Ancien tracer, Gilles Vernet est devenu professeur des écoles en classe de CM2 pour reconsidérer son rapport au temps.
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Reprendre le temps, « notre plus chère richesse, la seule chose qui fasse vraiment notre vie »

Manque de temps et d’épanouissement, stress, mal-être… Ces maux semblent omniprésents aujourd’hui, et ce malgré le degré d’avancement de nos sociétés. Mais face à ce constat, apprendre à reprendre le temps et remettre en question les causes de cet emballement est loin d’être impossible.   

La modernité est affaire de vitesse, et nous l’apprenons à nos dépens. Tout juste le temps de gagner sa vie, et trop peu de temps pour vaquer à des occupations qui nous tiennent à cœur, pour la contemplation et les choses « inutiles », etc. À la place, bien souvent, des sollicitations cognitives trop nombreuses, des impératifs, de nouvelles technologies de l’information et de la communication dont on ne se passe plus, qui nous confisquent plus de temps qu’elles nous en font gagner… Aujourd’hui, la thématique du ralentissement fait son chemin, tant ce système qui va trop vite semble ne plus pouvoir faire illusion. C’est du moins l’analyse de Gilles Vernet, autrefois trader, aujourd’hui instituteur dans une école du 19ème arrondissement de Paris, écrivain et réalisateur engagé. 

Le temps, c’est de l’argent 

Notre rythme de vie semble voué à s’accélérer sans cesse, et cette sensation d’emballement est notamment due à des impératifs perpétuels de croissance, d’efficacité et de rentabilité. Seulement, cette course contre la montre perpétuelle n’est pas irrémédiable, du moins à l’échelle individuelle, et Gilles Vernet le sait bien. Lui qui a délaissé sa carrière de banquier-trader, qu’il avait embrassée en partie car « bon en maths », en devenant instituteur à 33 ans, l’a fait pour rompre avec cette logique chronophage. Et lorsqu’on l’interroge sur son changement de vie, M. Vernet aborde spontanément la question de l’argent. Ce dernier peut être un important moteur de vie, en ce qu’il est nécessaire pour bénéficier d’un certain confort. Cependant, à trop y voir une fin plutôt qu’un simple moyen, nous courrons le risque de perdre le sens des proportions, des priorités, et de surestimer le rôle de la richesse matérielle dans l’épanouissement. Pour Gilles Vernet, la place de l’argent dans nos sociétés est disproportionnée, tant au niveau macroscopique qu’à l’échelle individuelle. 

L’ancien trader sait de quoi il parle, lui qui a pu voir de l’intérieur une partie des rouages du système financier. « Le poids de la finance dans notre système actuel est croissant », estime l’auteur de Tout l’or du monde, ouvrage paru en 2021 dans lequel ce thème occupe une place centrale. « Elle imprime une obligation d’augmenter les profits, et absorbe de plus en plus de temps, car le temps, c’est de l’argent », poursuit-il, ajoutant que la course au profit est dangereuse pour les individus autant que pour notre planète, ce que mettent en évidence de nombreuses études récentes. À titre individuel, vouloir gagner toujours plus, c’est prendre le risque que l’argent prenne en retour tout notre temps. Et chercher à dire stop ne doit pas revenir à tomber dans le « tout ou rien ». « Il ne faut pas caricaturer et dire que ralentir, c’est chercher à être pauvre. Ce qui est en jeu, c’est de trouver le bon équilibre, et de mesurer ce à côté de quoi on passe si l’on se laisse happer par cette société du « toujours plus », estime Gilles Vernet. 

Philosopher pour prendre conscience 

La philosophie est également très présente dans la réflexion de Gilles Vernet, tant pour expliquer les causes de notre frénésie que pour retrouver la clé d’un rythme de vie plus humain. « Selon moi, il y a une dimension très philosophique dans la question de notre rapport au temps », affirme l’instituteur, pour qui cette discipline est un moyen de se poser des questions fondamentales sur l’existence. Même si la nécessité de ralentir peut sembler objective pour certains, elle n’en nécessite pas moins une prise de conscience qui a bien souvent un élément déclencheur précis. La philosophie, au sens de réflexion sur le monde, pourrait justement servir à faire advenir ce déclic vers une transition à l’échelle personnelle. 

Gilles Vernet insiste en particulier sur l’importance de prendre conscience de notre finitude, prise de conscience rendue aujourd’hui plus complexe par l’invisibilisation de la mort au quotidien, au point qu’elle n’est plus une réalité matérielle sinon un simple concept. Pour lui qui a rompu avec le monde de la finance pour accompagner sa mère malade vers la mort, c’est cette dernière qui, indirectement, a fait émerger un besoin de ralentir. Comme la volonté de changement a directement trait au temps dont on dispose encore, littéralement celui qu’il nous reste à vivre et qui fera notre vie, vient avec elle la volonté de donner plus de sens, d’occuper à meilleur escient cette durée qui s’étend devant nous comme une « page blanche ». 

Citant Épictète, philosophe du courant stoïcien, l’ancien trader fait remarquer que nous avons tendance à nous affliger de ce qui ne dépend pas de nous, au lieu de nous préoccuper de ce sur quoi nous avons prise ; or, c’est bien là qu’il faudrait commencer à chercher le bien-être. « Il faut commencer par agir autour de soi », selon Gilles Vernet, en prenant la mesure de ce à quoi nous occupons notre vie, et en nous demandant si c’est bien à cette existence que nous aspirons. 

“Ne rien faire”… ou presque 

Lorsqu’on le questionne sur de potentiels conseils à donner pour initier une transition vers une vie plus douce, Gilles Vernet reste modeste. « Je ne peux pas m’ériger en tant que modèle, comme quelqu’un qui serait totalement sorti du système. En revanche, je plaide clairement dans le sens du temps. Je suis professeur à mi-temps, il y a des moments où je peux m’arrêter et ne rien faire », rappelle-t-il. Et ce fameux « ne rien faire », c’est plutôt philosopher, contempler, ou simplement goûter le temps oisif, qu’être passif à proprement parler. Arts, loisirs, méditation… Les activités impliquées, si elles n’ont pas d’utilité intrinsèque, n’en sont pas moins nécessaires à notre bien-être. « Ce sont clairement des premiers pas de grande ampleur vers plus de lenteur », estime Gilles Vernet. 

À l’image de la lecture, de la peinture, ou encore du piano que pratique Gilles Vernet, ces occupations, qui sont autant de pistes pour ralentir le rythme tout en se réalisant pleinement, font écho au concept de flow. Cette idée, développée par le sociologue et psychologue Mihály Csíkszentmihályi, désigne des tâches qui rendent pleinement actif, jusqu’à être « absorbé » et dans un état de concentration maximale, sans nous être d’aucune autre utilité que la réalisation personnelle. Or, ce type de passe-temps se fait de plus en plus rare aujourd’hui, à cause d’un impératif de rentabilité qui rend négligeable ce qui n’est pas directement monnayable. 

Vient alors le sujet des écrans. Ceux-ci sont justement tenus pour responsables de la baisse de nos capacités de concentration à mesure que croît le temps qu’on leur consacre. Et Gilles Vernet ne cache pas sa méfiance envers ces nouvelles technologies qui nous rendent trop passifs. L’instituteur voit en effet des signes tangibles de cette invasion à bas bruit dans son quotidien de maître d’école. « Je perçois un réel appauvrissement du langage à l’écoute de mes élèves, et cela témoigne selon moi d’un manque de temps pour communiquer à la maison, notamment à cause des écrans », relève M. Vernet. Par cet aspect, le lien avec la dimension relationnelle et affective de la slow life prend tout son sens, car prendre le temps d’échanger et d’être à l’écoute de l’autre doit mener à une existence plus saine. « Pour un monde où l’on serait moins dans l’agressivité et la compétition, il suffirait que les parents aiment leurs enfants et qu’ils leur consacrent du temps », estime Gilles Vernet. 

Pour un sursaut collectif 

Selon ce dernier, pour qui une réaction collective, globale, est nécessaire, celle-ci devrait passer par deux canaux. D’une part, l’inspiration de l’autre, par laquelle le mode de vie que l’on adopte pourra trouver une résonance, être adopté par celles et ceux que l’on inspire, et se répandre ainsi au plus grand nombre. Diffuser la slow life en convainquant le plus largement possible, en « inspirant par le positif », telle est la vision de Gilles Vernet, qui estime que la transition écologique passera nécessairement par la conviction plutôt que la contrainte. In fine, il faudra selon l’instituteur pouvoir démontrer que cet art de prendre le temps est désirable, et qu’il ne relève pas de la contrainte ni du renoncement, mais bel et bien d’un choix. 

Mais d’autre part, il semble nécessaire que le politique occupe une place prépondérante dans la transition globale qui s’impose aujourd’hui, pour faire émerger un modèle collectif viable. « On aura beau chercher à échapper au temps pour arrêter de courir contre lui, si le système va sans arrêt dans le sens actuel, on sera malgré tout pris individuellement dans sa spirale », lance le professeur, faisant référence au péril environnemental. À moins, justement, qu’un déclic ne se produise, et nous fasse changer de paradigme pour de bon. 

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