C’est une profession pour le moins méconnue du grand public qu’exerce Marion Moriceau. A 40 ans, cette native des Sables-d’Olonne (Vendée) est plongeuse-scaphandrière en milieu portuaire, littoral ou encore offshore. Un métier vers lequel elle s’est tournée un peu par hasard.
Adolescente, cette amoureuse des océans confesse qu’elle imaginait plutôt suivre la trajectoire de ses aînés, marins-pêcheurs depuis plusieurs générations. "J’ai grandi au bord de l’océan, à remonter les casiers de pêche et à aller faire des carénages des bateaux", détaille-t-elle.
Alors qu’elle se voit bien récupérer le chalut de pêche de l’un de ses oncles, ses proches la mettent en garde sur le métier qu’ils jugent "trop rustre" pour elle. Elle choisit alors une tout autre voie, celle de la communication. Après ses études, elle met les voiles vers Paris où elle décroche un contrat en CDI. Mais est rapidement rattrapée par l'appel du grand large.
Contre vents et marées
"J’étais loin de mes éléments. J’étais également malheureuse de ne pas pouvoir vivre de mes ressources. Dans ma famille, on pêche nos poissons, on cultive nos légumes dans les marais, on mange toutes les solutions à base d’algues. J'étais loin de tout ça, de mes racines", raconte-t-elle.
De retour aux Sables-d'Olonne, son destin s’apprête néanmoins à basculer lorsqu’elle tombe sur une équipe de scaphandriers lors d’une balade sur le port. "Je suis allée les voir et ils m’ont expliqué qu’ils travaillaient pour les constructions sous-marines : de l’assemblage de coffrage, du tirage de câble, de la soudure, du béton, de la découpe. J’ai trouvé ça génial."
Enthousiasmée, elle leur demande alors comment intégrer ce métier mais se confronte à un premier mur. "Ma question les a fait rire. Ils m’ont dit que c’était un métier d’homme, viril, rude et qu’il n’y avait pas de places pour les femmes."
Piquée au vif, Marion Morceau ne se décourage pas pour autant et se met même en tête d’intégrer l’école de maintenance naval en milieu subaquatique, rattachée à la Marine nationale, à Conflans Sainte-Honorine (Yvelines). "Je me suis dit que si j’arrivais à avoir un niveau d’expertise important, j’aurai peut-être une chance d’intégrer cette profession", précise-t-elle.
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De l’armée aux chantiers éoliens
A force d’entrainement et de persévérance, elle réussit les présélections et fait son entrée dans la Marine nationale en 2008. A tout juste 24 ans, la plongeuse en herbe est déployée sur la frégate de défense anti-aérienne et anti-sous-marine du Forbain.
"Je suis partie en Afghanistan, en Somalie et en Lybie pour différentes opérations", ajoute-t-elle. Quatre années au terme desquelles elle reçoit un titre de reconnaissance de la nation.
Se sentant suffisamment aguerrie, elle décide de ne pas renouveler son contrat pour pouvoir s’inscrire à l’INPP (Institut national de plongée professionnelle), à Marseille (Bouches-du-Rhône). En mars 2013, elle débute sa formation de plongée-scaphandrière qu’elle achève à l'issue de deux mois, et dont elle ressort major de promotion.
Son expertise suscite aussitôt l’intérêt. "Dès le lendemain, mon téléphone a sonné pour du travail. J’étais soulagée", lâche-t-elle.
Mobilisée sur des travaux maritimes, portuaires ou des aménagements de quais, la jeune femme déchante toutefois très vite face aux pratiques de certains de ses collègues.
"Les yeux des opérateurs sous l’océan"
"Dans tous ces dispositifs, j’étais heurtée de voir que l’on coulait le béton sans mesures de précautions pour préserver l’environnement. Certains jetaient leurs mégots par-dessus bord ou laissaient la ferraille au fond. De mon côté, j’essayais de faire évoluer les pratiques en mettant en place des protocoles plus respectueux de l’océan, notamment en triant les déchets, ou encore en construisant des barrages anti-pollution pour le coulage du béton. Mes patrons trouvaient que c’était une perte de temps. Mais j’ai persévéré dans cette démarche", raconte-t-elle.
Cet engagement finit par porter ses fruits. En 2017, Vinci la recrute pour développer le label environnement de ses chantiers de construction sous-marins. Puis trois ans plus tard, l’experte se fait débaucher par Bouygues Construction pour l’extension de la principauté de Monaco sur 6 hectares sur la mer.
Aujourd’hui, elle travaille sur divers projets éoliens notamment sur les îles d’Yeu et de Noiremoutier. "Mon travail consiste à poser des capteurs scientifiques pour toutes les mesures d’impact sur l’environnement. Avec quatre autres scaphandriers, je m’occupe également de la pose du câble sous-marin pour relier la terre à l’éolienne", explique la professionnelle, avant d’ajouter : "Nous sommes les yeux des opérateurs sous l’océan."
Partager un savoir-faire ancestral
Tout terrain, Marion Moriceau développe son engagement pour la préservation de la mer sous l’eau mais aussi sur terre. Depuis 2021, elle a notamment fondé Mon Miracle, une marque de cosmétiques à base d’algues, réalisés à partir des recettes ancestrales transmises dans sa famille.
Depuis les années 1800, nous utilisons les algues pour nous alimenter ou encore nous soigner. Mon arrière-grand-mère, avec qui j’ai passé une grande partie de mon enfance, m’a légué son livre de recettes ainsi que sa verrerie et ses casseroles. Cela m’a poussé à m’y mettre plus sérieusement à mon tour”, partage-t-elle.
Après un reportage diffusé sur M6 consacré à son métier de scaphandrière, et dans lequel elle expose aussi sa passion pour la fabrication de soins à base d’algues, des abonnés sur les réseaux sociaux lui demandent de lui envoyer des échantillons de ses crèmes. "Comme c’étaient mes premiers followers, j’étais contente de leur en envoyer gratuitement, jusqu’à ce que je manque d’emballage et de temps", sourit-elle.
Encouragée par sa communauté à lancer une marque, elle se lance alors dans cette nouvelle aventure, avec la toujours la même rigueur. "La phase de recherche et développement a duré près de six ans. Il a fallu prouver les principes actifs présents dans les 5 variétés d’algues que je récolte, puis les normer, trouver la stabilité de la formule, réaliser les tests pharmacologiques et dermatologiques. Mais aussi les tests d’efficacité pour prouver la réduction des tâches de soleil, des rides, de l’acné...", égraine-t-elle.
Un travail minutieux qui reflète l’engagement de la quarantenaire. "Tous les tests ont été faits sur des humains et non des animaux. Et pour les emballages, je suis passée par des artisans, notamment une start-up qui récupère les déchets plastiques sur les plages et les transforme en confettis. On a développé un emballage issu des plastiques trouvés sur les plages. Il a fallu prouver qu’il n’y a pas de transferts de particules entre l’emballage et la formule", poursuit Marion Moriceau.
Des récifs artificiels pour réduire l’impact sur la biodiversité
Le flacon est quant à lui en verre, et issu du réemploi. "Quand on passe une commande sur internet, elle est expédiée avec un colis qui a été désigné pour faire l’aller-retour. Au bout de six mois, on remet tous les flacons dans le colis. C’est nettoyé, reconditionné, stérilisé de manière à pouvoir être réutilisé derrière", explique celle qui a fait valider ce procédé par l’ADEME.
Aidée par sa famille, la fondatrice s’attèle à cette activité en parallèle de son métier de plongeuse-scaphandrière, et son nouveau projet intitulé "Les Jardins sous-marins". Incubé au sein de Blue Living Lab de Nausicaa, celui-ci vise à développer des récifs artificiels dédiés à la culture d’algues sous-marine.
Aujourd’hui, la créatrice de Mon Miracle récupère les algues sur des gisements naturels selon un plan de gestion durable. Grâce au recours à un récif artificiel, elle entend réduire encore davantage les impacts sur la biodiversité marine.
C’est également une solution pour lutter contre le changement climatique et l’acidification des océans”, note-t-elle.
Pour mener à bien ce nouveau chantier, la plongeuse a fait l’acquisition en novembre dernier du "thazard", un ancien bateau des plongeurs-scaphandriers de l’IMPP, à Marseille. Prochaine étape : retirer les moteurs pour le rendre autonome en énergie durable. Tout un symbole.