Victor Remère, 2018. Oeuvre réalisée dans le cadre de l'exposition inaugurale de l'espace 365, Zone Sensible (Ferme urbaine de Saint-Denis)
©Anne-Claire Héraud
Chronique culture

Cinq artistes écologiques qui ont marqué l'année (et à suivre en 2019)

Matériaux de récup, agriculture expérimentale ou poésie de la mère-nature. L'art écologique s'affirme de plus en plus comme une véritable tendance de la création contemporaine. Passage en revue de certains artistes qui se sont distingués cette année, et qui vont continuer à faire parler d'eux.

Olivier Darné (Parti Poétique)

Inventeur du Parti Poétique, collectif regroupant artistes, penseurs et activistes depuis quinze ans en région parisienne, le plasticien-apiculteur Olivier Darné met un point d'honneur à rapprocher l'art de l'agriculture urbaine. Tout commence lorsqu'il pose une première ruche sur le toit de la mairie de Saint-Denis, en 2000. Il obtient alors du miel fabriqué par les abeilles locales, qu'il récolte et partage avec les habitants du territoire lors de banquets festifs. C'est le début d'une vaste "pollinisation du monde"…

En 2017, le Parti Poétique remporte un appel à projets de la ville de Saint-Denis et hérite des dernières terres maraîchères du 93. Avec les fermes de Gally, ils inaugurent au printemps dernier la ferme urbaine de Saint-Denis dont ils gèrent 1 hectare (sur les 3,7) dédié à de la permaculture expérimentale ainsi qu'à une programmation culturelle : cinéma en plein air, théâtre, concerts animent tout l'été, et une première exposition à ciel ouvert rassemble des artistes contemporains autour du triptyque "nature–culture–nourriture" pendant un mois à la rentrée 2018. La Zone Sensible prend quelque peu ses quartiers pour l'hiver, mais réserve de belles surprises, dont la création d'une académie de cuisine avec le chef Alain Ducasse pour des jeunes en réinsertion. Quand le beau rejoint le bon.

Jacques Lœuille

Jacques Lœuille présente The Birds of America, 2018
©DR

Depuis une décennie, le Prix COAL récompense les jeunes artistes s'emparant des enjeux environnementaux de notre époque pour faire émerger une culture de l'écologie encore trop peu représentée au sein des institutions.

Le Prix COAL 2018 a été remis au mois d'octobre à Jacques Lœuille, réalisateur de 35 ans diplômé des Beaux-Arts de Nantes puis du Fresnoy, pour son long-métrage The Birds of America. En référence à l'œuvre du peintre naturaliste français et père de l'écologie américaine Jean-Jacques Audubon, il interroge l'impact des extinctions de masse et de l'effondrement de la biodiversité, à travers une installation en sept films, tournés depuis 2016 dans la vallée du Mississippi : chacun est consacré à un oiseau disparu du territoire, comme le Bald Eagle, emblème des États-Unis, le pigeon migrateur ou le Trétras, victimes de l'industrialisation du pays ou des armes à feu. De quoi déconstruire les mythes…

Laurent Tixador

Potager, Musée d'arts de Nantes, 2018
©Laurent Tixador

Artiste de l'expédition, Laurent Tixador s'aventure volontiers (pendant plusieurs années en duo avec Abraham Poincheval, désormais en solo) dans la performance et les expériences extrêmes : vivre à la manière des hommes préhistoriques en autarcie pendant huit jours sur l'île du Frioul, organiser une chasse à l’homme où il est lui-même la proie, devenir le "premier artiste du Pôle Nord"…

Toujours farfelus, ses projets n'en ont pas moins une portée souvent hautement écologique. En ce début d'année 2018, Laurent Tixador a réalisé pour le centre d'art La Cuisine (Tarn-et-Garonne) une centrale hydraulique à partir de matériaux de récupération, afin d'alimenter en électricité sa propre exposition. Lors de la saison artistique Habitarium au printemps à la Condition Publique (Roubaix), il a vécu quelques jours sur place pour y recréer une cagna, un abri de fortune à la manière des poilus. Pour le musée d'arts de Nantes, l'artiste a organisé un chantier participatif pour monter un potager aquaponique. Avec toujours cette posture de fraternité discrète vis-à-vis de la nature, et une manière d'insuffler une part de rêve et de possible à la vie – probablement l'un des éco-artistes les plus signifiants.

Angelika Markul

Extrait de La mémoire des glaciers, 2017
©Angelika Markul

Cette plasticienne franco-polonaise s'intéresse particulièrement aux lieux méconnus, disparus ou dangereux. Voyageant sur les traces des catastrophes où la mort guette encore (Tchernobyl, Fukushima, Bagdad, etc.), son travail tourne autour du passage du temps et d'un désir de reconnexion avec la terre-mère.

De septembre à décembre 2018, son exposition personnelle Tierra del Fuego au Musée de la chasse et de la nature présente un ensemble d'œuvres, entre la vidéo, l'installation et la sculpture, qui mettent en relation la disparition d'une civilisation améridienne décimée par les Européens, et la fonte des glaces (La mémoire des glaciers). Un voyage esthétique aux résonances mystiques.

Tomas Saraceno

Aerocene, Tomas Saraceno
©DR

C'est l'événement du moment au Palais de Tokyo. Aux confluents des mondes de l'art, de l'architecture et des sciences, l'œuvre du jeune artiste argentin est comme une "recherche en cours". L'exposition On Air se présente comme un écosystème où humains et non-humains sont en étroite connexion, où chaque mouvement permet d'entrer en relation les uns avec les autres – à l'image de ces toiles d'araignées exposées en première partie, œuvres in situ de dizaines de variétés différentes, ou encore de ces installations visuelles ou sonores réagissant en direct aux caractéristiques de l'air ambiant.

Après s'être fait remarqué par ses Cloud Cities, d'incroyables petites habitations volantes, Tomas Saraceno prolonge ses réflexions visionnaires sur la possibilité de vivre dans les airs. Avec son projet interdisciplinaire baptisé Aerocene, l'artiste expérimente des formes de structures aériennes mobiles qui soient indépendantes de toute énergie fossile. L'idée : briser les frontières et activer un nouvel imaginaire de collaboration éthique entre l'atmosphère et l'environnement. À voir encore jusqu'au 6 janvier.

Pour retrouver d'autres artistes écologiques, on vous recommande l'ouvrage de Paul Ardenne, premier du genre à décortiquer cette nouvelle tendance de l'art contemporain, Un art écologique. Création plasticienne et anthropocène, postface de Bernard Stiegler, La Muette, éd. Le Bord de l'Eau (2018). Lire l'interview de l'auteur ici.

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