Michel Wieviorka, sociologue et directeur d'études à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales.
Ludovic Marin/AFP
Social

Crise écologique : "la pandémie nous offre des repères pour construire l'avenir"

Depuis plusieurs décennies, la question de l'écologie se fait de plus en plus préoccupante pour les citoyens comme les politiques, mais en cette période de bouleversements, elles semble pouvoir prendre une autre dimension. 

La crise sanitaire que nous traversons est telle que, dès les premiers mois de la pandémie, de nombreux citoyens ont appelé de leur vœux un "monde d'après" plus résilient et responsable. Le changement ira-t-il de soi ? Quelle place pour les mouvements écologistes dans le débat public actuel ? Entretien avec Michel Wieviorka, sociologue et directeur d'études à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS). 

Que pensez-vous de la manière dont les enjeux climatiques se sont cristallisés dans l’opinion ces dernières années ?

À mon avis, cela a démarré avec les inquiétudes liées à la couche d’ozone dans les années 80, et qui ont débouché sur la création du GIEC, qui quelques années plus tard obtiendra le prix Nobel pour ses travaux collectifs sur la question climatique. Donc c’est un phénomène récent. Je pense que c’est très important, car cette prise de conscience fait partie de l’entrée des sociétés contemporaines dans une nouvelle ère. Repenser notre rapport à la nature, notre rôle dans des phénomènes qui jusqu’à présent étaient jugés très lointains de la vie proprement sociale, c’est quelque chose de tout-à-fait fondamental. En 20 ou 30 ans, cela s’est donc développé en même temps que les enjeux les plus centraux de la période précédente, s’ils n’ont pas disparu, ont perdu de leur centralité : on parle ne plus de relations de production, de travail, ou de l’exploitation dans les entreprises, comme on en parlait il y a quelques décennies. Ces enjeux liés à l’environnement nous font donc entrer dans une époque où les grandes questions se sont déplacées.

Les scientifiques nous le disent : certaines conséquences du changement climatique sont irréversibles. On a l’impression que le corps social réagit alors qu’il est déjà trop tard, non ?

Il y a une phrase très célèbre de Hegel qui dit, à peu près, que la chouette de Minerve n’apparaît que trop tard, c’est-à-dire que les historiens prennent conscience des problèmes qu’une fois qu’ils sont dépassés. De façon plus générale, oui, l’humanité ne comprend ce qui lui arrive qu’après coup, et rarement sur le moment. En ce qui concerne le changement climatique, on dit que tout est déjà perdu, qu’il est trop tard, mais certainement pas ! Nous ne sommes pas dans une période où la science a perdu pied, où la technologie est totalement impuissante, où la politique serait incapable d’affronter certains problèmes. Sans afficher un optimisme débordant, je pense qu’il faut au contraire se mobiliser davantage, expliquer ou se faire expliquer tous les enjeux de cette affaire, et regarder ce que peuvent offrir la technologie, la politique, même la philosophie, dans ce qui est un tournant majeur pour l’humanité.

 Où trouver de meilleurs repères et plus de sens pour construire quelque chose que dans l’environnement au sens large, dans les rapports de l’Homme à la nature ? "

L’expérience de la crise sanitaire liée au coronavirus pourrait-elle être un accélérateur de particules pour un basculement collectif et une mobilisation ?

Vous touchez du doigt quelque chose de très juste. Quand arrive un phénomène comme celui-ci, se pose aussitôt la question du sens. Nous voyons nos repères habituels se défaire, nos certitudes s’effondrer quand nous en avions. Alors les uns se réfugient dans la religion, d’autres dans le mensonge, les fake news, etc. Alors que nous avons à notre disposition ce formidable enjeu qui peut redonner du sens à notre existence collective. La pandémie nous offre du sens, des repères, dont nous avons besoin pour construire l’avenir, et nous montre aussi le côté dramatique de l’Histoire. Si l’on prend le cas de la France, la France est comme hors de l’Histoire depuis 60 ans, depuis 1968. Et là brusquement, c’est le tragique, c’est le sentiment de rentrer dans quelque chose de très important. Et où trouver de meilleurs repères et plus de sens pour construire quelque chose que dans l’environnement au sens large, dans les rapports de l’Homme à la nature ?

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C’est donc finalement le récit qui est mobilisateur ?

On a là un récit mais le récit n’est pas écrit une fois pour toutes. Il se construit en avançant, il faut le produire et pas seulement le comprendre et l’accepter. On a effectivement des récits disponibles, des travaux qui expliquent, des analyses, qui façonnent le récit disponible. Mais cela nous met aussi en mesure de réfléchir et construire le bon récit. La situation est certes préoccupante mais elle n’est pas désespérée puisque nous pouvons espérer construire d’autres récits, et par conséquent d’autres réalités.

Trouvez-vous que l’écologie, entendue au sens d’équilibre entre les êtres vivants, manque justement d’un récit mobilisateur ?

L’écologie est une chose compliquée. D’un côté, elle peut animer des pensées limitées, si on la considère comme un sujet de débat comme un autre. De l’autre, beaucoup répondent que l’écologie englobe toutes les réflexions, elle est LE mode de pensée pour comprendre la complexité du monde dans lequel nous vivons. Dans ce cas, tout devient écologie. Ni l’un ni l’autre de ces modes de pensée n’est pleinement satisfaisant. Si l’on prend l’exemple de la politique, certains partis se réclament de l’écologie politique, mais en même temps, la sensibilité à ces problèmes est telle qu’aucune force politique n’ose plus se dire silencieuse face à ces enjeux. Je pense qu’il faut absolument que continue à se développer une réflexion qui met en tension des modes de pensée nécessairement limités, et d’autres qui sont nécessairement englobants.

Aussi, tous les mouvement écologistes ont deux faces. Une face que l’on pourrait considérer comme optimiste, ouverte, pédagogue, et une autre face radicale, qui est dans le tout ou rien. Et tous les mouvements politiques qui se réclament de l’écologie sont sous tension entre les deux. Les écologistes allemands ont tranché il y a déjà une trentaine d’années. Joschka Fischer s’est retrouvé ministre d’une coalition gouvernementale, et les Verts ont alors accepté le réalisme, le réformisme, le compromis. Je crois aussi que ce qui fait la force de l’écologie aujourd’hui, c’est l’idée que beaucoup de gens acceptent qu’il ne faille pas l’opposer à d’autres domaines de la vie collective, comme les problèmes sociaux, mais au contraire l’y articuler.  On sent bien qu’il faut trouver des modes d’articulation.

S’il n’y a aucune radicalité dans un mouvement, il s’étiolera ou ne mobilisera pas."

Vous parlez des deux faces de l’écologie politique. Justement, on voit émerger au sein de collectifs des citoyens qui pensent que l’écologie doit se radicaliser pour interpeller, bousculer, désobéir. Pensez-vous que cela peut être porteur ?

C’est une grande question. S’il n’y a aucune radicalité dans un mouvement, sauf si celui-ci est déjà très puissant, il s’étiolera ou ne mobilisera pas. Mais la radicalité peut aussi conduire à la marginalisation du mouvement. Par exemple, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la Pologne devient communiste. Une personne résiste plus que n’importe qui d’autre : le cardinal Wyszyński, un homme d’église qui n’est pas du tout un esprit ouvert et tolérant. Mais il a permis à tout un pan plus nuancé du monde catholique de résister, ainsi qu’à toute une gauche polonaise totalement laïque de se joindre à cette résistance. Autrement dit, le mouvement n’a pu trouver sa force initiale que dans la radicalité. Quand un mouvement se radicalise, il a une chance de susciter des dynamiques qui le renforcent, mais il peut aussi susciter des dynamiques contraires, et être accusé de sectarisme ou de refuser le compromis. La radicalité peut donc être la meilleure comme la pire des choses.

Prenons l’exemple des décrocheurs de portraits d’Emmanuel Macron. Dans certains cas, la jurisprudence est allée dans leur sens et a estimé que leur geste pouvait être justifié par l’urgence climatique. Est-ce là une radicalité réussie ?

On est dans une radicalité qui n’est pas haineuse, ni violente, mais symbolique, qui touche à des choses importantes à la limite de la légalité. C’est donc la mobilisation qui fait pression sur la justice et transforme le droit. Ça n’a rien à voir avec des black blocks qui participeraient à une mobilisation sur le climat et qui casseraient tout. Une radicalité symbolique est faite pour toucher les gens, on ne peut pas mettre ça sur le même plan. Pendant des années, Greenpeace a passé son temps à faire des choses illégales et extrêmement symboliques, pour entraîner l’opinion derrière soi. Il y a des formes d’action qui peuvent y parvenir mais d’autres enferment les acteurs dans des logiques qui vont devenir purement terroristes.

Une interview réalisée en partenariat avec France Inter. Pour écouter la chronique Social Lab, c'est par ici.

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