"J’aurais aimé dire à la Camille d’il y a 10 ans : tu vas voir, tu vas trouver cette quiétude où tu sais que ce que tu fais est juste".
© Camille Chaudron / DR
Portrait

Camille Chaudron : la révolution dans la joie

Militante, agricultrice, politique, communicante, conférencière… Depuis qu’elle s’est fait connaître du grand public sur les réseaux sociaux avec son compte @Girl_go_green, Camille Chaudron empile les casquettes. Mais qui se cache sous tous ces couvre-chefs ? 

“Chaque jour est une surprise !” justifie Camille Chaudron depuis l’espace de co-living où elle a posé ses valises cette semaine de janvier. Nous devions nous voir en visioconférence depuis son repère en Mayenne, une ferme permacole. Finalement, elle est à Paris, nous aussi, "ce n’était pas prévu", la visio s’impose tout de même. Capturer quelques instants à cette hyperactive, toujours sur le départ, semble la plus ardue des tâches. Mais une fois installée, Camille Chaudron se livre telle quelle, intellectuelle, sensible, déterminée, drôle, parfois éparpillée. Celle qui compte près de 130 000 abonnés sur Instagram sous le pseudonyme @Girl_go_green réfute le terme "d’influenceuse". "Ça ne veut rien dire, tout le monde a de l’influence. J’utilise les réseaux sociaux comme un prolongement de mon activisme sur le terrain". Elle incarne cette génération de trentenaires, militants 2.0, qui partage sur le web leurs expériences d’agro-écologie, les mains dans la terre, ou leur dernière lecture sur l’écoanxiété. La vidéaste de 34 ans ne se contente plus de clips amusants sur le tri des déchets, elle agit chaque jour pour imaginer et mettre en œuvre un avenir plus durable.

Devenir "militante écoféministe" à plein temps

"La Camille d’il y a dix ans elle a un niveau de conscience zéro ! J’étais la personne qui prenait l’avion pour un week-end à Madrid, qui jetait ses cigarettes par terre… J’ai fait beaucoup de chemin !" confie-t-elle dans un sourire. Camille Chaudron grandit à Nice, dans une famille qu’elle qualifie de "privilégiée, moyenne bourgeoise, citadine, pas du tout baignée dans un environnement écolo". Après une prépa à Nice, elle monte à Paris en 2010, intègre l’EDHEC, grande école de commerce, puis devient brand manager dans l’industrie agroalimentaire. Une trajectoire qui semble presque évidente. "J’étais dans cette dynamique : faire de grandes études, trouver un boulot qui paie bien, être à un haut poste à responsabilités, être reconnue par la société..." Un idéal préfabriqué dans lequel la jeune femme n’arrive pas à cacher son mal-être. "J’étais déprimée comme pas possible."

Il lui faudra ce choc, cette "dissonance cognitive" entre sa vie et un bonheur impossible à définir. La cadre veut trouver du sens, mener un combat. D’abord la cause "la plus simple d’accès", sur laquelle elle peut agir concrètement : les déchets. Puis elle s’ouvre aux auteurs qui font fureur en librairie, Pablo Servigne et Raphaël Stevens en tête, apôtres de la collapsologie française.

Bonne élève, elle continue d’apprendre, "de dérouler la pelote de laine". De bouquins en conférences, en passant par la vulgarisation sur les réseaux sociaux. "J’ai refait toute ma culture féministe sur Instagram !" lance-t-elle. "Je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup d’autres questions intimement liées à ces combats, et qu’il fallait les penser de manière globale et systémique". Elle inclut dans sa vie et ses actions les questions d’antiracisme, de féminisme, de droits LGBTQIA +. En 2017, à 29 ans, Camille Chaudron quitte son emploi de cadre et Paris, pour devenir "militante écoféministe" à plein temps.

Cet article est extrait de notre dossier spécial : "Sciences, politique, entrepreneuriat...ces femmes veulent changer le monde". A découvrir ici !

Dédramatiser la lutte

Elle commence dans le même temps à publier sur son compte Instagram @Girl_go_green, avec l’idée de démystifier les pratiques et les expériences écologistes : "les écolieux, la permaculture… tout ça semble un peu hippy, survivaliste, je voulais rendre ces sujets qui me passionnent plus accessibles". "Ma page a évolué avec moi, ajoute-t-elle. Les premiers posts portaient sur les écogestes individuels, et petit à petit on découvre des articles à propos de la désobéissance civile. La prise de parole sur mon média est à la hauteur de ma prise de conscience et de mon éveil, et plus je chemine, plus ça prend de la place."

Quels que soient les sujets, elle les aborde avec humour et un ton décalé. Qu’il s’agisse d’un tuto nettoyage aux produits naturels chanté sur un air populaire, ou la dénonciation de l’inactivité climatique de l’État, l’essentiel est de transmettre les messages avec positivité. "J’ai essayé d’offrir ce dont j’avais besoin, trouver de la joie militante. Je reprends cette phrase d’Emma Goldman [intellectuelle féministe et anarchiste du XIXe siècle] : "If I can’t dance I don’t wanna be part of your revolution" [si je ne peux pas danser, je ne veux pas être de votre révolution]." Rendre la lutte joyeuse, c’est à cela que s’affaire Camille.

Un combat de tous les jours qu’elle ne mène pas uniquement en ligne, bien au contraire. La militante est sur tous les terrains. Aujourd’hui nomade, elle voyage au gré des écolieux et résidences d’écriture, propose des ateliers de sensibilisation aux associations, réalise des courts-métrages. Dans le même temps, elle est sollicitée par les entreprises pour animer des séminaires d’éveil écologique. "Parfois je suis vraiment surprise que certaines entreprises me demandent d’intervenir, je me demande s’ils sont vraiment prêts, mais c’est essentiel !" justifie-t-elle. Son dernier projet, un "tour de France des initiatives" à bord du van qu’elle aménage en ce moment. Elle s’est même engagée politiquement, d’abord dans un collectif citoyen de son arrondissement, et plus récemment comme suppléante au candidat NUPES (malheureux) aux législatives, dans sa circonscription de Mayenne. "Ma démarche c’est d’aller investiguer tous les moyens de lutte." Reprenant les théories de Gramsci sur l’hégémonie culturelle, Camille Chaudron se voudrait partout à la fois, pour pouvoir diffuser un nouvel imaginaire, une "utopie réaliste, qui donne à rêver".

La force du nombre

Changer totalement de vie n’est pas si facile, on est souvent seul maître à bord du bateau qui explore un nouveau monde. "C’est un cheminement très personnel, j’étais très seule au début", se rappelle la trentenaire, avant d’immédiatement nuancer : "je me suis rendu compte que les autres étaient un vrai relais d’énergie et de connexions, de connaissances, j’ai été accompagnée dans la joie par beaucoup de collectifs". La force du nombre, encore un concept auquel la militante est attachée, tant au quotidien que pour changer la société. Construire ensemble un monde nouveau, faire partie d’un tout.

À l’opposé de la paradoxale solitude des réseaux sociaux, la vidéaste redonne à l’expression "communauté numérique" son sens premier. Là, elle peut voir concrètement les fruits des "petites graines" qu’elle a plantées au fil de ses stories et reels. "Je croise très régulièrement des gens de ma communauté Instagram dans les espaces de lutte, les écolieux… ça me donne beaucoup de force, ça permet de contrebalancer des proches qui parfois sont indifférents à ce que je raconte !". Ses amis et sa famille sont loin des problématiques qui lui tiennent à coeur, "mes amis d’école ou de lycée me regardent un peu comme une OVNI". Pour les convaincre, la militante s’arme de patience. "Quand dix ans plus tard, des gens reviennent vers toi, te reposent des questions, te disent 'j’ai changé de vie', tu te dis ce n’est pas pour rien tout ça !".

Un sentiment de fierté, une relation émotionnelle à la cause, que Camille Chaudron assume et affirme. Si elle cite avec plaisir les intellectuels écologistes, sa démarche est aussi d’aborder le sensible. "J’ai vu un milieu militant qui était exclusivement dans la lutte, l’action, essentiels, mais sans nécessairement créer des espaces aussi pour les émotions". Elle aborde sans complexes la question de l'écoanxiété, cette angoisse liée à la crise écologique. Comme pour beaucoup de jeunes, la détenteuse d'un diplôme en maraîchage se sert de cette anxiété comme d'un moteur pour agir. Soigner cette peine par le militantisme écologiste, réparer le monde pour se réparer un peu. Au manque de sens de ses années corporates, Camille Chaudron répond aujourd’hui par l’enthousiasme et la paix intérieure de vivre en adéquation avec ses idées. "J’aurais aimé dire à la Camille d’il y a 10 ans : tu vas voir, tu vas trouver cette quiétude où tu sais que ce que tu fais est juste".

L'heure tourne, et la conférencière regrette de n'avoir pu totalement développer son propos. "C’est le problème d’être quelqu’un de dispersé, c’est très complexe de maintenir une ligne droite !". La route n’est sans doute pas droite, mais Camille Chaudron, elle, continuera d’avancer, et de faire la révolution en dansant.

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