Mourir, ça pollue. Selon l'exposé des motifs d'une proposition de loi déposée par un groupe de députés du MoDem en janvier 2023, "la crémation dégage près de 3 % des émissions annuelles de CO2 d’un citoyen, l’inhumation quatre fois plus". Ces deux méthodes funéraires, les seules légales en France, "nécessitent un cercueil", "des produits polluants" pour préserver le corps et, dans le cas de l’inhumation, "la place prise post‑mortem par les corps enterrés pose question". Face à ce constat, la proposition de loi appelle au développement de "l'humusation", un procédé déjà autorisé dans certains États des États-Unis et expérimenté en Belgique et en Allemagne.
"On appelle humusation le compostage d’un corps, avec uniquement de la matière végétale" explique au média Konbini Ezio Gandin, membre de la fondation Métamorphose, une organisation belge qui milite pour la légalisation de cette pratique et qui l’expérimente sur des cadavres de porcs.
"Une cuisson pour les virus et les bactéries toxiques"
Concrètement, le défunt est entouré d’un linceul en fibres naturelles et de broyat végétal, puis déposé directement sur le sol ou enterré superficiellement. Ensuite, il se décompose en quelques mois grâce à l’action des bactéries et des champignons. "Jusqu’à maintenant, dans nos civilisations, on a enfoui les corps à 2 m de profondeur, et là les corps ne se décomposent pas, ils pourrissent", poursuit Ezio Gandin. Quant à la crémation, c’est une "catastrophe au niveau écologique" pour Guy Basyn, cofondateur de la Fondation. "On brûle tant de matière organique, elle ne représente plus aucune valeur biologique".
Les avantages de l’humusation sont nombreux. Au niveau écologique, elle permet de réduire les émissions de CO2 liées aux procédés funéraires classiques et contribue à nourrir les sols. C’est également une méthode bien plus économique que l’inhumation ou la crémation, dont le coût moyen en France s’élève à environ 4000 €. Et elle présente également des avantages sanitaires. En se décomposant, le corps libère de la chaleur, "une cuisson pour les virus et les bactéries toxiques", s’amuse Ezio Gandin. Un constat partagé par Damien Charabidzé, docteur en biologie à Lille, qui explique à Ouest-France que l’humusation "paraît plus sûre en termes d’hygiène et de santé publique", alors que "la décomposition des corps dans les cimetières libère dans le sol beaucoup de pathogènes".
"Régénérer les sols qui en ont le plus besoin"
Cette méthode permettrait aussi de rendre le deuil moins violent selon Delphine Chenuet, cofondatrice de Coeo, une start-up qui aide les collectivités à trouver de nouvelles solutions de sépultures. Interrogée par France 3 Bretagne, elle estime que "lors d'une inhumation, on pose une pierre tombale et c'est terminé, alors qu'on est sur les premiers jours du deuil. La séparation est brutale. […] L'humusation nous semble plus en adéquation avec l'état de deuil". L’entrepreneuse a visité avec son associée des humusariums aux États-Unis, dont certains sont ouverts aux familles pour qu’ils puissent se recueillir.
Si cette pratique est légale dans certains États américains, la revente du humus reste, elle, interdite. "La plupart du temps, les familles le répandent, y plantent un arbre ou en font don à des parcs naturels", détaille Delphine Chenuet. En Belgique, la fondation Métamorphose explique qu’une partie de ce humus "va retourner aux membres de la famille", et que, pour le reste, cela dépendra du législateur. "En tout cas il n’y aura pas de commerce sur le compost humain", précise Francis Busigny, cofondateur de la Fondation. "Le but est de régénérer les sols qui en ont le plus besoin".
Pour aller plus loin : "Ecologie : gagner plus, dépenser moins"
Malgré des avantages certains, l’humusation rencontre aussi des détracteurs, qui lui reprochent notamment de porter atteinte à la dignité humaine. Cette méthode ne fait pas non plus l’unanimité auprès de certains professionnels des pompes funèbres, pour qui elle représenterait un manque à gagner. Mais d’autres sont prêts à faire évoluer leurs pratiques. "Si ça passe, on s’adaptera", affirmait en janvier 2023, auprès de 20 Minutes, Pierre Larribe, responsable juridique de la Confédération des professionnels du funéraire et de la marbrerie (CPFM). "Notre travail ne se limite de toute façon pas au traitement des dépouilles, mais consiste aussi à l’organisation des obsèques, ce qui restera toujours nécessaire quelle que soit la méthode de traitement des corps choisie".