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Finance durable

Dividendes écologiques et sociétaux : la Terre comme actionnaire

Dans un contexte de réflexions et de débats autour de la responsabilité des entreprises face aux grands défis environnementaux et sociaux de notre temps, le Crédit Mutuel Alliance Fédérale et la MAIF ont respectivement lancé en 2023 un "dividende sociétal" et un "dividende écologique", avec l’idée de faire de la planète un actionnaire à part entière.

Les noms diffèrent, mais l’ambition reste la même. Début 2023, la banque Crédit Mutuel Alliance Fédérale et l’assureur MAIF ont tous deux annoncé leur décision de consacrer chaque année une partie de leur bénéfice net au financement de projets et d’actions à fort impact environnemental et/ou social.

Chez le Crédit Mutuel Alliance Fédérale, l’initiative prend la forme d’un "dividende sociétal", qui représente chaque année 15 % de son résultat net, soit 439 millions d’euros en 2023 (et 617 en 2024), une enveloppe répartie entre trois mécanismes: un Fonds de Révolution Environnemental et Solidaire investissant dans des projets entrepreneuriaux à fort impact environnemental et ce "sans objectif de rendement", le développement de nouveaux services 'solidaires' adressés aux clients et sociétaires de la banque, et le renforcement de ses activités de mécénat orientées vers des projets en faveur de la « solidarité territoriale » et de l’environnement.

Du côté de la MAIF, le "dividende écologique" a atteint pour sa première année un montant de 8,2 millions d’euros, soit 10 % de son résultat net, dont une majeure partie a été affectée au Fonds MAIF pour le vivant, "qui finance des actions concrètes pour protéger et régénérer la biodiversité à partir de solutions basées sur la nature, détaille Hélène N’Diaye, directrice générale adjointe de l’assureur. Pour s’assurer que les projets soutenus ont bien un impact sur cette thématique, nous nous sommes associés au Fonds Nature 2050 porté par CDC Biodiversité, dont le comité de pilotage et le conseil d’administration sont composés d’experts techniques et scientifiques".

En 2023, le Fonds MAIF pour le vivant a soutenu trois premières initiatives pour une enveloppe totale de plus d’un million d’euros : la restauration du Lathan, un cours d’eau en Maine-et-Loire, un projet de préservation des Marais du Vigueirat, en Camargue, et un projet d’adaptation des espaces publics aux changements climatiques à Rion-des-Landes, en Nouvelle-Aquitaine. "Cette année, une dizaine de nouveaux projets ont été identifiés autour des thèmes notamment de la biodiversité en ville, des écosystèmes marins et côtiers, de la restauration de la continuité écologique, de la restauration des zones humides et cours d’eau et de la transition agricole et forestière", précise Hélène N’Diaye.

Comme le Crédit Mutuel Alliance Fédérale, la MAIF affecte également une part de son dividende écologique à l’accompagnement de ses sociétaires, en particulier ceux qui sont les plus vulnérables au risque climatique. "Nous avons parfois tendance à oublier les inégalités sociales générées par le changement climatique, relève la directrice générale adjointe de la MAIF. En 2023, nous avons ciblé 1 800 sociétaires partout en France et résidant dans des zones très exposées notamment au risque d’inondation, afin de leur proposer un diagnostic gratuit de vulnérabilité de leur résidence principale. Parmi eux, 340 ont effectué la démarche, et nous avons ensuite proposé une aide au financement de mesure de prévention à près de la moitié d’entre eux pour un montant allant jusqu’à 13 500 euros par personne, sous condition de revenus et selon la composition du foyer."

Le dividende écologique vise à protéger la planète, mais aussi à préserver notre métier à moyen/long terme."

Pour l’assureur mutualiste, la mise en place de ce dividende écologique s’inscrit dans une démarche pragmatique, poursuit Hélène N’Diaye : "En finançant des projets permettant de limiter le risque climatique et en accompagnant nos sociétaires dans la mise en place de mesures de prévention, nous pouvons réduire les coûts pour nos assurés en cas de sinistres. Le dividende écologique vise à protéger la planète, mais aussi à préserver notre métier à moyen/long terme".

La planète comme actionnaire 

Le lancement de ces deux initiatives intervient par ailleurs dans un contexte où la responsabilité et le rôle des entreprises face aux grands défis sociaux et environnementaux sont de plus en plus scrutés par leurs parties prenantes. "Nous devons sortir d’une logique financière de court terme pour faire face aux exigences de l’environnement et de la solidarité. Les besoins de solidarité croissants, les transformations écologiques profondes, appellent les entreprises à partager plus et avec le plus grand nombre", clamait Nicolas Théry, alors prédisent du Crédit Mutuel Alliance Fédérale, lors du lancement du dividende sociétal.

Depuis plusieurs années, les dividendes, notamment alimentent de nombreux débats autour de la redistribution et du partage de la valeur créée par les entreprises. Selon un rapport annuel de Janus Henderson, le versement de dividendes à travers le monde a atteint l’an dernier 1 655 milliards de dollars, en progression de 5,6 % sur un an, dont 68,7 milliards en France. Des montants record que certains aimeraient voir au moins en partie redirigés vers le financement de la transition écologique et de l’économie réelle. "Tandis que l’investissement dans les entreprises du CAC 40 avait baissé de 5 % entre 2009 et 2018, le versement de dividendes aux actionnaires avait lui augmenté de 70 % sur la même période. Un tiers du CAC 40 avait même versé des dividendes au moins une fois sur la période, alors qu’ils affichaient des pertes. Cette pression de rentabilité croissante de la part des actionnaires s’est donc faite au détriment de l’investissement, au détriment de la société et de la planète", regrettait par exemple Oxfam en 2023.

Selon l’ONG, un plafonnement de la part des bénéfices versés aux actionnaires du CAC 40 en 2018 à 30 % aurait "permis de couvrir 98 % des besoins en investissement dans la transition écologique des entreprises du CAC 40". En lançant ces initiatives, les deux groupes mutualistes espéraient d’ailleurs entraîner d’autres grandes entreprises dans la démarche. "Nous avons voulu faire passer le message que la planète pouvait être convoquée en tant 'qu’actionnaire'. Nous voulions aussi adresser un signal positif au monde capitaliste, pour leur dire de penser à la planète quand il distribue des dividendes. Nous sommes conscients que la MAIF à son échelle ne pourra pas régler le problème, qui est collectif", rappelait il y a quelques mois Nicolas Boudinet, directeur général délégué MAIF sur le dividende écologique. "Le choix du mot “dividende” n’est pas anodin, complète Hélène N’Diaye. La MAIF est une société d’assurance à forme mutuelle et n’a donc pas d’actionnaires, mais nous avons considéré dans le cadre de notre stratégie globale que nous avons tous un actionnaire commun qui est la planète, l’environnement et le climat".

Mais pour généraliser cette pratique, qui n’a pas fait d’émules à ce jour, il est nécessaire que les actionnaires des entreprises cotées jouent le jeu, reconnaît la directrice générale adjointe de la MAIF. Chez les deux groupes mutualistes, la mise en place des dividendes écologiques et sociétaux s’est faite avec l’aval des sociétaires. En revanche, faire accepter aux actionnaires qu’ils baissent leurs propres dividendes au profit de la planète est une autre paire de manches. Pour inciter d’autres acteurs à se lancer, la MAIF a notamment "milité auprès des pouvoirs publics pour la mise en place d’un impôt différencié en fonction des actions des entreprises", indique Hélène N’Diaye. Pour autant, si les dividendes écologiques et sociétaux viennent à se démocratiser, encore faudra-t-il qu’ils s’inscrivent dans une politique globale cohérente en matière de durabilité, prévenait Oxfam l’an dernier.

 

 

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