Les Amis de la Terre, Survie et quatre ONG ougandaises accusent TotalEnergies de mener ce projet au mépris des droits humains et de l'environnement et somment le groupe de respecter une loi votée en 2017 qui impose aux multinationales un "devoir de vigilance" sur leurs activités dans le monde. Cette législation les oblige notamment à "prévenir les atteintes graves envers les droits humains, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l'environnement" par un "plan de vigilance".
L'audience au cœur de cette affaire, la première portée devant la justice depuis le vote de la loi en 2017, s'est tenue devant de nombreux acteurs associatifs et politiques. Elle arrive avec trois ans de retard en raison d'une bataille procédurale perdue par TotalEnergies. Les six ONG ont dans leur viseur deux chantiers colossaux du groupe: "Tilenga", un forage de 419 puits en Ouganda en partie situés dans un parc naturel, et le projet EACOP (East African Crude Oil Pipeline) destiné à transporter les hydrocarbures jusqu'à l'océan Indien en traversant la Tanzanie sur 1.445 km. La phase active des travaux a débuté en février et la mise en service du projet est prévue pour 2025.
"118.000 expropriations"
Durant cette première audience, Louis Cofflard, l'avocat des ONG, a regretté que TotalEnergies n'ait pas mis à profit les trois années de procédure pour "s'engager et se conformer à ses obligations", y voyant une "certaine forme de cynisme". Il s'est notamment désolé de ne pas trouver dans le plan de vigilance de TotalEnergies "les risques environnementaux et les incidences climatiques liés au projet". Céline Gagey, avocate de Survie, a renchéri en énumérant les oppositions au projet et plusieurs chiffres.
Quelque "118.000 expropriations partielles sont nécessaires pour ce projet", assure-t-elle, mais les populations à indemniser, souvent des petits agriculteurs, sont "privés du droit de travailler leur terre avant d'avoir reçu la moindre indemnisation". Au total, 28.000 personnes attendent toujours une indemnisation et "TotalEnergies ne prend aucune mesure pour éviter que des milliers d'agriculteurs soient privés du droit d'utiliser leur terre", poursuit-elle. "On a des demandes très concrètes de distribution de nourriture aux personnes privées des moyens de subsistance, de révision des taux de compensation, de consultation des personnes affectées", a détaillé après l'audience Juliette Renaud, des Amis de la Terre.
"Honte pour eux"
En face, l'avocat de TotalEnergies, Antonin Lévy, assure qu'il aurait "pu passer cinq heures à dénoncer" ce qu'il estime être des contre-vérités mais préfère se concentrer sur "l'irrecevabilité" de la demande des ONG. Entre autres raisons, il note que l'assignation lancée en 2019 visait le plan de vigilance de 2018, qui a évolué depuis, et que le juge des référés ne peut prendre des mesures extra-territoriales. Le projet, rappelle Me Lévy, est mené par TotalEnergies Ouganda, une filiale du groupe français.
Les ONG veulent en réalité faire "le procès de TotalEnergies, de Tilenga et d'EACOP, de la Tanzanie, de l'Ouganda et leurs dirigeants", assène l'avocat, dénonçant "cette obstination à être (...) celui qui fera peut-être jurisprudence, au détriment des populations concernées". De quoi faire fulminer l'eurodéputé français Pierre Larrouturou (S&D, gauche), présent à l'audience: "j'ai trouvé que les avocats de Total se moquaient du monde". Et de citer l'exemple d'un Ougandais rencontré sur place. "Il nous a dit: 'ils m'ont obligé à signer et m'ont donné 6 millions de shillings, mais il me faudrait 12 millions pour avoir la même surface'. On a fait le calcul, ce qu'il manque à ce monsieur et sa famille, c'est 1.600 euros (...) j'ai honte pour eux".
Après l'audience, TotalEnergies a assuré à l'AFP que son "plan de vigilance identifiait bien les risques répondant aux préoccupations des ONG" et qu'il était "mis en œuvre de manière effective", le groupe s'étant "assuré que sa filiale en Ouganda avait bien appliqué les plans d'actions adaptés". Le groupe assure aussi que, selon des chiffres indépendants d'octobre, 92% des accords de compensation avaient été signés et 88% des compensations payées sur le projet Tilenga en Ouganda. Délibéré attendu le 28 février.
Avec AFP.