Emery Jacquillat, Directeur de Camif.
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Entretiens

"La responsabilité de l’entreprise ne concerne pas seulement les grands groupes du CAC 40"

Sauvée de la faillite en 2009, la Camif, ex-coopérative des adhérents à la mutuelle des instituteurs de France, s’est transformée en société d’ameublement. Son PDG, Emery Jacquillat, a pris le virage du développement durable avant l’heure pour en faire aujourd’hui l’une des pionnières des entreprises à mission françaises. 

Vous avez inscrit dans vos statuts votre raison d’être en 2017 : comment l’avez-vous définie ?  

Nous avons défini notre mission de manière collaborative en interrogeant nos clients, nos collaborateurs, nos actionnaires, nos fournisseurs... Puis en 2017, nous avons inscrit dans nos statuts notre raison d’être : "Proposer des produits et services pour la maison, conçus au bénéfice de l’Homme et de la planète. Mobiliser notre écosystème (consommateurs, collaborateurs, fournisseurs, actionnaires, acteurs du territoire), collaborer et agir pour inventer de nouveaux modèles de consommation, de production et d’organisation." 

Enfin, nous avons traduit cette mission en cinq engagements : informer, sensibiliser et donner les moyens pour une consommation plus responsable ; dynamiser l'emploi sur nos territoires et favoriser l'insertion ; faire de l'économie circulaire notre standard ; proposer les meilleurs produits possibles pour la santé ; transformer l'entreprise et participer à la réinvention de nos filières. 

Parmi ces engagements, vous misez notamment sur le "made in France". Cet été, vous avez d’ailleurs annoncé la suppression des produits non-européens dans votre offre... 

Dès 2009, nous avons fait du "made in France" notre cheval de bataille. Aujourd’hui, il représente 70 % de notre chiffre d’affaires. Proposer une offre la plus locale possible est au cœur de notre engagement et c’est en ce sens que nous avons choisi cette année de renoncer à 5 % de nos ventes en supprimant les produits non-européens du catalogue. Certains d’entre eux, qui ne connaissent pas d’alternative sourcée en Europe, n’existeront donc plus chez Camif : les micro-ondes, les réfrigérateurs...  

Cette décision renforce la différenciation de la marque par rapport aux autres acteurs du marché. Pour nous, cela n’avait plus de sens de continuer à vendre des produits importés d’Asie. Nous devions nous aligner avec l’impact environnemental que l’on souhaite donner à nos activités.

La loi PACTE est un bon cadre à promouvoir au niveau européen, et a la stature pour faire face aux capitalismes américain ou chinois qui, finalement, ne nous ressemblent pas tellement."

En ayant notamment devancé la loi PACTE de 2019, Camif est souvent présentée comme une pionnière des sociétés à mission. Quel rôle, selon vous, les entreprises doivent-elles jouer dans la construction d’un monde plus durable ?  

C’est une grande fierté pour nous d’avoir pu, d’une certaine façon, contribuer à la construction de ce cadre législatif. Alors que de nombreux dirigeants cherchaient une manière de rendre leurs entreprises plus contributives, la loi PACTE a été un levier d’engagement. Elle a permis de s’interroger, d’innover, de réinventer les métiers... Elle représente aujourd’hui un bon cadre à promouvoir au niveau européen, et a la stature pour faire face aux capitalismes américain ou chinois qui, finalement, ne nous ressemblent pas tellement. 

Aujourd’hui, la France compte 230 sociétés à mission, contre 70 l’an passé. Et, 70 % d’entre elles sont des PME : ce qui prouve que ces changements ne concernent pas uniquement les grands groupes du CAC 40. Et malgré tout, même lorsque l’on s’appelle Danone par exemple et que l’on est coté en bourse, il est également possible de se transformer.  

En 2019, une étude de Carbone 4 affirmait que si tous les citoyens adoptaient quotidiennement des "écogestes", cela ne représenterait que 25 % du chemin à parcourir pour s’aligner sur la trajectoire des 2 degrés de l’accord de Paris. 75 % resteraient donc à faire pour l’Etat, les collectivités, les entreprises... Cela met indéniablement une forme de pression sur les dirigeants. 

La finance a son rôle à jouer dans la transformation de l’économie et des modèles."

Si les attentes des consommateurs sur ces sujets sont de plus en plus importantes, constatez-vous les mêmes exigences de la part des investisseurs ?  

C’est une excellente nouvelle que de se dire que la finance se pose davantage la question de la performance extra-financière. Elle a sans aucun doute son rôle à jouer dans la transformation de l’économie et des modèles. Il existe de plus en plus de fonds ISR qui, à mon sens, ne sont pas philanthropiques : ces acteurs ont simplement compris que la performance financière dépendra de plus en plus de la responsabilité des entreprises. Une étude de la Bank of America a d’ailleurs démontré que durant l’année 2020, les sociétés les plus performantes ont été celles qui avaient également la meilleure performance extra-financière. Ce lien est donc indéniable et continuera de s’accentuer au fil du temps : la finance ne s’y trompe pas et va sans aucun doute accélérer le mouvement. 

Winston Churchill disait qu’il valait mieux "prendre le changement par la main, avant qu’il ne nous prenne à la gorge". Les dirigeants qui, aujourd’hui, ne s’engagent pas sur ce chemin font inévitablement courir un risque à leur entreprise à moyen terme. 

 

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