Au mois de mai dernier, au terme d’une Assemblée générale sous tension, vous avez soumis au vote consultatif la stratégie climat de l’entreprise. Certains de vos actionnaires ont émis des réserves quant aux objectifs présentés. Quel regard portez-vous là-dessus ?
89 % des actionnaires de TotalEnergies ont approuvé cette stratégie, ce qui représente un très large consensus. Quoiqu’il en soit, nous sommes très attachés au dialogue avec nos actionnaires et ouverts aux critiques : c’est ainsi que l’on progresse. Nous savons que l’on suscite des attentes importantes, que nous devons aller le plus loin et le plus vite possible compte tenu de l’urgence climatique : c’est ce que l’on s’attache à faire dans notre jeu de contraintes.
Notre dernier rapport (Sustainability and climate 2022 progress report, ndlr) rend compte, non seulement des objectifs à venir, mais également du chemin parcouru. Montrer d’où l’on vient, où nous sommes aujourd’hui et où nous serons demain crédibilise notre transformation. En 2015, nous étions une grande entreprise pétrolière, avec 65 % de pétrole dans notre mix. En 2050, nous serons une grande entreprise électricienne et productrice de molécules décarbonées.
Au-delà des attentes de la part de vos actionnaires, vous faites également l’objet de vives critiques de la part de l’opinion publique, des associations... Que leur répondez-vous ?
La plupart des gens voient toujours TotalEnergies comme Total... Nous entendons parfaitement les critiques : c’est pour cela que l’on se transforme. Nous disons à l’ensemble de nos parties prenantes, comme aux ONG qui nous challengent, que nous voulons prendre part dans la lutte contre le réchauffement climatique. Nous devons faire partie de la solution et pour cela, nous nous mobilisons, nous investissons... Cette transformation prend du temps et ne peut se faire seule. Nos clients, nos partenaires, les pouvoirs publics doivent aussi y prendre part. Enfin, notre rôle est de fournir de l’énergie : nous faisons partie du quotidien de tout le monde et avons, en ce sens, une belle mission. Je crois que les collaborateurs de TotalEnergies sont fiers de ce qu’ils font et de cette transformation.
Pour réussir cette transformation, comment envisagez-vous le mix TotalEnergies en 2050 ?
La transition énergétique passe par l’électrification des usages de l’énergie. Concrètement en 2050, nous entendons devenir un électricien, avec 75 % de renouvelables et molécules décarbonées au sein de notre mix. Nous pensons qu’il restera encore 25 % d’énergie fossiles - majoritairement du gaz - pour les usages n'ayant pas trouvé d’alternatives.
Notre ambition est de nous placer dans le top 5 mondial de l’électricité renouvelable. Pour cela, nous injectons 3,5 milliards d’euros par an pour développer l’éolien offshore, les sites photovoltaïques... Considérant les investissements que l’on fait aujourd’hui, nous sommes déjà parmi les leaders mondiaux du développement de l’électricité renouvelable.
Pour qu’à terme, les énergies renouvelables puissent couvrir les besoins, il faut une solution de transition. Le gaz permet de produire de l’électricité de façon deux fois moins carbonée que le charbon."
TotalEnergies mise notamment sur le gaz naturel, un combustible fossile. En quoi celui-ci a-t-il, à vos yeux, toute sa place dans la transition énergétique ?
Aujourd’hui, 62 % de l’électricité dans le monde est produite par les énergies fossiles, dont 36 % par le charbon. La quantité d’électricité à délivrer par les renouvelables – qui représentent pour l’heure 10 % de la production totale – est colossale. Pour qu’à terme, celles-ci puissent couvrir l’ensemble des besoins, nous pensons qu’il faut une solution de transition. Le gaz permet ainsi de produire de l’électricité de façon deux fois moins carbonée que le charbon, que l’on doit éradiquer. Les pays qui l’on fait, comme les Etats-Unis ou le Royaume-Uni, ont vu une baisse très importante de leurs émissions.
Le gaz, moins émetteur de CO2 que le charbon, est principalement composé de méthane, au puissant pouvoir réchauffant. Comment répondre à cette problématique ?
D’ici 2030, nous entendons réduire nos émissions de gaz à effet de serre directes liées à nos sites opérés – scope 1 et 2 – de 40 %. À l’intérieur de cet objectif, nous avons un sous-objectif spécifique : tendre vers le zéro méthane. Pour ça, le but est de faire baisser ces émissions de 50 % d’ici 2025, puis 80 % d’ici 2030, par rapport à l’année 2020. Lors de la dernière décennie, nous avons déjà réduit nos émissions de méthane de moitié, qui aujourd’hui, ne représentent déjà plus qu’une faible part du scope 1 et 2.
Une baisse de 40 % des émissions directes est-elle alignée avec les objectifs fixés par l’accord de Paris ?
Oui. Cet objectif représente une baisse de près de 19 millions de tonnes d’émissions. Si l’on compare cela aux feuilles de route fixées par les Etats, nous sommes sur le même ordre de grandeur. Au niveau européen, le plan Fit for 55 vise une baisse des émissions des pays de 55 % par rapport à 1990. La date de référence de TotalEnergies est 2015 : ce qui représente donc une équivalence de 39 % pour les Etats européens. En 2021, nous avions déjà fait une bonne partie du chemin avec une baisse de 20 % de nos émissions scope 1 et 2. Enfin, concernant le scope 3 – soit les émissions indirectes liées par exemple à la consommation de nos produits par nos clients -, nous visons le "Net zero" en 2050, avec la société. Pour y parvenir, nous transformons donc notre mix énergétique.
À l’heure actuelle, le pétrole reste un produit de première nécessité. Il faut donc préparer une alternative mais en attendant, il faut en fournir."
L’Agence internationale de l’énergie (AIE) recommande d’oublier tout nouveau projet fossile pour espérer atteindre la neutralité carbone. Pourquoi continuer à développer des projets pétroliers ?
Notre priorité est de préparer nos relais de croissance dans les renouvelables et le gaz. Concernant les projets pétroliers, il faut bien considérer que ceux-ci déclinent naturellement. Ils ont une chronique de production de 5 ou 6 ans -période que l’on appelle "le plateau". Si le monde entier arrêtait maintenant de développer des projets pétroliers, nous ferions face à une décroissance deux fois plus rapide de l’offre par rapport à la demande actuelle. Cette situation s’illustre d’ailleurs dans le contexte d'aujourd’hui : les prix s’envolent, il y a moins de production que de demande, cela créé de fortes tensions. À l’heure actuelle, le pétrole reste un produit de première nécessité. Il faut donc préparer une alternative mais en attendant, il faut aussi fournir l’énergie d’aujourd’hui.
Toutefois, nous sélectionnons les projets sur lesquels nous investissons et ceux-ci doivent répondre à deux critères : des coûts et une intensité carbone faibles, qui permette de continuer progressivement à faire baisser notre empreinte.
TotalEnergies, certes, est une grande entreprise, mais ne pèse qu’1,5 % du marché mondial du pétrole. En ce sens, nous essayons de faire notre métier avec des standards qui soient les plus poussés de la profession. Je crois que l’on participe ainsi à la tirer vers le haut.
Parmi les plus récents, le projet pétrolier en Ouganda fait notamment polémique...
À ceux qui contestent ce projet, nous rappelons qu’il ne s’agit pas d’un projet de TotalEnergies, mais de l’Ouganda, un pays souverain, qui entend se développer en exploitant ses ressources naturelles. Il faut prendre en compte la disparité des enjeux entre les pays développés et les pays en développement. Les premiers doivent baisser rapidement et immédiatement leurs émissions, les seconds doivent se développer, s’industrialiser, avoir accès à l'énergie.
Enfin, il s’agit d’un projet pétrolier qui répond à nos critères d’exigence en faisant baisser l’intensité carbone de nos portefeuilles. TotalEnergies a été sélectionné par l’Ouganda car nous garantissons le respect des plus hautes normes environnementales et sociales du secteur pour la mise en œuvre de ce projet.
Plus largement en matière de développement durable, quels sont les autres points sur lesquels vous portez une attention particulière ?
Au-delà de nos objectifs climatiques, nous avons plusieurs autres piliers dans notre stratégie. Le bien-être des personnes d’abord, puisque l’on considère que cette transformation doit s’effectuer avec tout le monde à bord. C’est ce que l’on appelle la transition juste : nous nous attachons à faire monter en compétence chacun de nos collaborateurs sur ces sujets.
Autre pilier, prendre soin de l’environnement. En cela, nous nous attachons à limiter les atteintes à la biodiversité, être attentif à notre consommation d’eau, tendre vers une économie circulaire... Nous effectuons par exemple des études environnementales sur chacun de nos sites pour identifier la faune et la flore présentes sur place et appliquons la méthode “éviter, réduire, compenser” : nous évitons d’impacter la biodiversité du site ; lorsque c’est le cas nous réduisons cet impact au maximum, et le cas échéant ; nous le compensons en régénérant la biodiversité.
Enfin, le dernier pilier est la création de valeur partagée. Si nous produisons de l’énergie, c’est parce que c’est utile aux gens : nous devons rendre compte de la manière dont celle-ci contribue aux développements socio-économiques autour du monde de nos clients et partenaires locaux.
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