Alain Grandjean, économiste et co-fondateur du cabinet Carbone 4.
Entretiens

Alain Grandjean  : " L’économie ‘carbonée’ est très dominante et attire encore la très grande majorité des financements"

Selon le think tank I4CE, le besoin d’investissements à réaliser sur la période 2019-2023 en vue d’atteindre les objectifs climatiques français est compris entre 55 et 85 milliards par an, dont la moitié environ est à réaliser par le secteur public. Pour mobiliser de tels montants, l’activation de plusieurs leviers sera nécessaire, explique Alain Grandjean, économiste, co-fondateur du cabinet Carbone 4 et président de la fondation Nicolas-Hulot.  

On entend beaucoup parler de l’investissement socialement responsable (ISR) pour mobiliser notamment les capitaux privés en faveur de la transition écologique. Cette solution est-elle suffisante ?   

L’investissement socialement responsable existe depuis longtemps mais est resté assez marginal. Il s’agissait essentiellement de répondre à une demande à une demande d’éthique de la part d’épargnants encore très minoritaires jusqu’il y a peu. La montée en puissance des risques liés au changement climatique change la donne. D’une part, les fonds ISR prennent en compte de manière plus précise ce sujet. D’autre part, des grands gestionnaires d’actifs "main-stream" annoncent qu’ils vont généraliser des démarches ESG pour tous leurs investissements. Des référentiels permettant d’apprécier plus objectivement les démarches suivies par les entreprises se développent  rapidement. Enfin, certains financiers prennent des positions plus engagées sur le climat , en excluant par exemple les centrales au charbon de leurs financements. On ressent donc une prise de conscience assez générale. Mais dans les faits les décisions d’investissements ne changent pas significativement. L’économie "carbonée" est très dominante et attire encore la très grande majorité des financements. 

Quels sont selon vous les autres leviers à actionner pour financer cette transition ? 

La transition énergétique et écologique consiste à aller vers un monde sobre et bas-carbone. Elle suppose une transformation profonde de nos modes de production et de consommation, car même en France la majorité de l’énergie consommée est d’origine fossile et émet donc du CO2. Elle ne se fera que si les principaux leviers politiques sont actionnés : la formation et l’éducation, l’augmentation des moyens de recherche et de développement, la fiscalité écologique, le durcissement de normes et de règlements, la mobilisation de moyens budgétaires conséquents pour les investissements publics et la rentabilisation des investissements privés, et pour finir par la finance, une régulation plus forte de la finance vers ces enjeux, alors qu’elle est encore beaucoup trop "court-termiste".   

Quel rôle peuvent jouer les épargnants dans ce financement ? 

Les investisseurs individuels sont de plus en plus intéressés par l’usage de leur épargne et veulent qu’elle ait du sens. Certains sont prêts à faire des arbitrages en faveur du développement durable. Cette demande oblige les professionnels à offrir des produits correspondant à cette attente et, du coup, à faire pression sur les entreprises. Il y a aussi des  mobilisations collectives sur le thème de la "défossilisation de l’épargne". Tout ceci va clairement dans le bon sens.  

Quels sont les grands freins aujourd’hui  à ce changement de cap ? La recherche de croissance est-elle compatible avec la transition, ou doit-on envisager un renversement des modèles ? 

Les ménages, les entreprises et les pouvoirs publics ont chacun leur part dans ce changement de cap. Mais l’ampleur des changements à effectuer nécessite une mise en cohérence et une coordination des actions dont seuls les pouvoirs publics sont capables. C’est à eux de dessiner un cap, de faire évoluer la fiscalité, de faire pression dans le cadre des accords internationaux à ce que les entreprises vertueuses ne soient pas pénalisées par des concurrents moins regardants, etc. 

En démocratie, ils ne peuvent agir  avec ambition que si l’opinion publique est majoritairement convaincue de  la nécessité de ce changement de cap. Il me semble qu’elle mûrit ; la mobilisation des jeunes et le résultat aux élections européennes l’ont montré. Le plus dur reste à faire quand même. Investir plus, réduire ses achats de consommation courante, faire attention aux impacts de ces gestes quotidiens, accepter de payer plus cher ce qui est polluant… Ce sont des changements d’habitude pas faciles à accepter. D’autant que nos concitoyens sont attentifs à ce que ces changements soient justes et que les efforts soient partagés. La recherche de la croissance pour la croissance ne doit plus être dans nos pays développés l’objectif des politiques économiques. C’est ce qu’a fait la Nouvelle-Zélande avec son budget "bien-être" . Ce que nos concitoyens veulent c’est un emploi digne, une alimentation saine, une qualité de relations sociales et un pouvoir d’achat suffisant, et en tous les cas réparti de manière assez juste. Ceci ne nécessite pas nécessairement une croissance exponentielle du PIB. 

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