Charlène Descollonges, ingénieure hydrologue et co-fondatrice de l'association "Pour une hydrologie régénérative".
© Lauren Terrigeol
Inspirations

Charlène Descollonges ou l'éloge de la lenteur pour faire face aux crises de l'eau

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Co-fondatrice de l’association "Pour une hydrologie régénérative", l’ingénieure hydrologue Charlène Descollonges dénonce aujourd’hui notre "rapport de prédation à l’eau" et appelle à un changement de paradigme afin de mieux protéger ce bien commun, en voie de raréfaction à l’heure des crises climatiques. A l’occasion de la parution de son dernier livre "Agir pour l’eau", ID brosse le portrait de cette fervente ambassadrice du vivant. 

Des paroles mais surtout des actes ! Après L’eau, Fake or not, dans lequel elle battait en brèche les idées reçues autour de l’eau, l’hydrologue Charlène Descollonges sort un nouveau livre qui appelle cette fois à passer à l’action.  

"Agir pour l'eau", de Charlène Descollonges.
© Editions Tana

Baptisé Agir pour l’eau, cet ouvrage, publié le 12 septembre dernier aux éditions Tana, se présente comme un guide pratique dans lequel sont listées plusieurs mesures concrètes pour agir à l'échelle individuelle mais aussi collective. "Ce mode d’emploi a été construit de manière graduelle. On commence par s’intéresser au cycle de l’eau à côté de chez soi, ainsi qu'à la question de son empreinte. Puis on aborde le sujet de l’engagement, que ce soit au travail ou au sein d’associations...", explique l’auteure avant de préciser d'un ton modeste : "Avec ce livre, je veux donner envie aux citoyens et citoyennes de commencer par quelque chose. Ce n’est surtout pas une injonction à être parfait, car moi-même je ne le suis pas." 

Habituée à donner des conférences auprès d’ONG, d’entreprises ou encore de collectivités, la spécialiste - dépeinte dans les médias comme "militante" ou encore "lanceuse d’alerte", souhaite aujourd’hui sensibiliser le plus grand nombre au sujet de l’eau, encore trop méconnu.  

"Créer des ponts"

En témoigne la manière dont le grand public se représente le cycle de l’eau. Influencée par les enseignements scolaires, cette vision est bien souvent simplifiée et incomplète. 

"Ce qui ne va pas avec le schéma que l’on apprend à l’école, c’est qu’il ne prend pas en compte les interactions avec les activités humaines. Or, si on déforeste ou si on laboure un sol, on a un impact sur le régime des pluies. Cette corrélation n’est pas montrée. Par conséquent, on se représente mal le problème et on apporte de mauvaises solutions", regrette l’hydrologue. 

Avec sa fibre pédagogique, cette trentenaire tente néanmoins de changer les mentalités. "C’est par la transmission des connaissances et l’information que j’espère provoquer un changement. Je crois également en la coopération, y compris avec ceux qui polluent et dégradent le cycle de l’eau. Je cherche davantage à créer des ponts entre les mondes plutôt qu'à cliver et opposer", développe-t-elle.

"Comment régénérer le cycle de l'eau ?"

Une experte aux multiples casquettes 

Celle qui aime se définir comme "une diplomate des eaux et rivières" peut par ailleurs s’appuyer sur sa solide expertise. Fascinée par l’eau - cet élément avec lequel elle s'est familiarisée "très jeune", en accompagnant son frère, pêcheur à la mouche, dans les rivières en Bourgogne, Charlène Descollonges a commencé par étudier la géologie à Dijon (Côte-d'Or).

"Pendant ces études, j’ai réalisé la chance que l’on avait d’avoir une Terre habitable, et ce grâce à la présence de l’eau sous ses trois formes (vapeur, liquide, solide)", se remémore la jeune femme.

J’ai aussi été surprise de constater à quel point nos activités dépendent de l’eau, que ce soit pour produire notre alimentation ou faire fonctionner notre industrie." 

Riche de ces enseignements, elle décide de creuser encore plus le sujet de l’eau et de se tourner vers un master en hydrologie à l’université de Montpellier (Hérault) qu’elle complète avec un double diplôme d'ingénieur à l’Ecole des Mines, à Alès (Gard). Diplômée en 2016, l’hydrologue fait ses premières sur le terrain en tant qu’ingénieure territorial en Haute-Savoie. Sa mission : conseiller les élus sur le partage de l’eau douce.  

Régénérer pour mieux protéger 

"C’est l’une des fonctions du métier. Mais on s’intéresse aussi à la qualité de tous les hydrosystèmes terrestres : les rivières, lacs, cours d’eau, zones humides...On fait également des prévisions sur l’évolution du débit afin d'anticiper les inondations et les risques de sécheresse", détaille l’experte. 

En 2020, après quatre ans d’exercice dans la fonction publique, elle choisit de quitter ses bottes pour rejoindre le monde associatif, d’abord comme chargée de projet et responsable du comité scientifique au sein de Water Family, puis en co-fondant en 2022 l' association Pour une hydrologie régénérative avec Samuel Bonvoisin et Simon Ricard. 

Sa nouvelle mission : partager les connaissances sur l’hydrologie régénérative et favoriser l’émergence de ce modèle dans plusieurs territoires, en développant notamment les massifs forestiers, la végétalisation des villes, la renaturation des cours d’eau ou encore la restauration des zones humides. 

Vers une "ère de l’eau" ? 

"L’objectif est de restaurer le cycle de l’eau afin d’être plus résilient pour se préparer aux extrêmes hydrologiques (sécheresses, inondations) qui seront aggravés par le réchauffement climatique", relève Charlène Descollonges.

Avec ce concept, on revient sur la notion de sol. C’est quelque chose qui était peu présent dans mon esprit d’hydrologue avant que je ne découvre cette pratique. On a les pieds dans l’eau mais on ne soucie pas de ce qu’il se passe en amont dans les sols agricoles, les forêts, les villes...” 

Déjà appliquée dans le monde, notamment en Inde, en Turquie, au Mexique, au Kenya, cette vision essaime aujourd’hui doucement en France grâce aux travaux de l’association. "Pour le moment, nous travaillons sur des projets pilotes autour de Valence, dans la Drôme et une petite commune de l’Ain. Une fois la phase d’implantation achevée, l’idée est de faire des mesures sur le terrain pour quantifier les gains de ces aménagements", note-t-elle. 

Avec de telles initiatives, l’hydrologue invite à rompre avec des siècles d’extractivisme et à basculer vers une "ère de l'eau" - qu'elle décrit dans son dernier livre comme "plus féminine, plus holistique, qui prend soin, qui nourrit, qui lave, et qui régénère, telle une crue qui dépose des limons fertiles". 

Inspirée par les écrits d'écoféministes, comme ceux de Françoise d’Eaubonne, cette défenseuse du vivant prône en substance une libération du cycle naturel de l’eau. "Il faut réfléchir à un rééquilibrage entre le contrôle et le laisser faire, le réensauvagement et la protection par la main de l’homme", plaide-t-elle tout en mesure.