Hélène Valade, Directrice du développement Environnement chez LVMH.
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Hélène Valade (LVMH) : "Le modèle initial du luxe est celui de la durabilité"

Leader de l’industrie du luxe, LVMH a rehaussé ses ambitions environnementales en 2020 avec l’arrivée de sa nouvelle Directrice du développement Environnement, Hélène Valade. Également présidente de l’Observatoire de la RSE (ORSE), elle a misé sur l’économie circulaire et la protection de la biodiversité, entre autres, à travers le programme LIFE 360.

Vous êtes arrivée chez LVMH en janvier 2020 avec la conviction que l’entreprise doit contribuer à la construction d’un monde plus durable. Comment mettez-vous cette idée à l’œuvre ?

Je ne connaissais pas particulièrement l’univers du luxe. Je me suis donc d’abord attachée à comprendre les enjeux propres aux différents secteurs de LVMH, à découvrir la richesse de ce qui avait été déjà réalisé, avant de proposer un nouveau cadre d’action. Ce travail a donné lieu au programme LIFE 360, nouvelle boussole environnementale du Groupe, qui vise en effet à faire émerger un monde plus durable.

La crise sanitaire a par ailleurs mis en exergue l’utilité sociétale des entreprises. Chez LVMH, dès le mois de mars, nous avons été les premiers à transformer nos usines de parfums et cosmétiques en unités de production de gel hydroalcoolique, nos ateliers de couture en fabrication de masques...

C’est une belle illustration d’une idée que je défends depuis longtemps : l’entreprise n’est pas seulement sur un marché financier, elle contribue aussi à des enjeux de société.

Le groupe LVMH compte plus de 70 marques à travers cinq secteurs d’activité : mode et maroquinerie, vins et spiritueux, parfums et cosmétiques, montres & joaillerie, distribution sélective. Le programme environnemental LIFE 360 a succédé à LIFE 2020 et entend avoir "une approche systémique" des questions environnementales. Il fixe des objectifs à court et moyen terme : 2023, 2026, 2030.

L’empreinte carbone du Groupe, telle que vous l’avez évaluée, s’élevait en 2019 à 4,8 millions de tonnes d’émissions annuelles. Quelle méthode de calcul avez-vous appliquée ?

Ce chiffre prend en compte ce que l’on appelle les scopes 1,2 et 3 : l’addition de ces trois niveaux est la mesure la plus rigoureuse pour dresser un bilan carbone, à l’échelle des 75 Maisons du Groupe. 

Les émissions directes de gaz à effet de serre (scope 1) et les émissions indirectes liées à la consommation énergétique (scope 2) proviennent essentiellement des boutiques et de nos sites industriels ; à celles-ci s’ajoutent les autres émissions indirectes, celles liées à la chaine de valeur complète (scope 3) : les matières premières, les trajets domicile-travail, le transport de nos produits vers nos clients... Ce troisième niveau concerne 94 % des 4,8 millions de tonnes d’émissions évaluées.

Le modèle initial du luxe est bel et bien celui de la durabilité : nous fabriquons des produits qui se transmettent de génération en génération.”

La mode, l’un de vos secteurs d’activité principaux, compte parmi les industries les plus polluantes... Le luxe et le développement durable sont-ils compatibles ?

L’industrie du textile n’a effectivement pas bonne presse puisqu’elle est très émettrice de CO2. Or le textile dans sa globalité n’est pas le luxe : si l’on prend l’exemple de l’empreinte carbone de LVMH et de ses 4,8 millions de tonnes d’émissions annuelles, cela représente seulement 0,5 % de l’empreinte totale de l’industrie mondiale du textile.

Il faut également rappeler que le modèle initial du luxe est bel et bien celui de la durabilité : nous fabriquons des produits qui se transmettent de génération en génération.

Quoiqu’il en soit, nous considérons qu’en tant que leader de notre secteur, nous devons être exemplaires. Le programme LIFE 360 fixe ainsi un objectif de réduction de 50 % des émissions de CO2 des scopes 1 et 2 d’ici 2026, et de 55 % des émissions de CO2 du scope 3 d’ici 2030.

Comment comptez-vous y parvenir ?

Pour les deux premiers niveaux, il s’agit par exemple de réduire notre consommation énergétique en faisant progresser les renouvelables dans notre mix. Pour le scope 3, nous cherchons à limiter l’empreinte des matières premières en mettant notamment en place des solutions de recyclage, de la circularité, la recherche de matériaux alternatifs... Le transport est également l’un de nos leviers d’action : utiliser moins d’aérien et plus de maritime. Il faut interroger nos habitudes : si l’on faisait différemment, quel serait l’impact ?

Vous plaidez notamment pour une "circularité créative"...

L’utilisation de matières très nobles, durables en tant que telles, fait partie de l’ADN du luxe. Cette perspective permet d’envisager aisément l’économie circulaire, le recyclage, l’upcycling, la seconde vie... La circularité créative est donc l’un des principaux piliers de LIFE 360 et doit inspirer nos designers. Cela se traduit par différentes innovations permettant de renouveler les codes du luxe.

Dans le secteur de la mode par exemple, Virgil Abloh (directeur artistique de Louis Vuitton Homme, ndlr) a été le premier en août dernier à proposer une collection avec un certain nombre de pièces upcyclées. Du côté des vins et spiritueux, la maison Ruinart a inventé un nouvel emballage appelé "seconde peau", extrêmement réduit en poids et en composition. Le 26 avril, LVMH a également lancé "Nona Source", une plateforme de revente des tissus dits "endormis" - qui n’ont plus d’utilité - entre toutes les Maisons de mode du Groupe mais aussi accessible à de jeunes designers extérieurs.

Au fond, le luxe est en train de redonner ses lettres de noblesse au "green", qui avait jusque-là la réputation de ne pas toujours être désirable.

L’ambition de LIFE 360 est de rééquilibrer la créativité et la nature, d’en faire une alliance sans que l’une ne domine l’autre."

La biodiversité compte parmi les sujets fondamentaux de LIFE 360. Pourquoi ?

C’est en effet un véritable enjeu pour LVMH puisque tous les produits du Groupe sont dépendants de la nature. Il n’y a pas de champagne sans raisin, pas de vêtements sans coton ou soie, pas de parfums et cosmétiques sans espèces végétales...

L’ambition de LIFE 360 est donc de favoriser l’alliance de la créativité et de la nature, sans que l’une ne domine l’autre. Et pour cela, nous n’entendons pas seulement limiter nos impacts, mais plutôt régénérer la biodiversité, rendre à la nature ce que nous lui empruntons.

Cet aspect du programme LIFE 360 mobilise fortement les Maisons LVMH : la régénération de la biodiversité associée à la préservation des savoir-faire et de l’artisanat est au cœur de la raison d’être de leurs produits.

Quelles actions mettez-vous en place concrètement ?

L’objectif d’ici 2030 est d’avoir réhabilité 5 millions d’hectares d’habitat de faune et de flore.

Pour cela, nous démarrons des tests d’agriculture régénératrice dans l’ensemble de nos secteurs d’activité. Par exemple, nous travaillons avec les cultivateurs de coton - très consommateur d’eau et de pesticides - à une gestion raisonnée de l’arrosage sur les champs, au remplacement des produits chimiques par des bio-engrais... Nous cherchons également à réintroduire d’autres sources de biodiversité dans les régions où les vignobles s’étendent à perte de vue... Notre partenariat avec l’UNESCO nous permet également d’aider les communautés locales à travers le monde à régénérer la biodiversité dans des régions identifiées comme des réserves. Nous travaillons notamment beaucoup au Brésil, qui a souffert ces dernières années, en soutenant les populations pour éviter l’économie parallèle et ainsi freiner la déforestation.

Sentez-vous une attente de plus en plus exigeante sur ces questions, tant de la part des consommateurs que des investisseurs ?

Absolument. Nous vivons je crois un moment charnière et entrons dans une nouvelle ère. D'autant que cette crise sanitaire a cristallisé et amplifié des attentes déjà présentes auparavant.

Ces exigences sont aussi largement portées par la nouvelle génération qui arrive sur le marché du travail aujourd’hui, très préoccupée par ces questions. Cette perspective change beaucoup de choses, que ce soit chez nos clients, nos collaborateurs, les investisseurs... Tous expriment le besoin d’avoir affaire à des entreprises porteuses de valeurs.

L’ambition environnementale de LVMH peut donc être une source d’attractivité à tous les niveaux. Elle nous permet de répondre à une clientèle exigeante sur ces questions, mais également d’attirer de jeunes talents - et nous en avons besoin puisque tout notre savoir-faire repose sur la capacité inventive des personnes qui travaillent chez nous. Au total, elle nous permet de rendre compte d’une performance globale qui révèle de bons résultats, tant sur le plan financier qu’extra-financier. Aujourd’hui, les investisseurs sont très attentifs à cette performance globale et nous questionnent de plus en plus fréquemment sur la valeur environnementale.

 

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