Le réemploi permet de soutenir l'économie locale tout en réduisant les dépenses et les émissions de gaz à effet de serre.
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Tribunes

Faire du mobilier le fer de lance de l’économie circulaire

Alors que la loi impose depuis 2020 aux acheteurs publics d'intégrer 20 % de mobilier issu du réemploi, la plupart des organisations atteignent à peine 1 %. Dans cette tribune signée par une grande partie des acteurs du mobilier professionnel circulaire, Younes El Hajjami, CEO et repreneur de Bluedigo, et Camille Cousté, co-fondatrice du label Eco Impact, plaident pour l'intégration du mobilier réemployé et reconditionné dans les projets publics.

Chaque année, la France achète près de 250 000 tonnes de mobilier professionnel… et en jette au moins 130 000 *.

Depuis 2020, la loi AGEC (loi Anti-Gaspillage pour une Économie Circulaire - article 58) impose aux acheteurs publics d’intégrer 20 % de mobilier issu du réemploi.

Cinq ans plus tard, la plupart des organisations publiques atteignent à peine 1 %, selon les publications officielles. Pourtant, partout où des marchés adaptés ont été mis en place, la démonstration est faite : le réemploi fonctionne, réduit les dépenses et évite des tonnes de CO2.

Ces dernières années, la Préfecture de Paris, la Ville de Dijon, le Département de la Seine-Maritime, ou encore l'Académie de Créteil ont montré qu’on peut intégrer massivement du mobilier réemployé et reconditionné dans les projets publics. Ces initiatives prouvent qu’il est possible d’allier rationalisation budgétaire, confort des équipes et exemplarité environnementale.

Le mobilier professionnel n’est pas une ligne secondaire.

Ce marché pèse 1,5 milliard d’euros en France, dont un tiers lié à la commande publique. Et il pose une question stratégique : 60 % du mobilier neuf est importé, alors qu’en 1985 cette part n’était que de 30 %. En quarante ans, la dépendance a doublé. À l’inverse, les acteurs du réemploi sont, eux, implantés presque exclusivement sur nos territoires. Choisir la seconde main, c’est donc soutenir l’économie locale, préserver des savoir-faire et réduire notre vulnérabilité.

Alors pourquoi si peu de progrès ?

Parce que la plupart des marchés sont encore rédigés pour du neuf standardisé, rendant la réponse en réemploi quasi impossible. Et parce que la loi AGEC valorise uniquement l’achat de mobilier reconditionné, alors que la première démarche circulaire est de réutiliser l’existant – conserver, réparer, réaffecter – ce qui reste invisible dans le cadre légal.

Nous proposons d’engager une dynamique autour de six leviers simples :

1- Reconnaître la réutilisation interne : conserver, réparer et réaffecter son mobilier existant doit compter dans les objectifs de l’AGEC, car c’est la première et la plus sobre des pratiques circulaires.

2- Encourager les marchés de services : au-delà de l’achat de produits, permettre aux acheteurs de contractualiser pour des prestations complètes incluant audit du parc, réaffectation et rénovation.

3- Créer systématiquement un lot dédié au réemploi : dans chaque appel d’offres, prévoir une part spécifique pour les solutions circulaires (seconde main, reconditionné, upcycling), afin de leur donner une chance réelle face au neuf.

4- Adapter les critères d’évaluation : juger les offres sur le coût global (durée de vie, maintenance, fin de cycle) plutôt que sur le seul prix unitaire, qui favorise mécaniquement le neuf bas de gamme.

5- Sécuriser la qualité : renforcer la confiance des acheteurs en créant un label qualité réemploi ou une charte nationale, afin de donner des garanties claires et partagées sur la performance du mobilier reconditionné.

6- Compléter le suivi annuel : indiquer pour chaque organisme la part de mobilier réemployé, les économies réalisées, les emplois soutenus et les tonnes de CO2 évitées, afin de mesurer réellement les progrès.

Mais il faut aller plus loin encore : pourquoi limiter l’AGEC au seul secteur public ? Le mobilier est le terrain idéal pour diffuser le réflexe du réemploi dans les entreprises privées. Accessible, visible, sans compromis de qualité, il peut démontrer que la seconde main n’est pas marginale, mais une solution moderne, compétitive et souveraine.

La filière du réemploi est prête. Elle tend la main à l’État, aux collectivités comme aux entreprises pour faire du mobilier le fer de lance d’une économie circulaire ambitieuse.

Chaque meuble réemployé, c’est de l’argent mieux utilisé, des emplois locaux créés, des tonnes de CO2 évitées et un pas vers plus d’autonomie et de souveraineté économique.

Ne jetons plus nos meubles. Faisons-en un moteur de transition.

* Source : Rapport d’activité 2023 de Valdelia, éco-organisme agréé par le Ministère de la Transition écologique.

Initiateurs de la tribune :

1. Younes El Hajjami, CEO et repreneur de Bluedigo, plateforme de référence du mobilier reconditionné et de l’aménagement durable en France.

2. Camille Cousté, co-fondatrice du label Eco Impact, principal label indépendant d’évaluation du cycle de vie et d’impact environnemental du mobilier.

Aux côtés des principaux reconditionneurs, fabricants et acteurs engagés de la filière :

3. Pierre-Emmanuel Saint-Esprit – Directeur Économie Circulaire du groupe Manutan – Président EC2027, collectif pour accélérer l’économie circulaire

4. Maud Sarda – Co-fondatrice & Directrice Générale de Label Emmaüs, coopérative ecommerce solidaire d’occasion

5. Marion Désert & Florian Clavel – Fondateurs de Fairspace, aménagement de bureaux durable, réemploi mobilier

6. Guillaume Poignon – Co-gérant de l’Atelier Emmaüs, atelier de menuiserie solidaire, insertion

7. Jules Pretot – CEO de Redesk, revalorisation et revente mobilier de bureau

8. Bastien Rambaud – CEO de Vesto, reconditionnement matériel de restauration professionnelle

9. Christophe Cote – Fondateur d’Adopte un Bureau, reconditionnement et vente mobilier de bureau

10. Grégory Soret – PDG de Loire ECO Distribution, reconditionnement et vente mobilier de bureau et matériel informatique

11. Sophie Scantamburlo – Co-fondatrice et Directrice Générale de SCOP3, ménagement écoresponsable d’espaces de travail

12. Eric Martin – CEO de ReYou, accélérateur des acteurs du réemploi

13. Vianney Sauvage – Co-fondateur & DG de DIZY, fabricant de mobilier professionnel, upcyclé et éco-conçu

14. Vincent Lavenant – Président d’Allée du Bureau, mobilier de bureau d’occasion et reconditionné

15. Nathalie Clévenot – Directrice de Tricycle Environnement, entreprise d’insertion en gestion circulaire des déchets professionnels

16. Matthieu Renard – Directeur général de SEVE mobilier, mobilier en bois recyclé, insertion

17. Ludovic Pendaries – Directeur général de TIZU, fabricant de mobilier upcyclé et personnalisé

18. Julien Bacon – Co-fondateur de Mobidiq, solution pour gestion durable du mobilier de bureau

19. Guillaume Bros – Directeur de Caprionis, réemploi de matériaux du bâtiment

20. Benjamin Verger – Co-fondateur & Gérant de 100 Détours, surcyclage de portes et fenêtres en mobilier

21. Pierre Maïsetti – Directeur Général de RETOUCH’UP, optimisation aménagement intérieur sans remplacement mobilier

22. Juliette Lemaire Asselin – Fondatrice de MUD Mobilier / Studio Pourquoi Pas, design d’espaces en économie circulaire

23. Laëtitia Rouch – Directrice d'Atelier Extramuros, atelier de menuiserie d’insertion (mobilier sur-mesure en bois récupéré)