C’est un phénomène inéluctable, et une fois de plus imputable au changement climatique. Selon les dernières estimations du Giec (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), le niveau moyen de l’océan augmentera d’au moins 30 cm d’ici 2100, et jusqu'à 1 mètre si les émissions de gaz à effet de serre continuent de croître. En cause : la hausse des températures sur Terre qui entraîne la fonte des glaciers mais aussi un réchauffement des océans et des mers, et donc une augmentation du volume d’eau. "Une eau plus chaude va se dilater et prendre plus de place. C’est ce que l’on appelle la dilatation thermique", note Théophile Bongarts Lebbe, responsable de l’initiative Sea’ties, un projet mené par la Plateforme Océan et Climat qui vise à "faciliter l’élaboration de politiques publiques et la mise en œuvre de solutions d’adaptation pour les villes côtières exposées à l’élévation du niveau de la mer."
Aux quatre coins du monde, cette montée des eaux transforme le visage des littoraux. Les plages s’amenuisent et les falaises s’effritent. En Europe, la France est l’un des pays les plus touchés par cette érosion côtière. Alors que 20 % du trait de côte naturel (limite terre-mer) est en recul, les plages françaises ont perdu 30 km carrés de surface ces cinquante dernières années, selon l’Institut national de l’information géographique et forestière. Au-delà de grignoter les côtes, l’élévation du niveau de la mer risque à terme d’intensifier les tempêtes et accélérer les vagues de submersion marine. Comment dès lors les zones côtières s’organisent-elles pour affronter ces différents risques ?
Vers un changement de paradigme
Pendant longtemps, la construction d’ouvrages de protection, comme les digues, a longtemps été l'option privilégiée par les collectivités. Mais face à la montée des eaux, ces solutions dites "dures" présentent aujourd’hui plusieurs limites.
Maintenant que la mer monte, on se rend compte que les digues coûtent chères à entretenir. Or, si elles ne sont pas entretenues, elles peuvent céder et avoir de lourdes conséquences sur le plan humain et matériel. Elles peuvent même participer au phénomène d’érosion”, explique Théophile Bongarts Lebbe.
Pour toutes ces raisons, de nouvelles alternatives émergent, fondées notamment sur la nature : renaturation de dunes, végétalisation de falaises, plantation de mangroves et restauration de récifs coralliens. L’idée est de s’appuyer sur des écosystèmes qui forment des barrières naturelles contre l’érosion. Dans la continuité de cette approche, le Conservatoire du littoral préconise de son côté une "gestion souple" du trait de côte. Une méthode expérimentée dans le cadre du projet Life adapto déployé sur 11 sites du littoral français, dont la Guyane, entre 2017 et 2022. "A travers cette démarche, on ne voit plus le trait de côte comme quelque chose de figé mais comme une bande mouvante sur laquelle on va laisser les écosystèmes jouer leur rôle tampon", précise Pauline Malterre, coordinatrice du projet adapto+ au Conservatoire du littoral.
Plus concrètement, cela signifie reconnecter à la mer des polders, c’est-à-dire des étendues artificielles de terres gagnées sur l’eau, ou encore restaurer des cordons dunaires pour leur permettre de rouler sur eux-mêmes.
Cet article est extrait de notre dossier spécial : "Changement climatique : comment la France prépare l'avenir". A découvrir ici !
Combiner les solutions
"Ces actions se révèlent particulièrement adaptées dans les zones naturelles, voire semi-rurales, dans la mesure où les enjeux socio-économiques sont moins présents”, ajoute la coordinatrice du projet. Sur les littoraux urbanisés, l’enjeu est plus complexe.
Il y a une densification extrêmement forte des zones littorales qui amène une surfréquentation touristique et donc une saturation de l’espace. Cela rend d’autant plus compliqué l’aménagement des territoires", détaille Théophile Bongarts Lebbe.
Face à ces contraintes, les communes installées sur des zones à risques doivent combiner plusieurs solutions d’adaptation. Cela passe par le maintien d’ouvrages de protection dans les endroits où le recul est impossible, l’interdiction de nouvelles constructions, voire la relocalisation de certaines activités et habitations. Une stratégie de repli encore difficile à faire accepter à la population et qui souffre aussi du manque d’outils juridiques et financiers.
Autre piste à explorer : l’accommodation. Encore peu développée en France, cette voie consiste à composer avec les éléments. On repense entre autres les infrastructures côtières en surélevant les bâtiments ou en construisant des habitations sur pilotis, capables de résister aux vagues de submersion. Des projets sont déjà à l’oeuvre dans certaines régions du monde, comme à Amsterdam (Pays-Bas) où le quartier de Ijburg, composé de quatre îles artificiels, accueille depuis la fin des années 90 des maisons flottantes.
Des idées plus futuristes voient également le jour. Au Japon, la société N-Ark ambitionne par exemple de créer une ville flottante autosuffisante capable d’héberger 10 000 habitants et jusqu’à 30 000 personnes supplémentaires. Des touristes mais aussi des réfugiés climatiques qui auraient été contraints de fuir à cause des conséquences de la montée des eaux. Soutenu par l’Onu-Habitat, une agence spécialisée des Nations unies dans la promotion des villes durables, et portée par l’entreprise américaine Oceanix, une autre cité flottante doit être construite d’ici 2040 près de Busan, en Corée du Sud, afin d’accueillir les premiers déplacés climatiques.
Encore difficiles à imaginer, ces initiatives soulèvent un enjeu de taille : celui des migrations climatiques. D’après le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), depuis 2008, 21,5 millions de personnes ont été déplacées pour cause climatique. Un chiffre qui pourrait augmenter à l’avenir. En 2021, la Banque mondiale estimait que 216 millions de personnes étaient menacées de devenir des réfugiés climatiques à l’horizon 2050.
Erosion côtière : "Nous avons un nouvel avenir à construire sur nos littoraux"
Face à la montée des eaux, les communes peinent encore à s'organiser faute de moyens juridiques mais surtout financiers. Entretien avec Sophie Panonacle, députée Renaissance de la Gironde, présidente du bureau du CNML (Conseil national de la mer et des littoraux) et du Comité national du trait de côte (CNTC).
Combien de villes françaises sont aujourd’hui concernées par la montée des eaux ?
Au niveau de notre littoral, nous avons environ 1000 communes. La moitié d’entre elles sont concernées de près ou de loin par les phénomènes d’érosion côtière, de submersion marine et d’élévation du niveau de la mer. Sur ces 500 communes, 242 sont inscrites sur la liste des communes classées prioritaires face à la montée des eaux. Celle-ci est fixée par un décret qui a été révisé au mois d’août, après la publication d’un premier texte en juillet 2022.
De quoi s’agit-il concrètement ?
Ce décret établit la liste des communes qui ont une action en matière d’urbanisme et d’adaptation de leur territoire face au recul du trait de côte. En s’inscrivant sur cette liste de manière volontaire, les villes s’engagent dans un premier temps à cartographier leur littoral. Cette action est prise en charge financièrement à 80 % par l’Etat et permet à hauteur de 30 ans de mettre en place une zone rouge, c’est-à-dire une zone où l’on ne pourra plus construire.
Une fois que la cartographie est établie, il faut que les villes définissent un projet d’adaptation de leur territoire. Cela peut être de la protection, c’est-à-dire consolider des ouvrages existants ou éventuellement entreprendre de nouvelles constructions selon les situations.
L’idée n’est pas de construire le mur de l’Atlantique le long de notre littoral mais plutôt de gagner du temps afin de passer à la prochaine étape qui est celle de la relocalisation."
Comment avance ce chantier ?
Sept communes ont signé un PPA (Plan partenarial d’aménagement) afin de favoriser la réalisation d’opérations d’aménagement. Parmi elles, Biscarosse, Saint-Jean-de-Luz, Lacanau, Coutances ou encore Sète. Mais pour aller plus loin, il faut aujourd’hui régler le problème du financement. Les communes manquent de cadre législatif et réglementaire mais surtout de financements pérennes pour les rassurer et les inciter à s’installer dans ce travail d’anticipation sur le long terme. Il y a urgence. Si on prend le pire scénario et si rien n'est fait en termes d'adaptation, 870 000 biens seront impactés à hauteur de 100 ans sur la bande littorale des 200 mètres.
Pour pallier ce manque, vous avez proposé en 2022 la création d’un fonds "érosion côtière". Quel était l’objectif visé ?
J’ai en effet déposé un amendement dans le dernier projet de loi de finances (PLF) qui augmentait de 0,01 % la taxe sur les droits de mutation afin de permettre la création du fonds érosion côtière. L’objectif était de soutenir les élus locaux dans le cadre des négociations amiables avec les particuliers. L’amendement n’avait pas été retenu par le gouvernement qui a utilisé le 49.3. Mais cette proposition émerge à nouveau dans le cadre des travaux que nous menons au CNTC avec les inspecteurs généraux.
Quelles autres propositions formulez-vous ?
Pour la création ou la consolidation de nouveaux ouvrages, on pourrait également utiliser la taxe pour la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (GEMAPI) qui représente aujourd’hui maximum 40 euros par taxe foncière. Ce financement seul sera insuffisant. Nous réfléchissons par conséquent à le compléter ou le faire évoluer. Nous proposons notamment une solidarité partagée entre l’Etat et les collectivités pour aider les communes à mettre en place leur stratégie d’adaptation.
Au-delà du manque de financement, les élus sont confrontés à une autre difficulté, celle de l’augmentation de la population sur les côtes...
C’est une contradiction totale. Le changement climatique nous apporte de plus en plus de dangers sur le littoral et de contraintes fortes qui pourraient mettre la vie humaine en danger. Et malgré tout, de plus en plus de personnes souhaitent s’installer le long des côtes.
Or, il faut bien comprendre que, face aux risques qui nous attendent, ce n’est plus possible d’acheter en bord de mer. Sans affoler la population, il faut davantage développer cette culture du risque dans notre pays.
Cela passe notamment par la sensibilisation. L’information acquéreur locataire, votée dans le cadre de la loi Climat et Résilience, est un premier outil. Comme pour le DPE (diagnostic de performance énergétique), ce dispositif oblige les agents immobiliers à afficher le risque érosion/submersion par rapport aux biens qu’ils présenteront. Dès la première visite, les futurs propriétaires et locataires doivent être informés des risques à venir.
Parmi les pistes envisagées pour l’adaptation des littoraux, certains imaginent la création de maisons flottantes. Est-ce une voie envisageable selon vous ?
Selon les endroits et les possibilités, on peut tout imaginer même les solutions les plus futuristes. Nous avons un nouvel avenir à construire sur nos littoraux. Allons-y créons, innovons !
Vous avez apprécié cette information ? Abonnez-vous à notre newsletter en cliquant ici !
Pour aller plus loin et agir à votre échelle, découvrez notre guide Idées Pratiques #13 : "Sport et écologie : mode d’emploi”.
Au sommaire : enjeux, analyses, entretien décryptages... 68 pages pour faire du sport en étant écolo au quotidien !
Cliquez ici pour découvrir et commander votre guide Idées Pratiques.
#TousActeurs