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INFO-FICTION

2049 : nous vivons à crédit (carbone), et ce n’est pas un poisson d’avril

[ID en mode fiction futuriste] Après une telle multiplication des catastrophes climatiques, nos gouvernements ont dû prendre des mesures radicales. Nous sommes en 2049 et nous avons tous désormais un quota carbone annuel à ne pas dépasser. C’est du délire… Comment avons-nous bien pu en arriver là ?

"Tu te souviens du temps où nos parents émettaient en moyenne chacun 6, 9 tonnes d’équivalent CO2 par an ?

-Cette blague. Mon père m’a raconté la vie de roi qu’il menait à 31 ans, en 2019 : les bières qu’il s’enfilait en terrasse au canal Saint-Martin, les fringues neuves qu’il s’achetait à chaque nouvelle saison, le chauffage électrique qu’il mettait à fond chez lui l’hiver, les week-ends où il partait en voiture avec ma mère au bord de la mer, les restaurants non-végétariens, le streaming en veux-tu en voilà sur un truc qui s’appelait 'Netflix', les voyages au Brésil, au Sri Lanka, au Japon, les déchets qu’il triait à l’instinct… Et puis, c’est précisément l’année où ma mère est tombée enceinte de moi, et ils ne se sont pas posé de question sur le fait d’avoir un enfant ou non. C’était ok. C’est fou d’imaginer l’insouciance dans laquelle les gens vivaient à l’époque !

-Ils ont tout flingué et nous 'on paie les pots cassés', comme ils disent. Quelle expression de vieux. C’était vraiment une génération à la ramasse. Quand tu sais qu’à l’époque ils dansaient sur Djadja, ce vieux tube qu’on a entendu hier sur Nostalgie, et qu’ils faisaient des 'stories' sur Instagram en mode 'regardez ma vie est trop cool, même si accessoirement je suis en train de pourrir la planète', t’as compris.

-Ah ah ! Après, à côté de ça, il y avait plein de mobilisations climat dans le monde à ce moment-là, les gens suivaient l’appel de Greta Thunberg, ils se bougeaient un peu quand même. Quand on y pense, elle n’avait que 16 ans, une vraie gamine ! Heureusement qu’elle était là pour tirer la sonnette d’alarme.

-Oui enfin bon, c’est loin d’être la seule à avoir essayé d’éveiller les consciences. D’après ce que je sais, en 2018, un rapport de scientifiques avait alerté les États sur les conséquences d’un réchauffement des températures au-delà d’1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels. Ça n’a pas tellement empêché les gens de dormir apparemment… Certaines personnes essayaient de faire des choses à leur échelle, mais du côté des gouvernements, ça a été bien long avant que des mesures concrètes n’émergent. Tu te rends compte qu’avant 2021 en Europe, les gens utilisaient des cotons-tiges, buvaient leurs cocktails avec des pailles, organisaient des pique-niques avec des couverts en plastique… Quand on y pense, c’était hier ! On était des tout-petits nous, on a presque connu ça !

-Ça devait être ridicule, j’imagine leur salle de bains pleine de cotons jetables, les flacons de gel douche et de shampoing… Le shampoing solide en 2019, c’était limite marginal ! Si le poids de leurs poubelles avait été taxé à l’époque, je crois bien que ma famille aurait été ruinée.

-Sans compter tout le plastique qu’ils devaient jeter ! D’après ma belle-mère, tu pouvais trouver dans les rayons de supermarché des bananes, des oranges et même des concombres emballés dans du plastique, comme si la nature ne leur avait pas naturellement donné une écorce ou une peau. Ça ne choquait pas plus que ça.

-Un peu quand même, mon père m’a raconté qu’il avait participé à une plastic attack en 2018.

-C’est quoi ça, il a attaqué des gens avec des pailles et des sacs jetables ?

-Que tu es drôle. Il y a eu pas mal d’opérations du genre dans le monde, en gros des gens faisaient leurs courses, les payaient, et laissaient tous les emballages en plastique superflus dans leur caddie, pour dénoncer le suremballage.

-Oui je vois, pour dénoncer ce qui fait qu’aujourd’hui, il y a plus de plastique que de poissons dans les océans. Je crois qu’au fond, le mal était déjà fait, ou du moins bien entamé. Et la réaction n’a pas été assez vive. Résultat, après la génération 'déraison', bonjour la génération 'modération'. On est en plein dedans.

-Tu regrettes d’en faire partie ? Dire que ça fait presque vingt ans qu’on vit avec ce quota d’émissions carbone à ne pas dépasser ! On avait 10 ans quand ça a commencé.

-Oui, c’est fou ! Mais non, je n’envie pas le quotidien qu’avaient nos parents, en fait. Je me sens en accord avec mes valeurs. Par contre, nous en sommes en avril et je vois bien que je vais être dans le rouge assez vite dans l’année si je continue à ce rythme : j’ai fait un trajet exceptionnel en voiture la semaine dernière pour le travail, sans penser à faire de covoiturage, et j’ai craqué pour un bon gros steak industriel hier. Je vais sans doute devoir renoncer à mon voyage aux États-Unis avec ma copine cet été.

-En même temps, un voyage en avion c’est juste la folie, tu exploses ton bilan carbone ! En espérant qu’elle ne te quitte pas pour un mec qui a un meilleur score et qui pourra se le permettre !

-Ne rigole pas avec ça, c’est arrivé à un pote. Il ne prenait jamais les transports en commun mais tout le temps sa moto, il faisait tourner son lave-linge classé D quatre à cinq fois par semaine, il avait un téléphone perso et un autre pour le boulot, il était beaucoup trop accro aux burgers et boudait les légumineuses, il prenait plein de bains et il ne triait pas le plastique souple ! Pour couronner le tout, il vit dans un immeuble qui n’a pas encore été rénové sur le plan énergétique. YOLO, comme au début du siècle ! Pour rattraper son bilan carbone annuel, il va sans doute devoir passer l’été à faire le tour des plages françaises pour ramasser des déchets, et encore, ça ne suffira pas ! L’an prochain, il risque de voir son quota annuel 'd’émissions autorisées' revu à la baisse, et puis une sacrée sanction financière ! Son comportement a vraiment fâché sa copine, elle est partie.

-Ah oui, je vois qui c’est, il n'est pas du genre à faire les friperies non plus ! En plus, impossible de tricher sur nos activités, on est tellement fliqués avec cette puce dans l’avant-bras !

-Justement, tu ne trouves pas que ça fait un peu régime autoritaire ?

-La liberté d’expression se porte bien chez nous, je crois qu’on est bien loin de vivre dans une dictature ! On n’avait juste plus le choix. Comment tu voulais que ça évolue de toute façon ? Les gens ont été trop lents à la détente, sans ces quotas imposés à l’échelle mondiale on allait droit dans le mur. Mais bien sûr, heureusement avant tout que des mesures drastiques ont été prises dans le secteur de l’industrie, du transport, du bâtiment, de l’énergie, de l’agriculture et des déchets, la base quoi !*

-Quand même, on aurait pu ne pas en arriver là... Nos parents, leurs parents et SURTOUT leurs gouvernements auraient pu éviter une partie des catastrophes climatiques des dernières années.

-C’est vrai. Mais estime-toi heureux d’être toi, aujourd’hui : à la surconsommation, nous avons préféré la vie. Et crois-moi, nous sommes bien plus rock’n’roll que nos parents. Ça te dit, une virée en Normandie entre potes à vélo cet été ?

-Grave ! De toute façon, prendre l’avion pour les États-Unis, c’est tellement 2019…

*En France, le plan climat présenté en juillet 2017 prévoit "la neutralité carbone au milieu du siècle, c’est-à-dire  ‘zéro émission nette’", rappelle Le Monde dans "un ‘ ambitieux’ scénario de ‘zéro émission nette’ de CO2". Le quotidien précise que "cela ne signifie pas que les émissions nationales (…) seront alors nulles, mais qu’elles auront très fortement décru et que le reste sera compensé soit par des puits de carbone naturels absorbant le reliquat (…), soit par des techniques de captage et stockage du CO2 " Lire l’article pour découvrir ce scénario, en 2050.