La France veut mettre l'accent sur la prévention en matière de santé.
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Société

Soigner la planète : le secteur de la santé fait son bilan carbone

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Après la pandémie de coronavirus, les professionnels de la santé ont pris conscience de l'impact de l'environnement sur la santé. Plusieurs cherchent alors à réduire leurs propres émissions. Une volonté accompagnée par le think tank The Shift Project, qui propose dans son dernier rapport de repenser toute la chaîne du soin, au nom de l'impératif écologique.

"La santé a une empreinte carbone. La question c’est ce qu’il advient du système de soin. Est-ce qu’on le sanctuarise, parce qu’il est indispensable, on ne lui demande aucun effort ? Ou doit-il faire sa part, parce qu’il y a des marges de manœuvre ?" lance Jean-Marc Jancovici, le 18 avril dernier, lors de la présentation du rapport de son think tank The Shift Project, portant sur l’empreinte écologique du secteur de la santé.

Pourvoyeur de près de 2,6 millions d’emplois, représentant en 2021 9,1 % du PIB, le secteur de la santé est en France une immense machinerie qui tourne de minuit à minuit, nécessitant matériels et produits à la pointe de la technologie. Un secteur aussi essentiel que polluant.

Un bilan carbone conséquent

D’après les calculs du Shift Project, le bilan carbone de la santé en France est aujourd’hui de 49 millions de tonnes CO2e, soit 8 % de l’empreinte carbone française totale. Outre les émissions liées à la consommation d’énergie, à l’alimentation, ou les transports, certains postes sont bien spécifiques à la santé. C’est le cas par exemple des gaz anesthésiants. Selon une étude publiée dans le Lancet en 2017, certains gaz utilisés fréquemment par les anesthésistes, le desflurane et le protoxyde d’azote en tête sont plus polluants que le CO2 une fois relâchés dans l’atmosphère.

Surtout, la moitié des émissions est liée aux achats de dispositifs médicaux et de médicaments. Selon Baptiste Verneuil du Shift Project, "un IRM consomme autant d’électricité que plusieurs dizaines de foyers français". De la recherche des molécules en laboratoire, la production industrielle, jusqu’à la pollution qu’ils engendrent dans les eaux usées par exemple, les médicaments sont à eux seuls responsables de 33 % de l’empreinte du secteur de la santé.

Prise de conscience

"C’est en effet un des postes d’émissions les plus importants, mais sur lequel on a très peu la main. Les achats de médicaments c’est quelque chose de très spécifique. Alors nous on regarde quels sont les postes sur lesquels on peut agir", témoigne Bernard Jourdain, chargé du développement durable à l’hôpital de Niort. Le centre hospitalier des Deux-Sèvres (79) n’a pas attendu la sonnette d’alarme du Shift Project pour prendre conscience des enjeux écologiques. Depuis 2009, il réalise un bilan carbone complet. Cela a permis de réduire de 30 % de leurs émissions de gaz à effet de serre, après avoir simplement changé de chaudière pour un système à bois. D’autres mesures ont été mises en place, comme le verdissement du parc automobile hospitalier, ou la réduction des déchets.

Si les établissements de santé "ont pris du retard" dans la réduction de leur empreinte, Bernard Jourdain constate un dynamisme nouveau depuis la pandémie de coronavirus. "Depuis deux ans, on a remarqué une prise de conscience de la population, et aussi des établissements de santé, qui demandent de faire attention à l’énergie, aux déchets. Avec le Covid, on a bien vu l’impact de l’environnement sur la santé, on ne peut plus rester à côté".

Soigner les nouvelles maladies liées au changement climatique, on saura faire. Mais il faut se demander quel est l’impact de la santé sur l'environnement, comment l’hôpital peut devenir résilient, c’est un regard complètement différent, pour agir concrètement" - Bernard Jourdain, chargé du développement durable à l'hôpital de Niort

Depuis 2021, les équipes du Shift Project parcourent les établissements de santé pour partager le fruit de leurs recherches, contribuant à dynamiser les initiatives locales. Comme au CHU de Bordeaux, l’AP-HM de Marseille, ou l’AP-HP de Paris, qui tous se sont engagés à réduire leurs émissions poste par poste, après la publication de leur bilan carbone.

Des initiatives soutenues par les pouvoirs publics. En septembre 2022, le ministère de la Santé avait annoncé la création de 150 postes de "conseillers et coordinateurs en transition énergétique et écologique en santé", financés par les services du ministère et la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie. Une "aubaine" pour les chargés de développement durable déjà en poste comme Bernard Jourdain, qui a permis de renforcer les équipes et "créer une dynamique" entre les différents spécialistes de la transition écologique.

Soigner autrement

D’après les projections du Shift Project, les établissements de santé peuvent espérer diminuer leur empreinte carbone de 27 % en s’inspirant des actions menées à Niort ou Paris. Mais pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris et réduire de 80 % leurs émissions d’ici 2050, c’est la façon même de considérer le soin qui serait à revoir, vers un "juste soin" et une politique de prévention. "Le maintien en bonne santé, c’est autant de produits de santé qui ne sont pas consommés", explique Antoine Prioux, co-auteur du rapport.

"La question c’est comment l’hôpital peut devenir résilient", explique Bernard Jourdain. "Une infirmière qui pratique l’hypnose sur un patient plutôt que d’utiliser un gaz anesthésiant fait de la décarbonation, continue-t-il. Dans certains cas, il peut être préférable de prescrire des séances de sport plutôt qu’un médicament. Revoir les prescriptions avec un autre regard que seulement le soin par les médicaments chimiques, tout en apportant bien-être et qualité de soin égal. C’est un travail qui commence à naître", esquisse le chargé du développement durable.

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