Face aux défis du réchauffement climatique, les initiatives écologiques sont les bienvenues. Parmi elles, les funérailles vertes offrent la possibilité de réduire son empreinte carbone, même après sa mort. Alors, quelles alternatives pourraient permettre cela ? Nos cimetières vont-ils disparaitre ? Entretien avec Manon Moncoq, anthropologue du funéraire et de l’environnement, chercheuse et intervenante dans le secteur funéraire.
On entend beaucoup parler de funérailles vertes, de quoi s’agit-il ?
Au niveau de la terminologie, on peut donner différents adjectifs à ces funérailles un petit peu alternatives, que ce soit funérailles vertes, funérailles écologiques ou funérailles écoresponsables. Souvent, chaque terme veut quand même poser une définition, en tout cas une approche particulière. Des funérailles écologiques, ça va être vraiment ce côté respectueux de l'environnement, un petit peu en opposition aux funérailles traditionnelles.
Funérailles vertes : elles vont plutôt avoir une approche un petit peu plus politique ou engagée. Et là encore, on peut diviser le terme sous deux approches : une approche un petit peu technico-pratique, centrée sur l'aspect environnemental, le bilan carbone, la gestion des matériaux, l'utilisation des ressources, de l’énergie, etc. Et une approche un petit peu plus proche de l'écologie symbolique avec l'idée de réintégrer le cycle du vivant, de réinscrire l'Homme dans la nature.
Concrètement, quelles sont les pratiques qui s’inscrivent dans ces alternatives ?
Ça touche l'ensemble du parcours du défunt. Pour la conservation du corps, au lieu de faire des soins de conservation, on peut par exemple décider de placer le défunt dans une case réfrigérée ou d'utiliser de la carboglace. On peut choisir de ne pas mettre de capiton dans le cercueil ou d'en mettre un en matière naturelle au lieu de choisir de la matière synthétique. On peut choisir des cercueils issus de bois de forêts durablement gérées, voire en carton, bien qu'il y ait un débat sur lequel est le plus écologique.
Vous avez aussi, depuis peu, l'apparition de cercueils en biomatériaux qui sont en cours de production. Ça va être une première en France. Et puis il y en a aussi qui vont même plus loin, qui vont sur l'idée de faire un covoiturage pour les personnes qui assistent à la cérémonie pour limiter l'utilisation de voitures individuelles. Il y en a qui vont aussi sur le repas des funérailles, éviter des repas avec trop de viande, voire avec pas de viande du tout.
Qu'en est-il du mode de sépulture ?
Vous avez bien sûr le mode de sépulture : qu'est-ce qu'on va faire du corps ? En France, vous en avez deux qui sont autorisés, l'inhumation et la crémation. Mais dans d'autres pays occidentaux, vous avez des modes de sépulture alternatifs comme l'aquamation ou la terramation (compostage humain). L’aquamation, ou crémation par l'eau, place le corps du défunt dans une cuve dans laquelle il va y avoir une solution alcaline. On dit que c'est de l'eau, mais en fait, c'est quand même une solution alcaline, dont les agents vont permettre la dissolution de la matière organique du corps. À la fin du processus, la cuve va se vider et il ne reste alors plus que les ossements du défunt. On va les broyer et ça donne des cendres, comme en France, que l'on va mettre dans une urne. Cette pratique est légalisée aux États-Unis depuis une bonne quinzaine d'années. C’est le cas aussi dans différentes provinces du Canada, mais aussi dans diverses parties du monde, comme au Royaume-Uni, en Australie et en Afrique du Sud.
Pour le compostage humain, vous avez les processus aux États-Unis qui sont plutôt en milieu artificiel, même s'il y a en a aussi en milieu naturel. Et en Europe, il y a le projet Humusation, mais pour lequel on est encore qu'à la génèse , et un processus d'expérimentation sur l'être humain en Allemagne avec Meine Erde.
Beaucoup de personnes essaient de faire attention pendant leur vie et souhaitent que leurs funérailles correspondent aussi à leur identité, à leur valeur, à leur personnalité.
Pourquoi de plus en plus de personnes se tournent vers ces alternatives écologiques ?
On se rend compte qu'on est dans un contexte où la préoccupation environnementale a vraiment touché tous les domaines de l'activité humaine. Que ce soit repenser notre manière de consommer, de manger, de produire de l'énergie, d'utiliser l'énergie, de se déplacer, de se vêtir, d'habiter, etc.
Et quelque chose qu'on pourrait penser un petit peu intouchable, tel que le funéraire, a commencé à se poser la question de ce qui est le moins impactant sur l'environnement. Et ce qui a été intéressant, c'est que ce questionnement-là a été pris en œuvre par la Fondation des services funéraires de la ville de Paris en 2017. Elle a commandité une analyse environnementale comparative entre l’inhumation et la crémation en Île-de-France. Et ensuite, c'est quelque chose qui s'est beaucoup développé chez des entreprises qui ont développé des cercueils en carton, des urnes biodégradables, des capitaux en matières naturelles, etc. Et de l'autre côté, vous avez aussi des collectivités territoriales qui se sont dit qu'il était peut-être penser les cimetières autrement. Elles ont développé des cimetières paysagers, naturels et elles ont des cahiers de charges très précis concernant le respect de l'environnement. Vous avez le développement des forêts cinéraires aussi, ou donc là, c'est vraiment pleine nature.
Enfin, une partie de la population souhaite limiter son impact environnemental, généralement parce que ça fait aussi écho au mode de vie. Parce que beaucoup essaient de faire attention pendant leur vie et souhaitent que ça corresponde à leur identité, à leur valeur, à leur personnalité. Et donc, ils ont aussi envie de faire ces choix-là au moment de leurs obsèques. D'autant plus avec la 'perte de la religion' en France. Le spirituel, lui, il est toujours là. C'est difficile en fait de mourir et de dire qu'il n'y a rien après la mort. On s’accroche alors à cette symbolique écologique et à ce rapprochement avec la nature. Les modes de structure alternatifs, surtout le compostage humain viennent vraiment intégrer la mort dans le cycle naturel et redonner vie à quelque chose à travers la mort. On se rend compte qu'il y a quand même une part importante de la société qui se dit que ça donne du sens à la mort. Ça rassure, ça apporte de la beauté, de l'esthétisme, de la valeur à la mort.
Qui se dirige vers ces options plus saines pour l'environnement ?
Pour le profil sociologique, je n'ai pas pu déterminer un profil type. En revanche, on voit quand même une proportion plus importante de femmes qui s'intéressent à ce sujet. La mort de manière générale est un sujet auquel les femmes s'intéressent plus. Souvent les catégories sociales les plus favorisées ont quand même plus tendance à se poser les questions, à pouvoir comprendre aussi les informations, à aller chercher l'information. Les personnes les plus âgées, donc à partir de 75, 80, 90 ans, on voit qu'elles sont quand même très attachées à la tradition, notamment catholique. La génération d'après encore un petit peu, la suivante peut-être un petit peu moins. Les jeunes ont une envie très forte de personnalisation, et ça va quand même souvent plus loin que la simple préoccupation environnementale. Donc il y a cette envie surtout de donner du sens, qui finalement prime sûrement sur l'aspect environnemental ou écologique.
Peut-on parler d’une véritable transformation du secteur funéraire ?
Quand j'ai commencé ma thèse en 2018, c’était très marginal comme alternative. Depuis ces dernières années, on voit qu'il y a quand même une accélération sur la prise de conscience, mais aussi sur le développement de l'offre. Et en fait, dans le funéraire, c'est l'offre qui détermine la demande. Et aujourd'hui, de plus en plus de pompes funèbres proposent des offres alternatives, que ça soit en matière d'urne, de cercueil, de capitons, de cérémonies, de symboliques. Je pense qu’on est au tout début de quelque chose.
Concernant les modes de sépulture, il n'y en a encore que deux en France qui sont autorisées. Peut-être que ça viendra à l'ouverture. Mais il faut aussi comprendre que les personnes qui décèdent aujourd'hui, elles ne se sont pas forcément celles qui se sont intéressées par ces alternatives-là, et pour lesquelles ça fait sens. Donc, tout l'enjeu pour les pompes funèbres et les collectivités territoriales, c'est d’à la fois montrer que ces alternatives existent, mais aussi de répondre aux besoins actuels des personnes qui décèdent.
Selon vous, à quoi ressembleront les lieux de sépulture de demain ?
En 2022, la loi Zéro Phyto a interdit aux communes d'utiliser des produits chimiques pour désherber les espaces publics, notamment les cimetières. Donc ces lieux, très minéraux, se sont de ce fait végétalisés. Beaucoup de collectivités territoriales ont accompagné ce verdissement des cimetières en enherbant les allées, en plantant des haies, etc. Certaines avaient fait ce choix bien avant cette loi, mais ça a forcément intégré la faune et la flore dans ces lieux. Donc il y a déjà une vie qui a été intégrée et réintégrée, de façon visible ou invisible. En France, il y a quand même cette envie d'identification de la propriété, la concession de la sépulture. C'est quand même souvent délimité par des pierres ou par une petite bordure en bois. Mais on va dire que la séparation est moins nette, ce qui change aussi le rapport entre le monde des morts et celui des vivants.
Cela amène à une transformation de l’usage même dans ces cimetières. Il y en a qui vont se promener, sans avoir de proches à visiter, mais qui trouvent l'expérience douce et apaisante comme au cimetière du Père-Lachaise. Il y a des arbres, on est protégés du soleil, on entend les oiseaux, etc. Avec les forêts cinéraires, ça vient complètement casser les codes. On se situe entre le monde des vivants et le monde des morts, on se balade en pleine nature, dans un espace dédié à l'inhumation des urnes. Ça nous rapproche de la mort. On a un rapport un petit peu plus quotidien, familier, rapproché avec elle, tout en étant aussi esthétique à tourner vers le vivant parce que c'est au pied des arbres. L'arbre, pour de nombreuses raisons, a un symbolisme qui est vraiment très intéressant. Le fait qu'il soit presque éternel, qu’il suit les cycles de la nature, ses feuilles meurent, renaissent ensuite. Il est tourné vers le ciel, tout en entrant dans la terre.