Fanny Picard, fondatrice et dirigeante du fonds Alter Equity.
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PORTRAIT

Fanny Picard : "J'ai choisi d’utiliser la finance pour servir l’intérêt général"

A la tête d’Alter Equity, un fonds d’investissement à impact positif, Fanny Picard affiche ses convictions, de l’égalité des chances, en passant par la parité femmes-hommes, à la lutte contre le réchauffement climatique. ID l’a rencontrée.  

C’est un mois de juillet pluvieux. A quelques pas de la place Vendôme, à Paris, nous avons rendez-vous avec Fanny Picard, dans les locaux d’Alter Equity, un fonds d’investissement à impact qu'elle a créé en 2007. Accompagnée ce jour-là de l’une de ses collaboratrices, la présidente, à l’allure soignée et au sourire généreux, prend place dans la salle de réunion où nous l'attendons.

Une grande table en bois d’occasion, un buffet de famille de "Félix - directeur d’investissement au sein de la structure", quelques plantes, une photographie représentant une sculpture creusée dans un olivier, de l’artiste allemand Nils-Udo : cette décoration minimaliste reflète ses goûts mais aussi ses préoccupations pour l'environnement. Un sujet qui l'anime chaque jour.   

Quand on lui demande quels sont ses gestes au quotidien pour la planète, cette Parisienne de 53 ans répond qu’elle consomme moins de viande, minimise ses achats et se déplace le plus souvent possible à vélo. Plus surprenant, il lui arrive de toquer à la fenêtre des conducteurs de SUV pour leur expliquer que ce n’est plus possible de choisir des véhicules aussi polluants en 2021. "Avec mon look BCBG, certains sont déstabilisés. Mais en m’adressant à eux de façon non-agressive, je sens que mon discours les fait bouger", s’amuse-t-elle.  

Une main de fer dans un gant de velours  

Si cette attitude déboussole les automobilistes, elle semble également faire ses preuves dans le monde des affaires. Avec les équipes d’Alter Equity, Fanny Picard a finalisé début 2020 une deuxième levée de fonds à 110 millions d’euros. "Nous en sommes fiers. Nous avons dépassé nos objectifs initiaux. C’est 2,7 fois plus que notre première levée de fonds qui s’élevait à 41 millions d’euros", souligne la présidente de sa voix douce.  

Parmi les six entreprises soutenues par ce deuxième fonds : Murfy, spécialisé dans la réparation de gros électroménager à domicile avec 6 millions d’euros investis, ou encore Gojob, pionnier de l’intérim digital en France, avec 4,5 millions d’euros investis. Aux côtés d'Ilek, leader français de la distribution d’électricité et de gaz 100% renouvelable, autre participation du fonds, Gojob a été sélectionné en janvier 2021 et a pris la première place du programme French Tech 120, qui rassemble les 120 meilleures start-ups de la French Tech en croissance.

La croissance moyenne du chiffre d’affaires des participations du deuxième fonds pondérée par le montant investi s’élevait par ailleurs à 95% en 2020. Sélectionnée par Forbes France parmi les 40 femmes françaises ayant marqué l’année 2021, Fanny Picard ne rougit pas de ce succès qui, selon elle, démontre bien que rentabilité peut rimer avec responsabilité.   

 "Je trouve magnifique de donner sa vie au collectif"

Celle que Les Echos qualifie de "militante financière" en a fait son cheval de bataille. Un engagement chevillé au corps qu’elle nourrit depuis son plus jeune âge. Enfant, cette fille de scientifiques se destinait notamment à une carrière en politique. Finalement, c’est vers une autre voie qu’elle se tournera. "J’ai choisi d’utiliser la finance pour servir l’intérêt général", lance la patronne d’Alter Equity. Son impressionnant CV est jalonné d’expériences au sein de grands groupes.   

Après des études à l’ESSEC Business School, Fanny Picard entre en 1992 chez Rothschild & Co comme analyste, puis quatre plus tard chez SFR Cegetel en tant que chargée de mission auprès du directeur financier. De 1999 à 2001, elle dirige les fusions-acquisitions en Europe de l’Ouest et en Amérique du Nord du groupe Danone, avant de rejoindre Wendel pour en piloter les opérations financières.   

L’année 2007 marque un tournant dans sa carrière avec la création d’Alter Equity. Sensible aux enjeux d’égalité des chances, elle s’était engagée depuis plusieurs années auprès du cabinet de recrutement Mozaïk RH. La dirigeante souhaite donner un coup de pouce aux jeunes entrepreneurs issus de la diversité. "Les jeunes des quartiers font l’objet de discrimination dans la vie quotidienne mais aussi dans l’accès aux fonds propres", se désole Fanny Picard.   

Conjuguer social et environnemental  

En parallèle, elle rencontre Alain Grandjean, aujourd’hui président de la Fondation Nicolas Hulot, et co-fondateur de Carbone 4, premier cabinet de conseil spécialisé dans la stratégie carbone. "Il m’a permis de comprendre la gravité des dérèglements climatiques, ainsi que les enjeux de préservation de la biodiversité, des ressources, de la qualité de l’eau, de l’air et des sols", poursuit Fanny Picard.   

Prenant la mesure de la dimension apocalyptique de ces sujets, elle repense les ambitions d’Alter Equity, et choisit d'investir dans des entreprises qui par leur activité sont "utiles aux personnes et à la nature". "Nous avons été le premier fonds d’investissement en France, à s’intéresser à la fois au social et à l’environnemental dans le non-côté. Avant nous, certains fonds s’intéressaient à des enjeux sociaux ou environnementaux mais pas aux deux, ils étaient thématiques mais pas engagés dans une dynamique d’intérêt général", abonde-t-elle.  

"Nous avons d’ailleurs été les premiers en France et en Europe à utiliser le terme d’investissement à impact positif. Plus largement, nous avons été les premiers à soutenir le principe d’entreprises contributrices à l’intérêt général et d’une finance vertueuse en accélérant la responsabilité des entreprises accompagnées." 

A cette époque, les mentalités sont encore fermées. Une fois le projet ficelé, il lui aura fallu plus de six ans pour récolter les 20 premiers millions d’euros nécessaires au lancement. Depuis, Alter Equity a bien tissé sa toile. "Cette année, nous pensons recevoir plus de 700 dossiers", commente Fanny Picard. Un signe que les entrepreneurs sont de plus en plus enclins à faire le pari de la responsabilité.  

Si, selon cette Parisienne, quelques résistances subsistent encore, notamment dans les grandes institutions, l’heure est bien au changement. Selon les chiffres de BPI France de 2018, 80% des dirigeants de PME-ETI se sentent responsables du bien-être des salariés, de la vie sociale locale et de la protection de l’environnement.  

Promulguée le 22 mai 2019, la loi Pacte, destinée à repenser la place des entreprises au sein de la société, semble avoir joué un rôle d’accélérateur. "Pendant des années, les dirigeants ont placé la rentabilité au premier plan car la responsabilité relevait selon eux de la sphère privée. Toute ma vie, j’ai pensé le contraire", relève cette pionnière de la finance durable. "La loi Pacte vient cranter dans le code civil l’idée selon laquelle la finalité de l’entreprise ne se limite pas exclusivement à servir l’intérêt de ses actionnaires et qu’elle doit aussi tenir compte des conséquences de ses activités sur ses parties prenantes. C’est une évolution historique majeure”, se réjouit-elle.  

 Pour une finance plus exigeante  

"La crise sanitaire a également entraîné une évolution forte des états d’esprit concernant le principe de responsabilité des entreprises et de la finance."

Pour Fanny Picard, les investisseurs doivent aussi faire leur part, en se montrant plus exigeants vis-à-vis des dirigeants du point de vue de la démarche ESG de leur entreprise. Alter Equity les invite à s’engager à travers un business plan extra-financier (BPEF), une autre innovation portée par le fonds, qui a été le premier à poser une telle condition à ses investissements. 

Parmi les 100 critères proposés aux participations étudiées, 10 à 15 indicateurs sont à sélectionner  dont trois obligatoires, à savoir : "procéder à un bilan carbone", "ouvrir le capital à l’ensemble des salariés (ou permettre leur participation à la plus-value des actionnaires)", et "conditionner la part variable de la rémunération des dirigeants à des résultats RSE".   

Parmi les autres critères : choisir des sources d’énergie renouvelable, diminuer ses consommations, notamment quand elles sont polluantes, subventionner une activité sportive pour les salariés, augmenter la couverture de la mutuelle des salariés, ou encore organiser une conférence au moins annuelle pour présenter la stratégie de l’entreprise à tous les salariés. Un objectif largement repris par les participations, informe la fondatrice.  

Epaulées par l’équipe de spécialistes d’Alter Equity, les entreprises doivent progresser sur ces différentes thématiques sur une période de cinq ans. "Chaque année, nous vérifions que le business plan est respecté”, précise Fanny Picard. Son fonds d’investissement vise un rendement net d’au moins 10 %. Objectifs : verser 1% du chiffre d’affaires à des causes philanthropiques mais aussi rémunérer ses souscripteurs, 70% d’investisseurs institutionnels (BNP Paribas, BPI France....) et 30% de personnes privées.   

Femme de pouvoir  

A travers ce modèle, la créatrice du fonds entend avec son équipe "accélérer la transition vers un monde plus durable". Cela passe par des résultats concrets, notamment en termes d’empreinte carbone. Sur ce sujet, la militante est plutôt fière. Reprenant ses lunettes rose vif elle déclare : “Depuis notre lancement, plus de 2 400 000 tonnes de CO2 ont été évitées grâce à l’activité de nos participations. Cela représente 0,53% des émissions annuelles de la France, qui s’élèvent à 450 millions de tonnes de CO2. C’est un record dans l’investissement non-côté en France.”   

Rappelons que l’Hexagone est sommée de réduire ses émissions de CO2 de 27% d’ici 2028, et de 75% d’ici 2050. "Il faut que nous changions totalement nos manières de produire, de consommer, d’habiter, de se déplacer, de nous alimenter. Face à tous ces défis, il faudrait aller beaucoup plus vite. Cela me préoccupe, voire m’angoisse", martèle la présidente. 

Cette humaniste retrouve son sourire en évoquant les chiffres obtenus en termes de parité. "1/3 des participations du premier fonds est dirigé par des femmes, un record également dans l’investissement en France à ma connaissance", fait remarquer Fanny Picard, avant d’ajouter : "Selon une étude SISTA-BCG, en France, seulement 5% des entreprises financées par des fonds de capital-investissement depuis 10 ans sont dirigées par des femmes.” La fondatrice précise qu’elle se réjouit de la proposition du gouvernement d’instaurer des quotas dans les instances dirigeantes.  

Féministe ? Fanny Picard assume l’étiquette, même si elle nuance préférant le terme de "féministe douce". Femme de pouvoir ? Certainement. En 2015, la présidente a reçu le Prix espoir de la Femme d’influence économique. "Cette récompense met en valeur des femmes qui contribuent à l’évolution du monde et des esprits."

 

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