Si elles ont laissé peu d’écrits, plusieurs figures féminines ont marqué de leur empreinte la pensée du vivant et l’écologie. Alors que s’achève cette semaine placée sous le signe des droits des femmes, ID vous invite à (re)découvrir cinq d’entre elles aux côtés de la journaliste Pascale d’Erm, auteure de Soeurs en écologie - ouvrage publié en 2017 aux éditions La Mer Salée, dans lequel elle brosse "le premier tableau de famille des femmes engagées dans la préservation du vivant". Elle est également co-réalisatrice de Soeurs de la terre - une série documentaire en quatre épisodes, diffusée prochainement sur ARTE.
Hildegarde de Bingen
Issue d’une famille noble, Hildegarde de Bingen (1098-1179) est destinée dès son plus jeune âge à devenir religieuse. Envoyée par ses parents dans le monastère bénédictin de Disbodenberg, en Allemagne, alors qu'elle a 8 ans, elle étudie très tôt les textes bibliques mais aussi le latin, la musique, ou encore la poésie. Plus tard, toujours à travers ses lectures, cette nonne - qui deviendra par la suite une puissante abbesse, découvre la médecine et les bienfaits des plantes pour soigner les hommes. Des connaissances qu'elle expérimente par elle-même dans son jardin des simples – ces jardins médiévaux où étaient cultivées des plantes médicinales. Elle développe ensuite son savoir-faire auprès des jeunes femmes de son couvent.
Les plantes qu’elle utilisait à l’époque sont désormais validées par les recherches actuelles en phytothérapie”, révèle la journaliste et auteure Pascale d’Erm.
Dans son livre Soeurs en écologie, elle précise qu’au "total, une cinquantaine des plantes qu’elle préconisait sont toujours utilisées, et une trentaine ont été jugées particulièrement efficaces, comme l’achillée, soignant les plaies internes et externes (notamment sur les soldats blessés par balle), ou galanga, qu’elle fut l’une des premières à utiliser." Cet héritage a été redécouvert dans les années 50, à travers deux traités écrits par l’abbesse et diffusés au XIIIème siècle : Physica et Causae curae. Aujourd’hui considérée comme la première naturopathe européenne, celle que l’on appelle "la Sybille du Rhin" a été canonisée puis consacrée docteure de l’Eglise en 2012 par le pape Benoit XVI.
Rosa Luxembourg
Célèbre pour son militantisme communiste et socialiste en Allemagne, la Polonaise Rosa Luxembourg (1871-1919) est aussi, d'après Pascale d’Erm, la première à exprimer l’idée d’une "nature thérapeutique". Les herbiers qu’elle réalise entre 1915 à 1918, alors qu’elle est emprisonnée, en sont les témoignages. Tout comme les lettres qu’elle écrit à ses amis pendant cette période, et dans lesquelles elle dévoile le bien-être mental et physique que lui procure la nature.
Sa privation de liberté l’a fait se tourner vers tout ce qu’elle pouvait apercevoir de la nature de l’extérieur : les nuages, les couchers de soleil ou encore les oiseaux, qui étaient pour elle un symbole de liberté et auxquels elle parlait”, relève l’auteure de Soeurs en écologie.
Rosa Luxembourg va aussi être l’une des premières à jardiner en milieu carcéral. Fin mai 1917, elle décrit dans une correspondance ce qu’elle a planté dans la cour de sa prison : "À la droite, le groseillier qui a une odeur de clou de girofle, à ma gauche, un buisson de troènes ; au-dessus de moi, un érable et un jeune marronnier se tendent leurs larges mains vertes ; devant moi, le haut peuplier blanc, grave et accueillant, remue lentement ses feuilles […]. Que c’est beau ! Que je suis heureuse !"
Cette approche du jardinage thérapeutique est aujourd’hui développée dans certaines prisons et hôpitaux. A la fin des années 90, en France, l’infirmière-jardinière Anne Ribes a notamment créé un jardin au Pavillon des enfants et adolescents autistes à la Pitié Salpêtrière, à Paris.
Anita Conti
Relieuse d’art, écrivaine de récits de voyage, photographe, Anita Conti (1899-1997) est aussi la première femme océanographe au monde. Surnommée la "Dame de la Mer", elle a participé dès 1935 à plusieurs expéditions scientifiques. En 1939, elle embarque notamment sur le Viking pour documenter une campagne morutière de cinq mois dans les eaux du Spitzberg et de l’île aux Ours. Armée de son appareil Rolleiflex, elle observe les pratiques des pêcheurs et alerte, bien avant l’heure, sur les risques de la surpêche et l’exploitation des espèces sous-marines.
Après un passage par la Marine nationale, où elle officie en tant que photographe pour capturer les tentatives de déminage en Manche et en mer du Nord pendant la Seconde Guerre, Anita Conti retrouve les chalutiers français et passe une dizaine d’années sur les côtes de l’Afrique de l’Ouest où elle accompagne les pêcheurs dans le développement de pratiques durables. Auteure de nombreux ouvrages, comme Racleurs d’océans (1953), Géants des mers chaudes (1957) ou encore L’Océan, les Bêtes et l’Homme ou l’ivresse du risque (1971), cette visionnaire est aujourd’hui considérée comme une pionnière de l’aquaculture.
Rachel Carson
Biologiste marine américaine, Rachel Carson (1907-1964) est la première lanceuse d'alerte sur les pesticides. En 1962, elle publie Le Printemps silencieux, livre culte dans lequel la scientifique alerte sur les dangers des pesticides pour les oiseaux et pour l'homme. Elle s'attaque plus particulièrement au DDT, produit et commercialisé à cette époque par Monsanto. "Bien plus que de s’en prendre à cette marque, elle va dénoncer, à travers une enquête minutieuse, la mainmise des hommes sur le vivant à des fins destructrices et mercantiles", nuance Pascale d’Erm. Avec ce pavé jeté dans la mare, Rachel Carson s’attire les foudres de la puissante industrie des pesticides.
Après la sortie du livre, elle fait l’objet d’une campagne de dénigrement orchestrée par Monsanto. C’est en tant que femme qu’elle est attaquée. On met notamment en avant son côté femme hystérique”, observe la journaliste.
Malgré cette opération de désinformation, ses écrits rencontrent un vibrant écho auprès de l’opinion, stimulant l’essor d’une conscience écologique. Le Printemps silencieux aura aussi des répercussions politiques importantes : en 1970, l’Agence américaine de protection de l’environnement est créée, et deux ans plus tard, le DDT est interdit par le président Kennedy aux Etats-Unis.
Wangari Maathai
"Si vous détruisez la nature, la nature vous détruira", alertait Wangari Maathai (1940-2011). Prix Nobel de la paix en 2004 pour sa contribution en faveur du développement durable et de la paix, cette activiste des droits humains - première femme doctorante en science d’Afrique de l’Est et du centre, a mené plusieurs combats écologiques au Kenya. Elle est surtout connue pour son action dans la lutte contre la déforestation autour du mont Kenya. Grâce au Green Belt Movement, qu’elle co-fonde en 1977, elle a ainsi permis la plantation de millions d’arbres dans cette région mais aussi la pacification des relations entre les communautés.
"Elle est la première à comprendre le lien entre la paix, la régénération des milieux naturels et l’égalité femmes-hommes", souligne Pascale d’Erm, avant d’ajouter : "Elle a contribué à ce que les femmes participent à la plantation des arbres et s’enrichissent en créant des pépinières ou encore en vendant ces semis." Aujourd’hui disparue, Wangari Maathai demeure une source d’inspiration au Kenya et au-delà.
Des décryptages sur des sujets complexes, des entretiens pour mieux comprendre les nombreux enjeux liés à la transition écologique mais aussi des enquêtes, des portraits...
Autant de clés sur des thèmes variés (climat, biodiversité, finance durable, culture, sciences, politique...) qui doivent permettre au lecteur de mieux appréhender les défis présents et à venir, et donc de pouvoir agir.
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