Laure Verhaeghe, présidente de Lendosphere.
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Tribunes

Climat : grand écart entre les citoyens mobilisés et les politiques à contre-sens

Dans cette tribune, Laure Verhaeghe, présidente de Lendosphere, alerte sur le recul des politiques écologiques malgré un large soutien citoyen. Elle dénonce le fossé croissant entre aspirations populaires et décisions politiques, tout en saluant l’essor des mobilisations démocratiques et financières en faveur de la transition énergétique.

Moratoire (avorté) sur les énergies renouvelables, réintroduction d’un néonicotinoïde, détricotage européen du Green Deal, abandon du zéro artificialisation nette, sans parler des attaques ouvertes contre le climat et l’environnement de l’autre côté de l’Atlantique… Le "backlash" écologique est partout à l’œuvre, en tapant sur une écologie qui serait punitive et liberticide selon les gardiens d’un temple archaïque, arcboutés sur des intérêts et un référentiel en fin de cycle – économique, politique, écologique.

Pourtant, les records continuent de s’égrainer au fil des jours : 2024 est la première année à dépasser le seuil de +1,5°C, la dernière décennie a été la plus chaude jamais enregistrée, les événements climatiques extrêmes – d’une fréquence et d’une ampleur sans précédent – ont coûté 310 milliards d’euros dans le monde l’année dernière, dont 5 milliards à la France.

La désinformation sur les sujets climatiques, amplifiée par les "ingénieurs du chaos" décrits par Giuliano da Empoli, n’arrêtera pas le processus à l’œuvre et leurs conséquences sur chacun : la moitié des maisons individuelles dans l’Hexagone est concernée par les effets des dérèglements climatiques (retrait-gonflement des argiles, inondations, feux, etc.), les premières zones blanches de l’assurance apparaissent et le sort des réfugiés climatiques va devenir de plus en plus pressant – y compris en France.

Mais selon l’IDDRI et Parlons Climat, nous nous situons à la fin d’une phase de sensibilisation, et non face à un retournement de l’opinion. Cette phase de sensibilisation démarrée dans les années 1970 a donné lieu à la création du GIEC à la fin des années 1980 et au Protocole de Kyoto en 1997. La science climatique a placé le sujet des émissions de gaz à effet de serre à l’agenda politique international et, en parallèle, les organisations militantes ont porté ces sujets au cœur du grand public. Ces deux mouvements ont réussi à construire un rapport de force entre une mobilisation initialement minoritaire et des "normes majoritaires", à faire adopter des lois et à améliorer la préoccupation des citoyens pour la cause.

Si certains agitent l’éco-terrorisme comme un chiffon rouge pour mieux cristalliser des oppositions stériles et conflictuelles, les citoyens agissent avec les outils démocratiques et financiers pour pérenniser et faire croître la transition écologique à l’œuvre."

La mobilisation n’est plus minoritaire et le décalage se creuse entre la part des citoyens appelant la transition de leurs vœux, et les normes et discours qui continuent d’être adoptés et endossés par les partisans d’un monde à bout de souffle et d’idées. Deux secteurs l’illustrent : l’agriculture et l’énergie. 83 % des Français sont favorables à la réduction des pesticides, mais l’adoption début juillet de la Loi Duplomb réintroduit un néonicotinoïde interdit depuis 2020.

La réaction ne s’est pas fait attendre, et la mobilisation citoyenne contre cette loi démontre la diversité et le dynamisme de cette nouvelle majorité : la pétition pour son abrogation compte plus de 1,8 million de signatures en une dizaine de jours. Dans l’énergie, 84 % des Français ont une bonne opinion des énergies renouvelables, et 94 % des riverains d’installations éoliennes ou solaires !

Les tribunes anti-renouvelables illustrent à la fois une incompréhension fondamentale des enjeux du secteur énergétique et des aspirations des citoyens. Le financement participatif est un bon moyen de quantifier cette majorité silencieuse et de lui donner l’opportunité d’exprimer son soutien de façon efficace et positive. La campagne sur Ulule, menée par the Shift Project, a réuni en quelques jours plus de 4,6 M€ grâce à plus de 36 000 contributions. En jeu : le financement du programme d’action "Décarbonons la France" sur 20 chantiers clés, en vue de la présidentielle 2027. Sur les plateformes d’investissement dans les énergies renouvelables, les chiffres ne cessent de progresser depuis 10 ans, pour atteindre aujourd’hui plus 150 000 investisseurs inscrits et 1,3 milliard investis dans plus de 1 500 opérations d’énergies renouvelables.

Si certains agitent l’éco-terrorisme comme un chiffon rouge pour mieux cristalliser des oppositions stériles et conflictuelles, les citoyens agissent avec les outils démocratiques et financiers pour pérenniser et faire croître la transition écologique à l’œuvre.

Par Laure Verhaeghe, Présidente de Lendosphere