Depuis cinq ans, la France enchaîne les lois pour accélérer la transition écologique : loi AGEC contre le gaspillage, loi Egalim pour une alimentation plus durable, loi Climat… Ces initiatives ont permis de poser des ambitions claires : réduction du plastique, lutte contre le gaspillage, transparence sur les achats, montée en puissance des labels.
Mais, aujourd’hui, ces efforts sont remis en question. La récente adoption de la loi Duplomb, qui prévoit notamment la réintroduction d’un pesticide pourtant interdit, marque un virage à contre-courant. Avec plus de 2 millions de signatures contre ce texte, la réaction citoyenne souligne l'incompréhension face à une décision perçue comme un non-sens, en contradiction avec les précédents engagements.
Comment demander aux industriels de l’agroalimentaire d’aller toujours plus loin en matière de traçabilité, de transparence, de durabilité… tout en autorisant en parallèle des pratiques qui vont à l’encontre de ces exigences ? C’est l’écosystème tout entier qui en sort fragilisé, confronté à des injonctions contradictoires
Des ambitions écologiques bousculées par la complexité réglementaire
Multiplier les textes crée une forme de confusion et d’insécurité juridique. Industriels, transformateurs, coopératives, distributeurs, agriculteurs… tous évoluent dans un cadre réglementaire en constante évolution, parfois même contradictoire. Dans ce contexte, les équipes passent souvent plus de temps à décrypter les obligations qu’à les appliquer.
Des textes comme la loi AGEC ou Egalim, ont eu le mérite de faire émerger une prise de conscience et d’inscrire de nouveaux réflexes : lutte contre le gaspillage, montée en puissance des labels, achats tracés, obligations de dons. Mais dans les faits, leur mise en œuvre reste souvent freinée par des contraintes opérationnelles. À cela, s'ajoutent des décisions politiques contradictoires ; alors que l’on demande aux acteurs plus de traçabilité, de responsabilité et d’engagement environnemental, la réintroduction de pesticides interdits envoie un signal opposé.
Ce paradoxe remet en doute la crédibilité des politiques publiques et fragilise la mobilisation des acteurs sur le terrain - alors même que plus de 60% des PME agroalimentaires considèrent déjà la complexité réglementaire comme un frein majeur à leur développement durable (source : Deloitte, 2024).
Il est temps de passer à une écologie opérationnelle ; accompagner plutôt que contraindre, outiller plutôt que complexifier, rendre les ambitions crédibles plutôt que de les fragiliser à force de signaux contradictoires."
Des acteurs engagés, qui avancent sans attendre les lois
Sur le terrain, de nombreux acteurs prennent les devants et mettent en œuvre des solutions concrètes, sans attendre les décrets d’application. Confrontés à l’urgence environnementale, aux attentes changeantes des consommateurs et à la pression économique, ils cherchent des solutions concrètes - souvent du côté de la technologie. Outils de pilotage des stocks, plateformes de redistribution, systèmes de traçabilité ou d’anticipation des invendus : ces solutions existent, et sont déjà déployées.
Dans l’agroalimentaire, par exemple, les plateformes de redistribution donnent une seconde vie aux invendus alimentaires, évitant leur destruction tout en respectant les normes en vigueur. Il existe aussi des outils qui permettent d’anticiper au mieux les demandes et d’ajuster les stocks en amont, ce qui aide à prévenir le gaspillage avant même qu’il ne se produise. Ces solutions rendent la transition écologique concrète et transforment les objectifs politiques en actions précises, mesurables et reproductibles.
La loi joue un rôle dans la transition écologique ; fixer un cap commun, poser des règles claires, encadrer les dérives... Mais à elle seule, elle ne transforme pas les pratiques. Ce qui change vraiment la donne, ce sont les solutions concrètes qui rendent l’action possible au quotidien, à grande échelle, et dans la durée. Il est temps de passer à une écologie opérationnelle ; accompagner plutôt que contraindre, outiller plutôt que complexifier, rendre les ambitions crédibles plutôt que de les fragiliser à force de signaux contradictoires. La priorité n’est plus d’empiler les textes : elle est de donner à ceux qui veulent faire les moyens d’agir.
Par Tanguy de Cottignies, cofondateur de Stokelp.