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En bref

Entreprises: le devoir de vigilance progresse en Europe et en France

Le devoir de vigilance des grandes entreprises sur leurs chaînes d'approvisionnement fait l'objet de plus en plus de procédures en France et d'une proposition de directive du Conseil européen, mais des ONG accusent les Etats de l'avoir rendu moins contraignant que le projet initial de la Commission européenne.

En France, les entreprises qui emploient plus de 5.000 salariés dans l'Hexagone et plus de 10.000 dans le monde sont tenues depuis 2017 de s'assurer du respect des droits humains fondamentaux et de l'environnement tout au long de la chaîne de valeur de leurs produits. "Depuis la première procédure lancée en 2019, les actions se sont multipliées. Aujourd'hui, 23 procédures - 17 mises en demeure et six assignations - ont ainsi été menées sur le fondement de cette loi, soit deux fois plus par rapport à mars 2021", selon un rapport publié mardi par le cabinet d'avocats d'affaires De Gaulle Fleurance.

La première entreprise assignée en justice en 2019 a été TotalEnergies pour un projet pétrolier en Ouganda et en Tanzanie. EDF est assigné à son tour en 2020 pour un projet éolien au Mexique et Suez en 2021 pour sa gestion de l'eau dans une ville au Chili. En 2021 également, Casino se trouve accusé devant la justice d'avoir participé via ses filiales sud-américaines à la déforestation en Amazonie.

Le secteur financier, qui a un rôle essentiel dans l'orientation des comportements du secteur privé, peut malheureusement continuer à financer les violations des droits humains et les dommages causés à la planète sans être tenu responsable.

En mars dernier enfin, le groupe de cosmétiques Yves Rocher est assigné par d'anciens salariés d'une filiale turque d'avoir manqué à ses obligations en matière de liberté syndicale et de droits fondamentaux des travailleurs. Le nombre d'entreprises assujetties au devoir de vigilance devrait être élargi par une directive européenne intitulée CSDDD (Corporate sustainability due diligence directive), qui vient de faire l'objet d'un accord au Conseil européen le 1er décembre.

Le secteur financier exclu ?

Aucune date d'entrée en vigueur n'est encore prévue, mais les obligations attachées au nouveau texte ne deviendront effectives dans les Etats de l'UE que trois ans après l'adoption de la directive, qui doit encore être examinée par le parlement européen avant d'être adoptée. La Commission européenne avait préconisé que soient concernées les entreprises de plus de 500 salariés et réalisant plus de 150 millions d'euros de chiffre d'affaires, avec un seuil abaissé à 250 salariés et 40 millions d'euros de chiffre d'affaires pour les secteurs où les risques de violation des droits humains ou environnementaux sont élevés, comme le textile, l'agriculture ou encore l'extraction de minerais.

Mais le Conseil européen a pris position le 1er décembre pour que, dans un premier temps, seules soient concernées les entreprises employant plus de 1.000 salariés et réalisant plus de 300 millions d'euros de chiffre d'affaires. Chaque Etat sera en outre libre d'exclure le secteur financier du devoir de vigilance, une décision qui a fait bondir des ONG.

"Le secteur financier, qui a un rôle essentiel dans l'orientation des comportements du secteur privé, peut malheureusement continuer à financer les violations des droits humains et les dommages causés à la planète sans être tenu responsable", a regretté Léa Guérin, chargée de plaidoyer sur la régulation des multinationales chez Oxfam France. Une association européenne de défense des entreprises cotées, EuropeanIssuers, défend au contraire l'exclusion des banques.

"Les ONG et l'Europe font fausse route quand elles font peser le devoir de vigilance sur les épaules des banques", car ces dernières "sont incapables d'avoir un jugement sans faute sur l'impact climatique des projets que les entreprises leur soumettent pour avoir un financement. Ces enjeux sont beaucoup trop techniques pour elles", a déclaré son président Luc Vansteenkiste, présent lors de la présentation du rapport de De Gaulle Fleurance.

Sans attendre la directive européenne, l'Allemagne s'est déjà dotée de sa propre législation (la loi LkSG) qui concernera dès le 1er janvier prochain les entreprises de plus de 3.000 salariés et à partir du 1er janvier 2024 celles de plus de 1.000 salariés. Contrairement à la loi française, la loi allemande prévoit une instance pour contrôler le respect du devoir de vigilance par les entreprises, laquelle pourra prendre des sanctions financières en cas de manquements.

Avec AFP.