Thibaut Dernoncourt, chargé des activités de conseil chez Cap Collectif.
©Martial Ruaud / Plebiscit
Politique

Budgets participatifs : "une petite dose de démocratie directe dans la démocratie représentative"

Depuis quelques années, les citoyens sont de plus en plus invités à se prononcer sur l’usage du budget de leur collectivité locale, plébiscitant ainsi directement des projets à réaliser, par le biais de consultations en ligne. L’objectif : impliquer davantage les administrés dans le processus de décision.

Dans le cadre d’une démocratie représentative, les cas d’exercice direct du pouvoir par les citoyens sont rares, voire inexistants. Seulement, à l’échelle locale, des innovations voient le jour qui ont vocation à raviver la participation politique en lui donnant des formes alternatives. C’est le cas des budgets participatifs, consultations à l’issue desquelles une population vote pour un ou plusieurs projets que ses élus doivent ensuite mettre en œuvre. Paris, Rennes, Clermont, Grenoble… Ces dernières années, de nombreuses collectivités ont expérimenté la démarche. Depuis 4 ans, l’organisme Cap Collectif équipe les communes avec les outils technologiques nécessaires aux démarches participatives, à l’échelle des collectivités dans le cas du budget participatif, mais aussi au niveau national dans le cadre du Grand Débat. Entretien avec Thibaut Dernoncourt, qui s’occupe des activités de conseil pour cette civic tech.

Combien d’acteurs êtes-vous en France sur ce marché ?

Je dirais une dizaine environ, divisés en deux catégories : ceux qui équipent, comme nous, qui fournissent une technologie pour les budgets participatifs qui sont pour la plupart numériques, et ceux qui accompagnent, dans la formation des services, pour la mise en œuvre ou l’élaboration des règlements, plutôt une prestation de conseil donc. Nous faisons pour notre part un peu des deux, nous avons une double casquette.

Quelle est la cartographie des budgets participatifs en France ?

Ce qu’on peut dire, c’est que c’est en plein essor. Le nombre de collectivités qui mettent en œuvre des budgets participatifs est en constante augmentation, en particulier depuis le début du mandat précédent, en 2014. C’est durant celui-ci que deux grosses métropoles, Paris et Rennes, ont lancé leur initiative. Depuis, cela a beaucoup été imité, y compris par les petites collectivités, ainsi que les autres échelons comme les départements et les régions, même si c’est plus timide pour ces dernières. Nous avons aussi observé que c’était une promesse de beaucoup de candidats aux élections municipales de l’année dernière, nous avons dons un effet d’enrôlement à la suite de cela.

Sur le principe, le budget participatif est une idée assez simple : 'vous décidez des projets, et nous finançons et réalisons'."

Peut-on estimer à peu près le budget participatif ?

Le principe de budget participatif consiste la plupart du temps à allouer entre 2 et 5% du budget d’investissement total de la collectivité, généralement sur tous types de projets. Dans quelques rares cas, c’est le budget de fonctionnement qui peut y être soumis. On va considérer que l’on va toucher à cette occasion entre 5 et 10% de la population de la collectivité, qui aura donc voté sur les projets déposés. Après, le nombre de projets varie selon la taille de la collectivité, les plus grosses étant amenées à traiter environ 500 projets déposés par leurs habitants. Sur le principe, le budget participatif est une idée assez simple : "vous décidez des projets, et nous finançons et réalisons". C’est une petite dose de démocratie directe dans la démocratie représentative, puisque les élus se contentent d’instruire les dossiers, en vérifiant si le projet est conforme au règlement, en termes de coût notamment, mais ne portent pas de regard sur les projets choisis par les citoyens.

La règle forte de ce processus est donc la transparence ?

Pour nous, le succès du budget participatif tient au fait que tout est figé dans un règlement. La collectivité a un règlement bien précis : il y a égalité absolue de traitement entre les participants. On parle souvent de nouvelles méthodes d’exercice du pouvoir. Le budget participatif est quelque part le successeur de l’appel à projet, pour lequel les habitants pouvaient avoir le sentiment que pour gagner, il fallait être ami avec le maire. Le fait de donner de l’argent à des projets est vieux comme le monde, mais un système participatif, avec une place très réduite donnée à l’arbitraire et où le politique a vocation à accompagner les porteurs de projets, c’est quelque chose d’un peu plus nouveau.

Les élus voient souvent l’espace numérique comme quelque chose d’hostile à la démocratie, avec les réseaux sociaux notamment, et pas comme un outil qui peut être intégré à leur mission."

Le politique se retrouve donc avec des projets qu’il n’aurait pas forcément soutenus, c’est le jeu. Est-ce que votre outil est conçu pour que la promesse faite aux citoyens fonctionne ?

Il est fait pour que la phase d’analyse soit facilitée par les services, avec un outil d’analyse intégré qui permet de ne pas passer par Excel, et pour que cette analyse soit rendue visible aux participants, avec une réponse individualisée au porteur de projet. Toute la mécanique est faite pour que ces critères soient rendus visibles, de même que les votes ; tous les fichiers sont disponibles en open data pour que les gens n’aient pas de doute sur la transparence de la démarche. Nous sommes dans un tel contexte de défiance qu’il faut être très scrupuleux là-dessus, et dans la conception, nous avons toujours essayé de remonter aux vrais besoins en faisant en sorte que le numérique soit apprivoisé par les élus et les services. Ces derniers voient souvent l’espace numérique comme quelque chose d’hostile à la démocratie, avec les réseaux sociaux notamment, et pas comme un outil qui peut être intégré à leur mission.

Sur la partie vote, la technologie permet-elle d’assurer la sincérité des votes ?

Oui, au maximum. On ne pourra jamais garantir une sécurisation absolue et totale, mais on peut aujourd’hui s’assurer qu’il n’y a qu’une seule personne qui vote par compte. Nous allons même un peu plus loin, avec Franceconnect, en permettant de s’assurer que la personne qui se connecte est bien celle à qui appartient le compte. Ce qui est un peu paradoxal, c’est que plus vous augmentez le niveau de sécurité du vote en ligne, plus vous augmentez les contraintes pour les utilisateurs. L’effet mécanique est que cela réduit le nombre de participants, en ne retenant que les plus motivés. Cela peut alors occasionner des situations qui peuvent être assimilées à de la triche, si un utilisateur doit aider un autre par exemple ou si des logiques de réseau et de communauté entrent en compte. Il peut y avoir des budgets participatifs faits par les collectivités elles-mêmes qui ont une robustesse technique un peu moindre, mais à ce jour je n’ai pas connaissance d’un cas de fraude.

Les départements et les régions commencent donc à s’y mettre, mais cela peut également concerner de petits villages ?

Effectivement, c’est encore beaucoup moins développé que dans les grandes métropoles. Une petite collectivité de 1000 habitants vient de faire appel à nous pour lancer son budget participatif. Dans ce genre de situations, du côté des élus, il y a moins la question de la coordination des différents services et de la possibilité de traiter beaucoup de projets ; les quelques élus se retrouvent plutôt seuls avec leur plateforme et une poignée de gens si ce n’est une personne va devoir tout faire de A à Z. Hormis cela, dans l’absolu, il n’y a aucune raison pour qu’une petite commune ne puisse pas se doter d’un budget participatif.

Vous disiez que c’était généralement autour de 5% du budget qui était soumis à la participation, y a-t-il des communes qui dépassent ce seuil ?

C’est souvent ce qui est annoncé, mais la réalité semble un peu en-dessous de ce chiffre, autour de 2,5%. C’est sûr que plus il y a d’argent sur la table, plus il y a de capacité à avoir des projets et donc plus la mobilisation est importante. Par contre je ne dirais pas qu’il y a une corrélation directe entre le montant et la qualité du budget. Si vous mettez 20% sur la table mais que dans votre logique, vous êtes moins attaché à l’égalité des chances pour les participants mais plus à l’arbitraire, votre budget ne fera pas beaucoup d’heureux et ne génèrera pas beaucoup de confiance. La somme d’argent est certes déterminante, mais elle ne fait pas tout.

Une interview réalisée en partenariat avec France Inter. Pour écouter la chronique Social Lab, cliquez ici ou dans le player ci-dessous.

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