Des cigognes survolent un champ en feu près de la ville de Snigurivka, dans la région de Mykolaiv, le 4 juillet 2023, lors de l'invasion russe en Ukraine.
© Image AFP
Politique

Les guerres sont aussi des catastrophes écologiques

Les guerres sont, indubitablement, des tragédies humaines dévastatrices. Toutefois, les conflits armés sont également des catastrophes environnementales qui, à long terme, ont des effets dévastateurs sur le vivant en général et sur l'humanité en particulier. Focus sur les impacts environnementaux des guerres.

De tout temps, les guerres ont eu un impact sur l’environnement. Néanmoins, le temps des conflits forme un état d’exception où cette problématique est reléguée au second plan, les priorités étant accordées aux questions de survie et de souveraineté nationale. Cette réaction, bien que naturelle, mérite une certaine méfiance : les impacts environnementaux des guerres, agissant sur le court et long terme, finissent toujours par porter atteinte aux populations.

Longtemps resté un impensé, l’impact environnemental des guerres suscite de plus en plus d'interrogations sur la scène politique internationale. À titre d’exemple, le ministère de la protection de l'environnement ukrainien établit une liste des crimes environnementaux perpétrés par la Russie depuis le début du conflit et Israël fait l'objet d'accusations concernant l'utilisation de phosphore blanc, un gaz toxique aux effets préjudiciables sur la santé et l'environnement, sur la population gazaouie. Plus récemment, la COP28, organisée à Dubaï, a proposé une journée thématique sur la paix, établissant ainsi un lien significatif entre les guerres et le changement climatique. C’est la première fois qu’une COP s’empare du sujet. 

L’environnement comme dommage collatéral de la guerre

Bombardements, risques chimiques ou nucléaires, destruction des écosystèmes et des infrastructures humaines, pollutions des sols ou déchets militaires : si chaque conflit a une histoire environnementale propre, tous portent en eux un lot de "dommages collatéraux" néfastes et directs sur le climat et l'environnement.

Une guerre, ce n’est pas propre, ça fait nécessairement des dégâts environnementaux parce que dès que vous mettez des chars, des soldats sur un territoire, il y a des dommages » - Marie-Ange Schellekens

"Une guerre implique déjà des individus se battant avec des armes contenant des métaux lourds, néfastes pour la santé, susceptibles de s'infiltrer dans les eaux souterraines et de contaminer les chaînes alimentaires humaines et animales", déclare Marie-Ange Schellekens, chercheuse en droit de l’environnement à l’université de La Rochelle, spécialiste en prévention des conflits et sécurité environnementale. La chercheuse, dont les récents travaux portent sur la guerre en Ukraine, nous expose les effets directs sur l’environnement de ce conflit qui sévit depuis près de deux ans en Europe de l’Est. "On observe par exemple un impact sur la pollution des sols et de l’air, estimée à un taux 30 à 40 % supérieur à la moyenne. Les bombardements entraînent également l’effondrement d’immeubles. Dans le cas ukrainien, les immeubles sont fortement amiantés. L’amiante libéré dans l’air après la destruction des infrastructures devient une pollution dangereuse pour les habitants. Que ce soit des tanks abandonnés ou du matériel médical, les conflits produisent aussi une quantité importante de déchets."

La biodiversité est aussi une victime des conflits armés, un constat qu'illustre une fois de plus le cas ukrainien : alors que le pays concentre 35 % de la flore et de la faune européennes, Rouslan Strilets, le ministre ukrainien de la Protection de l'environnement et des ressources naturelles, estime que près de 30 % des zones forestières du pays et environ un cinquième de ses parcs naturels ont déjà été touchés par la guerre. Autre exemple, depuis le début du conflit, plusieurs milliers de dauphins auraient péri dans la mer Noire à cause de la présence de sonars et d’explosions sous-marines. 

Attaquer l’environnement : une arme de guerre

Au-delà des effets collatéraux des guerres sur nos écosystèmes et le climat, l'atteinte à l'environnement est utilisée comme une arme de guerre depuis le début de l'humanité. Fabien Locher, historien de l'environnement, explique à ID : "Tout le monde connaît la politique de la terre brûlée qui consiste à détruire littéralement toutes les ressources d'un environnement pour affamer son adversaire. Cette technique existe au moins depuis l’antiquité."

Une intensification des réflexions autour de cette idée a eu lieu lors de la guerre du Vietnam. Entre la destruction des forêts au Napalm et les expérimentations météorologiques visant à provoquer des chutes de pluie artificielles pour rendre les affrontements plus difficiles, "les Américains utilisent alors clairement l'anéantissement de l'environnement comme vecteur de destruction de leurs ennemis vietnamiens", justifie Fabien Locher. Dans ce contexte, le biologiste Barry Weisberg va théoriser l’idée d’écocide en 1970. Un concept aujourd’hui défini par le Larousse comme une "grave atteinte portée à l’environnement, entraînant des dommages majeurs à un ou plusieurs écosystèmes, et pouvant aboutir à leur destruction". Un écocide peut aussi bien avoir lieu en temps de guerre que de paix.

Un exemple récent et largement documenté de l'utilisation de l'environnement comme arme de guerre est l'explosion du barrage de Kakhovka, en Ukraine, le 6 juin 2023. Alors qu'au moins 45 personnes ont perdu la vie dans cette explosion, elle a également eu des effets notables sur l'environnement : des milliers d'hectares agricoles et de réserves naturelles ont été détruits, et l'inondation des exploitations agricoles, des villages et des sites industriels a entraîné le mélange de l'eau du barrage avec divers produits chimiques, hydrocarbures et eaux usées.

La destruction de l’environnement par la préparation de la guerre

La guerre détruit les écosystèmes et le climat, pas seulement par son action directe sur les environnements, mais aussi du fait de la préparation des conflits et de la nécessité d'extraire des environnements énormément de ressources pour faire la guerre." — Fabien Locher

La destruction de l'environnement par la guerre ne se limite pas au temps des conflits. La préparation à l’activité et au risque de guerre a, elle aussi, des effets dévastateurs. Pour Fabien Locher, l’exemple le plus fameux des impacts de la préparation de la guerre est celui des essais nucléaires. "Il y a eu sur Terre au moins 2 000 essais nucléaires officiels. Ces essais n’étaient pas des frappes en situation de guerre, ils visaient à préparer des guerres, mais ils ont eu des effets énormes sur les environnements."

L'économie de guerre nécessite par ailleurs l’extraction de nombreuses ressources. L’historien rappelle que pendant la Seconde Guerre mondiale, "on estime que chaque soldat américain dépensait un mètre cube de bois par an. Comme il y avait plusieurs millions de soldats, cela faisait des quantités énormes de bois pour fabriquer les planeurs, les constructions, les ponts, la fortification, et cetera. Ce n’est qu’un exemple, mais pour faire la guerre, on a toujours des extractions de ressources qui ont un impact majeur sur les environnements, au-delà même du front."

Des conséquences écologiques qui perdurent après le temps des affrontements

Les séquelles environnementales de la guerre persistent bien au-delà de la conclusion des hostilités. Fabien Locher éclaire cette idée avec le cas des forêts japonaises pendant la Seconde Guerre mondiale. "Elle avait été extrêmement bien gérée durant des siècles, parce que la foresterie japonaise est l'une des plus anciennes et strictes du monde. Toutefois, elle a été très endommagée au cours de la Seconde Guerre mondiale parce que les Japonais, qui manquaient de carburant, ont essayé de faire de l’essence par l’extraction de souches d'arbres."

Ces impacts environnementaux de la guerre sont très difficilement quantifiables. Marie-Ange Schellenkens illustre cette complexité en se référant à l'explosion du barrage en Ukraine : "On a pu évaluer les impacts à court terme en comptant les pertes humaines et animales, mais nous n'avons aucune vision à long terme des conséquences de cette exposition sur l'environnement, que ce soit en termes de pollution des eaux, d'assèchement des terres en amont du barrage ou d'inondation en aval."

En définitive, même une fois un conflit terminé, la guerre continue de causer des dommages au vivant dans son ensemble, y compris à l'être humain. Par extension, même achevée, une guerre continue de tuer. 

La guerre : un frein aux politiques d’atténuation et d’adaptation aux changements climatiques

Les contextes guerriers créent des situations d'urgence et « d’exceptionnalité » qui empêchent, suspendent ou entravent la mise en place de mesures d’atténuation et d’adaptation aux changements climatiques, pourtant indispensables pour contenir le réchauffement climatique à un seuil tolérable et assurer la résilience des territoires.

On a tendance à trop minimiser les effets environnementaux de la guerre qui doivent être remis plus en lien avec tous les efforts qu’on fait actuellement pour combattre les changements climatiques et pour l’avenir de l’humanité." - Marie-Ange Schellenkens.

Lors de la COP28, un pavillon palestinien a été érigé pour la première fois. Une présentation sur l'impact environnemental de l'occupation palestinienne y a été présentée. Robert Mardini, à la tête du Comité international de la Croix-Rouge, a regretté que les projets liés au climat organisés dans la bande de Gaza aient été gelés à cause du conflit. Du côté de l’Ukraine, "Depuis le début du conflit, les services environnementaux ont été suspendus, et les réformes environnementales prévues par le gouvernement ne peuvent plus être mises en place" confie Marie-Ange Schellekens. Pour la chercheuse, il y a urgence à cesser de "minimiser les effets environnementaux de la guerre qui doivent être remis plus en lien avec tous les efforts qu’on fait actuellement pour combattre les changements climatiques et pour l’avenir de l’humanité au niveau environnemental."

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