La Nef dispose désormais d'un agrément bancaire autonome. Quelles ont été les étapes pour arriver à cette autonomie ?
Au départ, la Nef ce sont des citoyens qui, dans les années 1970-80 mutualisent leur épargne pour financer des projets qui ne trouvent pas de financement bancaire classique. Puis, dans les années 1980, une législation bancaire plus contraignante qui ne leur permet plus de continuer est mise en place. Ils créent donc une coopérative, la Nef, en 1988, et le régulateur bancaire accepte de leur accorder un agrément bancaire à condition que la Nef soit adossée à une banque de plein exercice. C'est comme ça qu’on a été, à l’époque, adossé au Crédit coopératif. Petit à petit nous avons grandi, et le Crédit coopératif s’est également développé de son côté et a notamment rejoint le groupe BPCE.
Finalement on s’est retrouvés dans une situation où la Nef représentait un poids pour l’adosseur, qui devait garantir notre liquidité et notre solvabilité auprès du régulateur. Et par ailleurs, on se retrouvait à être la plus petite banque mais la plus régulée au monde, si je puis dire. Par le Crédit coopératif, lui-même régulé par le groupe BPCE, régulé par l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR), régulée par la Banque Centrale Européenne (BCE). Cela nous amenait de plus en plus à faire la même chose que les autres, ce qui n’avait pas de sens, on n’avait aucune raison de devenir un deuxième Crédit coopératif. D’où le travail qu’on a fait avec l’ACPR pour avoir un agrément autonome. Ce qui ne va pas de soi, la logique aujourd’hui c’est plutôt la concentration des groupes bancaires. Et surtout, nous n’avons pas d’actionnaires, nous sommes un mouvement citoyen. Il fallait qu’on démontre à l’ACPR que ça n’empêche pas la force du collectif. Nous avons donc lancé une levée de fonds il y a deux ans, l’opération Big Banque, avec pour objectif de récolter 30 millions d’euros en 3 ans. En 2 ans nous avons déjà récolté 25 millions. On a donc pu démontrer que ce mouvement était réel et fort, et nous avons eu l’agrément bancaire autonome.
En quoi est-ce une avancée majeure pour la Nef ?
D’abord, ça nous donne la liberté. On devenait trop grands, il n’y avait plus beaucoup de projets qui étaient autorisés par nos adosseurs. Donc là, on retrouve la liberté. Par exemple, très rapidement, on va proposer une carte bancaire sur le compte courant des professionnels. Et dans les années à venir, on espère pouvoir proposer aux particuliers un compte courant. C’est vrai que la finance éthique, c’est d’abord une banque d’épargne, il faut que l’argent soit là à long terme. Un compte courant ça n’est pas fondamentalement intéressant pour une banque éthique. Par contre, ce qui est important, c’est de pouvoir répondre aux besoins de nos sociétaires et de nos clients.
Aujourd’hui, ce qui nous différencie principalement des autres organismes bancaires, c'est la transparence. Nous voulons que nos sociétaires, nos coopérateurs, nos épargnants sachent à quoi sert leur argent."
Ensuite, notre nouvelle autonomie veut surtout dire qu’aujourd'hui, à côté des 5 grands groupes bancaires en France — qui représentent l'essentiel du marché — il y a la Nef. Qui est certes petite en comparaison, mais qui a la volonté de construire un modèle bancaire alternatif, porté par un groupe de citoyens et centré sur les nécessités sociales et environnementales de la société française d’aujourd'hui. Je crois qu’on va inventer la banque éthique du XXIe siècle. On a de l’ambition, certes, mais je pense que c'est le bon moment pour la libérer. On a 35 ans d'expérience bancaire, on sait ce que c’est, et on a un mouvement avec nous. Il y a des enjeux qui sont considérables dans la société d’aujourd’hui, comme la question climatique. On n'a plus le temps de tergiverser, il faut agir clairement. Et donc il faut se donner les moyens d'agir dans une dimension différente.
En quoi la Nef est-elle une banque engagée différente des autres ?
Aujourd’hui, ce qui nous différencie principalement des autres organismes bancaires, c'est la transparence. Nous voulons que nos sociétaires, nos coopérateurs, nos épargnants sachent à quoi sert leur argent. Tous les ans, nous publions intégralement nos contrats de crédit. Nos concurrents disent qu'on est fous, parce que c'est notre corps de métier qu'on met sur la place publique. Mais en même temps, on sait que c’est important pour nos clients et qu’ils ne sont pas là pour rien. Ça fait partie d’une façon de faire société ensemble, d’être ensemble dans un mouvement bancaire plutôt que de travailler pour une organisation bancaire. Ensuite, ce qui nous différencie c’est qu’on s’interdit toute spéculation. Et on s’interdit aussi tous les secteurs d’activité qui pourraient être sujets à discussion, que ce soit sur l'environnement — je pense évidemment aux énergies fossiles — mais aussi le développement, le respect des individus, etc.
Pour aller plus loin : "L'ISR sur les principales classes d'actifs"
Et enfin, il y a un principe très important pour nous : la démocratie. Un des enjeux dans une coopérative qui grandit c’est de continuer à faire vivre la démocratie. Nous, nous avons voulu nous engager en ce sens et depuis deux ans, on a lancé tout un travail démocratique avec nos sociétaires. Cette année, par exemple, on a travaillé avec eux sur le partage de la valeur. On a mis en place une plateforme Internet où plus de 2000 sociétaires se sont exprimés. Ensuite, on a organisé une série de rencontres régionales où les instances ont rencontré les sociétaires, puis on a tiré au sort 25 sociétaires pour qu’ils rédigent une résolution à voter à l’Assemblée, sur la base du travail fourni par les 2000 participants tout au long du processus. Et c'est comme ça que, à la dernière Assemblée générale, il a été voté une résolution qui prévoit que le partage de la valeur doit viser en premier lieu à faire vivre le projet de la Nef. Parce que c'est pour ça que tout le monde est là, ce n'est pas pour s'enrichir. C'est remarquable d'avoir des sociétaires qui travaillent ensemble et qui construisent une résolution qui consiste à dire : "nous, on fait société ensemble".