Alexandre Poidatz, responsable de plaidoyer sur les sujets de finance et climat chez OXFAM France.
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Entretiens

Votre banque a peut-être une empreinte carbone supérieure à la France

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Responsable de plaidoyer sur les sujets de finance et climat chez OXFAM France, Alexandre Poidatz revient pour ID sur l’impact climatique des grandes banques françaises.

Selon un rapport d’OXFAM France, l’empreinte carbone des grandes banques françaises représente près de 8 fois les émissions de gaz à effet de serre de la France entière. Pourtant, face à l’urgence climatique, ces dernières constituent un maillon essentiel dans la profonde mutation économique que connait actuellement le monde de la finance. Alors, quels sont les bons et les mauvais élèves ? Quels leviers existent-ils pour faire pression sur les banques ? Comment agir en tant que particulier ? Pour ID, Alexandre Poidatz lève le voile sur toutes ces questions.

OXFAM a publié l’an dernier une étude sur l’empreinte carbone des grandes banques françaises. Est-ce qu’on peut dire qu’aujourd’hui, ces acteurs se sont bien saisis de ce sujet majeur ?  

La première chose à savoir, car ce n'est pas intuitif, c’est que les trois entreprises du CAC 40 qui polluent le plus sont des banques : BNP Paribas, Crédit Agricole et Société Générale. Maintenant, la question est : est-ce qu’elles ont mis en place des politiques pour réduire leur empreinte carbone ? Malheureusement, la réponse est non du côté des grosses banques (BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale, Banque populaire) françaises qui continuent de financer des nouveaux projets de pétrole et gaz qui rendent leur réduction d’empreinte carbone et leur alignement avec l’accord de Paris impossible. A l’inverse, les deux autres banques françaises que sont le Crédit Mutuel et la Banque postale s’inscrivent dans une voie de décarbonisation.  

On a la chance en France d’avoir la Banque Postale, qui est une des premières banques de cette taille dans le monde à avoir annoncé l’arrêt du financement de nouveaux projets pétroliers et gaziers et à exiger de l’ensemble de ses clients d’avoir une sortie des investissements fossiles d’ici 2040 au plus tard.

On a légitimement tendance à pointer du doigt les mauvais élèves, mais il est parfois nécessaire de mettre en lumière ceux qui ont les meilleures pratiques. Y-a-t-il un top 3 des banques en transition ?  

Tout à fait. On a la chance en France d’avoir la Banque Postale, qui est une des premières banques de cette taille dans le monde à avoir annoncé l’arrêt du financement de nouveaux projets pétroliers et gaziers et à exiger de l’ensemble de ses clients d’avoir une sortie des investissements fossiles d’ici 2040 au plus tard. C’est une demande importante et alignée avec l’accord de Paris. La Banque Postale est quasiment exemplaire d’un point de vue climatique. On peut également citer le Crédit Mutuel, qui a exigé de l’ensemble de ses clients de réduire progressivement leur exposition et production de pétrole et de gaz, donc de s’inscrire dans une transition énergétique. On peut dire que ces deux acteurs sont en voie de transition. Il existe en outres des banques "éthiques" comme le Crédit Coopératif ou la NEF, qui ont des critères très exigeants et qui ne financent pas du tout les énergies fossiles et se concentrent sur les énergies renouvelables.  

Quels sont les moyens de pression pour inciter les banques à agir ? 

Il existe plusieurs leviers. Le premier, auquel nous croyons davantage, est la réglementation. En effet, le modèle d’activité de ces entreprises est de faire du profit, ce qui peut parfois aller à l’encontre des objectifs sur le long terme. Depuis cinq ans, OXFAM France demande au gouvernement français de réguler les activités les plus climaticides et néfastes des banques françaises, mais rien ne se passe. Nous nous engageons également depuis dix ans auprès de ces acteurs et discutons avec eux. Nous croyons en une sorte de théorie des dominos : si un acteur avance, les autres pourront suivre et partager des bonnes pratiques. Le charbon en est l’exemple : les plus grandes banques françaises ne financent plus de nouveaux projets de charbon, ce qui est une très bonne nouvelle.  

Pour un ménage défavorisé par exemple, si une banque éthique vous propose un taux à 4 % sur un emprunt et une banque non-éthique un taux à 1 %, il est normal de se tourner vers une banque qui finance des énergies fossiles mais qui propose un taux d’intérêt plus avantageux.

Nous utilisons également un deuxième levier qui est l’action en justice. Nous avons attaqué BNP Paribas en justice au mois de février avec les Amis de la Terre et Notre Affaire à Tous face à l’attentisme du gouvernement et l’inaction de ces banques pour aller plus loin.  

Qu’attendez-vous de la justice ?  

On se tourne vers la justice face à l’inaction. On estime que la loi sur le devoir de vigilance obligeant les multinationales et les banques à avoir une vigilance sur leur impact environnemental sur l’ensemble de leur chaine de valeur, doit être utilisée pour les mettre face à leur responsabilité. Nous souhaitons mettre de la cohérence entre les engagements qu’a pris BNP Paribas et la loi française, qui est une loi pionnière dans le monde, et très discutée au niveau européen. Nous nous saisissons de ces enjeux pour contraindre la banque à s’aligner avec l’accord de Paris et à ne pas se limiter à une matrice et des objectifs purement financiers. 

Vous n’avez pas cité les consommateurs : ces derniers sont en demande de transparence et deviennent de plus en plus exigeants sur ces enjeux. Les banques sont-elles épargnées par ces attentes grandissantes ? 

La première chose est de rappeler qu’il n’est pas intuitif de savoir que notre argent placé en banque va polluer. Aussi, la théorie de changement que porte OXFAM France n’est pas de changer de banque mais de changer les banques. C’est un véritable enjeu de justice sociale. En effet, pour l’ensemble des concitoyens, il n’est pas évident de changer de banque. Pour un ménage défavorisé par exemple, si une banque éthique vous propose un taux à 4 % sur un emprunt et une banque non-éthique un taux à 1 %, il est normal de se tourner vers une banque qui finance des énergies fossiles mais qui propose un taux d’intérêt plus avantageux. C’est pour cela que l’on se tourne vers la réglementation, avec pour objectif la modification du modèle financier dans sa globalité.  

Toutefois, il est essentiel d’avoir des consommateurs et des épargnants conscients, capables d’interpeller leur banque ou d’en changer s’ils en ont les moyens, même si cela reste insuffisant pour faire changer le modèle financier.  

La première question à se poser est 'est-ce-que ma banque ou mon intermédiaire financier contribue à financer de nouveaux projets de pétrole, gaz ou charbon ?'

Est-ce qu’on sait ce que les banques représentent aujourd'hui en termes d’émissions de gaz à effet de serre à l’échelle de la France ou du monde ?  

Je vais vous surprendre, mais chacune des trois plus grosses banques françaises a une empreinte carbone supérieure à la France entière. C’est absolument colossal, parce que les banques gèrent énormément d’argent et dès lors qu’elles financent ou investissent dans un projet polluant, il y a une part des émissions de gaz qui leur est attribuée. Cela fait d’elles des contributeurs du dérèglement climatique et des acteurs majeurs pour la transition énergétique et écologique.  

Les rapports que vous publiez sont souvent questionnés, notamment sur leur méthodologie qui est remise en cause. Quels sont vos principaux arguments pour rassurer le grand public et les professionnels sur votre méthodologie ?  

Tout d’abord, il faut faire attention à la fabrique du doute des acteurs financiers pour qui il est plus facile de remettre en cause la méthodologie de nos études que de changer de pratiques. Ensuite, il faut préciser que le calcul de l’empreinte n’a pas été réalisé par OXFAM mais par Carbone 4, qui est un acteur de référence sur ce sujet. Nous nous appuyons également sur des données publiques, notamment pour le financement annuel des énergies fossiles, qui sont des bases de données financières référencées par les banques. Il faut d’ailleurs préciser que ces données sont incomplètes et que nos chiffres sont donc sous-évalués, par exemple sur les flux de financement fossile puisque les prêts bilatéraux ne sont pas publics. 

Si je suis un professionnel de l’investissement ou un particulier, quel est le premier geste à faire pour lutter contre cet impact carbone si important du secteur bancaire en France ?  

La première question à se poser est "est-ce-que ma banque ou mon intermédiaire financier contribue à financer de nouveaux projets de pétrole, gaz ou charbon ?". La science est très claire à ce sujet : tout nouvel investissement dans un nouveau projet de pétrole ou de gaz est incompatible avec les objectifs climatiques. Ensuite, il faut voir son levier de l’épargne comme un levier plus impactant qu’un compte courant où l’argent est fongible.  

Peut-on selon vous se baser sur les labels qui sont aujourd’hui des boussoles pour choisir où placer son argent ?  

Pour les labels, il existe deux visions. Certains labels vont valoriser les meilleures pratiques. Les autres vont plutôt mettre en place une démarche d’exclusion des acteurs qui ne sont pas alignés avec les accords de Paris. L’approche d’OXFAM est de faire confiance aux seconds labels dont notamment GreenFin délivré par le Ministère de la Transition écologique qui garantit le non-financement dans les énergies fossiles. Le label Finansol est aussi intéressant car 10 % de l’épargne est dédié à l’investissement dans des projets à fort impact social et environnemental. Nous sommes plus critiques à l’égard du label ISR, largement répandu, car il se concentre uniquement sur les bonnes pratiques et mériterait d’être plus ferme quant à l’exclusion de certaines entreprises contribuant massivement au dérèglement climatique. 

Vous suivez les discussions en cours sur le nouveau référentiel du label ?  

Bien sûr. Dans un contexte d’urgence climatique, nous souhaitons que ce label soit beaucoup plus ferme, en excluant notamment certaines entreprises qui ne sont pas dans une voie de transition énergétique.  

 

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