Sébastien Bohler, docteur en neurosciences et rédacteur en chef de la revue Cerveau & Psycho.
©Mélodie Taberlet/ID
Santé

Neurosciences: comment reconquérir "ce temps libre qui ne l’est plus" ?

En réaction à l'importance croissante des nouvelles technologies dans notre quotidien, notre cerveau connaît des modifications qui influencent, bien souvent à notre insu, notre comportement et notre réflexion, comme nous l'indiquent les neurosciences. 

Sollicitations cognitives toujours plus nombreuses, en particulier par le biais des nouvelles technologies, une sensation de manque de temps perpétuel… La vie contemporaine s’apparente parfois à une course contre la montre, qui transforme en profondeur nos structures mentales. Les neurosciences nous montrent ainsi les impacts physiques, tangibles, de cet emballement qui stimule notre esprit mais, paradoxalement, le rend de moins en moins apte à être le support de notre être. ID a abordé le sujet avec Sébastien Bohler, docteur en neurosciences et rédacteur en chef de la revue Cerveau & Psycho.

Est-ce que les modes de vie contemporains dépassent nos capacités cérébrales ?

Nos vies sont caractérisées par un phénomène très bien analysé par des sociologues comme Hartmut Rosa : l’accélération globale. L’accélération des moyens de production, des rythmes de consommation, des transports, et l’accélération de la vie sociale, le sentiment de ne plus avoir le temps pour soi, de se poser, car on est assailli de toutes parts par des impératifs. Ce peut être des impératifs professionnels ou privés (s’occuper des enfants par exemple), prendre les transports, etc. Mais c’est seulement une impression. Lorsque l’on regarde l’évolution du temps de travail au cours du XXème siècle, on constate que l’on a de plus en plus de temps libre pour soi. Ce temps que l’on devrait avoir est donc « mangé » par beaucoup de choses : la porosité de la sphère privée et de la sphère professionnelle, via la connexion permanente, par exemple. Notre esprit est sans cesse habité de mille préoccupations, notamment à cause la place grandissante du numérique dans nos vies. Cela a des conséquences sur notre fonctionnement cérébral, et fait que ce temps libre ne l’est plus.

Sommes-nous désormais cadenassés dans ces schémas ou pouvons-nous faire preuve de résilience ?

La programmation de notre cerveau vient de la nuit des temps : on y trouve une partie appelée le striatum, qui est très sensible au plaisir immédiat, ce que soit par le fait de manger du fast food, consommer des contenus numériques, de la pornographie, minimiser nos efforts via des gadgets, etc. Cette partie du cerveau nous récompense donc avec de la dopamine lorsque nous lui fournissons ces informations. Le problème est que l’on a créé tout un environnement techno-industriel qui vient nourrir ce besoin au lieu de le contrebalancer, ce qui serait la sagesse. Non seulement cela engendre des addictions, mais c’est aussi très consommateur en ressources de la planète. Nous avons créé un environnement tel qu’en recherchant toujours plus de dopamine, nous n’arrivons plus à savoir ce dont nous avons vraiment envie, ce qui pourrait nous équilibrer et apaiser notre âme. Face à cela, la vraie résilience serait de prendre conscience des déterminismes de notre cerveau, de prendre du recul et de se demander : est-ce que j’accepte de renouer avec l’existence ? Respirer, contempler, simplement discuter avec quelqu’un, admirer quelque chose… Être prêt à cela, c’est avoir l’occasion de solliciter des parties de notre cerveau qui ont été oubliées.

Aujourd’hui, nous ne supportons plus d’être inactif, l’inaction est devenue inquiétante, étrangère à notre mode de vie."

Cela signifie qu’il y a donc dans notre cerveau des solutions pour se sortir de ce paradigme ?

Une partie importante de notre cerveau est aujourd’hui laissée en jachère : c’est celle qui est affectée à ce que fait notre esprit lorsque l’on ne fait rien. Aujourd’hui, nous ne supportons plus d’être inactif, l’inaction est devenue inquiétante, étrangère à notre mode de vie. La découverte de ces zones du cerveau consacrées à l’inactivité est une avancée fantastique, initiée au début des années 2000, notamment par l’université de Washington. Par hasard, en mettant des personnes dans un scanner, avaient oublié de leur donner une tâche cognitive ; malgré cela, l’activité de leur cerveau demeurait intense. C’est toujours le même réseau d’aires cérébrales, le réseau dit du mode par défaut, qui est sollicité. Il produit des images mentales, est moteur de l’introspection, stocke les souvenirs autobiographiques, est sollicité par les souhaits, les projections, etc. Et ce réseau a besoin de temps libre, de phases d’inaction où l’on coupe les écrans, et où l’on renoue avec le fait de vivre, simplement, et de penser en se laissant aller à l’imprévu de notre réflexion, qui nous échappe parfois. C’est là que s’exprime notre véritable unicité. Des techniques telles que la méditation de pleine conscience s’appuient sur ce principe, et on des bénéfices en termes de santé mentale et physiologique et d’épanouissement, qui vont au-delà de ce que l’on imagine.

C’est donc le lâcher prise qui doit nous redonner une certaine forme de contrôle ?

Il y a un équilibre à trouver entre la vie active, qui forme la part dominante de nos existences et nous voit contraints de travailler et de consommer, et la vie non-agissante. Il y a un phénomène de vases communicants entre le réseau du mode par défaut et le réseau de l’action dans le cerveau, entre l’être et le faire. Lorsque l’un est actif, l’autre est inactif et inversement. Il y a comme un interrupteur entre les deux. Ce que montrent les recherches, c’est qu’il faut des moments où l’on accepte d’être, et d’autres où l’on agit. C’est par ce mouvement de balancier que l’on peut se préserver. Il serait exagéré de se retirer dans une grotte en renonçant à toute occupation, mais nous sommes allés beaucoup trop loin dans l’action. Celle-ci est d’ailleurs bien souvent vide de sens, puisqu’au sein d’une journée, une fois que l’on a accompli son travail, du temps subsiste pour que l’on s’occupe. Le problème, c’est que nous nous étourdissons dans des actions factices, qui nous persuadent qu’il n’y a pas le temps de se poser. Partager notre existence entre les deux dimensions, c’est là le véritable chantier. Il s’agit de se rééduquer à l’existence. Cette zone cérébrale que nous devons reconquérir aujourd’hui peut faire peur, car le processus de reconquête peut occasionner des émotions désagréables, des pensées désordonnées, il faut y faire le ménage.

Une interview réalisée en partenariat avec France Inter. Ecoutez la chronique Social Lab en cliquant ici ou dans le player ci-dessous. 

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