs low-tech peuvent s'appuyer sur un réseau d'acteurs locaux. "Toutes ces expériences génèrent des interactions avec des voisins et des voisines. On va voir par exemple Thomas qui s’occupe de l’élevage des larves de mouches soldats noires, Sandra qui est chargée d’incuber les bébés grillons ou encore Julien qui fait les boutures pour le système de bioponie", énumère Caroline Pultz.
Une aventure humaine et sociale qui prend vie aussi à travers un programme de sciences participatives. Initié depuis septembre en parallèle, il vise à faire tester des systèmes et des pratiques low-tech à des citoyens et citoyennes partout en France et à l’étranger.
Lors de ces missions, dont la durée varie d'une semaine à deux mois, des données techniques, sociologiques, ergonomiques ou encore psychologiques, sur la mise en place et l’usage de ces dispositifs sont collectées puis analysées.
Les résultats de ces observations seront partagés prochainement en open source via un rapport technique. Afin d’inspirer encore davantage, une websérie documentaire retraçant l’expérience sera également diffusée sur ARTE d’ici la fin de l’année. Tout un programme.