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Finance durable

Malgré une année 2022 abyssale, les actions restent les reines de l’ISR

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L’année 2022 a été synonyme de revers colossal pour les marchés actions, qui ont connu des performances négatives... à deux chiffres. Pour couronner le tout, les seuls secteurs à avoir performé sont ceux traditionnellement exclus des portefeuilles durables. Pas de quoi néanmoins faire une croix sur les approches responsables, estiment les gérants de fonds positionnés sur cette classe d’actifs.

"Investir dans les entreprises les mieux notées apporte de la performance, car elles sont mieux gérées, elles anticipent les problèmes à venir, et elles sont mieux préparées, notamment aux conséquences du réchauffement climatique." Cette citation de Catherine Garrigues, responsable de la stratégie de gestion actions Stratégie Conviction au sein d’Allianz Global Investors, ne paraît pas refléter l’année 2022 désastreuse vécue par les gérants actions ayant adopté une approche responsable. Et pourtant, elle est fidèle à l’atmosphère générale parmi ces professionnels qui ont dû tenir la barre alors que le marché connaissait des baisses à deux chiffres : malgré tout, ils restent persuadés du bien-fondé de leur approche, même quand cela veut dire exclure les seuls secteurs d’activité qui ont été synonymes de rendement l’an dernier. "L’année 2022 a été assez exceptionnelle. Il faut prendre du recul dans la durée pour évaluer l’apport de l’ESG en matière de performance, mais ce dont nous sommes convaincus, c’est qu’en intégrant d’autres sources d’informations, nous enrichissons notre analyse et améliorons la robustesse de nos décisions d’investissement, et donc de notre profil rendement-risque", confirme Frédéric Surry, responsable adjoint de la gestion actions chez BNP Paribas AM.

L'exclusion du pétrole et de la défense ont pénalisé les investisseurs durables

Parmi les plus gros sujets de l’année 2022, on retrouve le rappel que l’exclusion de certains secteurs d’activités peut avoir un impact négatif sur la performance des fonds responsables. L’an dernier, ceux qui avaient choisi d’exclure le pétrole de leur univers d’investissement ont été impactés négativement. C’était le cas d’Allianz Global Investors pour les clients qui, souhaitant décarboner leurs portefeuilles, n’investissent plus dans les énergies fossiles. Tous les gérants n’ont pas cette même politique: l’approche dite best-in-class reste encore privilégiée par nombre d’entre eux. Elle consiste à privilégier les meilleurs élèves de chaque secteur, et à retirer de l’univers d’investissement seulement les entreprises les plus mal notées ESG."Le pétrole ne fait pas partie de nos exclusions. Pour nous, si on veut arriver aux objectifs de neutralité carbone d’ici 2050, les énergies renouvelables ne vont pas être suffisantes, il faut accompagner les gros pollueurs pour les amener à réduire leurs émissions carbone", estime Axelle Pinon, membre du comité d’investissement de Carmignac. Parmi les exclusions qui ont pesé lourd sur les portefeuilles responsables, on retrouve aussi le secteur de la Défense, souvent exclu par les gérants. "En 2022, ces éléments ont eu une contribution négative à la performance, qui a été compensée en choisissant d’investir dans d’autres secteurs", explique Catherine Garrigues.

La tech et la transition écologique à la peine en 2022

Que les gérants aient ou non misé sur le pétrole, d’autres facteurs ont pu impacter leurs portefeuilles responsables. "La hausse des taux d’intérêt a eu un effet direct sur l’actualisation des revenus des sociétés à forte croissance, comme celles des secteurs de la tech ou des énergies renouvelables, entraînant une baisse des valorisations", explique Axelle Pinon. Ces secteurs, particulièrement présents dans les portefeuilles durables, ont été durement touchés l’an dernier. Les rendements ont tourné autour de - 20 % en 2022 pour les fonds thématiques énergies renouvelables européens, quand les actions des grandes entreprises de la tech américaine s’effondraient, avec un record à - 64 % pour Meta.

Toutefois, les gérants restent là encore très calmes face à l’évolution du marché. "Nous restons positifs sur les perspectives 2023, notamment en Europe, parce que la crise énergétique s’éloigne. Maintenant, il faut que la BCE accompagne cet environnement en espérant qu’elle n’aille pas trop loin sur les hausses de taux", explique Frédéric Surry. Pour le professionnel, le marché va rester volatil mais il y aura des opportunités à saisir, notamment sur le plan de la transition énergétique. "En tant qu’investisseurs, au-delà de la valorisation des entreprises, nous allons regarder leur capacité à résister à un contexte de récession. Les valeurs ESG vont, dans ce contexte, pouvoir revenir en force", estime Axelle Pinon.

Des leviers d'action uniques pour les gérants actions ESG 

Pour les gérants actions, l’ESG est plus que jamais devenu un outil d’aide à la décision. "L’ESG était une niche pendant longtemps, mais il est aujourd’hui aussi fondamental que l’analyse financière", confirme Catherine Garrigues. L’intégration de critères extra-financiers permet aux gérants d’avoir une démarche transversale, qui prend en compte toutes les composantes de l’entreprise: ses produits, sa recherche, ses investissements, son impact environnemental, la composante sociale avec son vivier de talents et sa gouvernance. "Ces dernières années, les fournisseurs de données se sont aussi structuré", complète Frédéric Surry. "Nous arrivons à couvrir plus de 13 000 émetteurs sur l’ensemble des zones géographiques avec des critères étoffés." Sur cette classe d’actifs, les gérants disposent en outre de leviers d’action uniques. Ils sont bien sûr en contact avec le management des entreprises présentes en portefeuille à travers leurs politiques de dialogue. Ils ont aussi un rôle à jouer lors des assemblées générales des entreprises. "En tant qu’investisseur actions, nous avons un droit de vote, donc la capacité à faire entendre notre voix pour faire avancer les sujets", explique Axelle Pinon.

L’ESG fait aujourd’hui véritablement partie de l’analyse fondamentale. Ces critères nous permettent d’identifier risques, opportunités et tendances de marché, notamment sur le thème de la transition écologique"

Des professionnels confiants pour 2023

Pour la suite, les gérants anticipent des mois volatils mais aussi de nombreuses opportunités. "Nous restons confiants sur les actions, surtout européennes, car elles ont un caractère défensif que n’ont pas les actions américaines", estime Frédéric Surry. "Le marché va rester volatil mais il nous offrira aussi des opportunités, soit via des événements exceptionnels, comme début 2023 sur les valeurs financières, soit en identifiant des entreprises qui ont de vrais avantages technologiques ou apportent des solutions aux défis du futur." Aux États- Unis, c’est l’impact du Inflation Reduction Act qui est très attendu par les gérants, qui attendent que ce plan de relance vienne contrebalancer en partie l’effet restrictif des politiques monétaires. Côté géographie toujours, l’Asie pourrait aussi être un vivier d’opportunités. "Il y a cette année une vraie désynchronisation des cycles économiques à travers le monde. La Chine est en pleine politique de relance de son économie après trois ans de Covid, tandis que l’Europe et les États-Unis se coordonnent pour réduire l’inflation. Cela ouvre des opportunités d’investissement intéressantes pour nous", estime Axelle Pinon. Côté secteurs porteurs, la transition écologique reste un pilier des stratégies des gérants responsables, avec un intérêt particulier porté aux stratégies net zéro, et à l’alignement des portefeuilles avec les objectifs européens.

Pas de doutes sur la performance de long terme 

Loin d’être abattus par l’état du marché actions, les gérants sont au contraire déjà tournés vers l’avenir. Et leurs clients sont aussi au rendez-vous. "L’investissement responsable est un investissement de long terme. Il faut accepter qu’il y ait quelques années avec des performances moins importantes, et nos clients le comprennent très bien", confirme Catherine Garrigues. Cette dimension de temps long est aussi défendue par Frédéric Surry: "Pour voir les bénéfices en termes de rendement des stratégies durables, il faut du temps, car notre métier est d’accompagner les entreprises dans la durée, sur 3 à 5 ans minimum", rappelle le professionnel. Un discours qui a évolué presque aussi rapidement que le marché: alors qu’il y a quelques années, les gérants ISR devaient marteler que l’investissement responsable n’était pas décorrélé de la performance, ils sont aujourd’hui soutenus par leurs clients, qui comprennent de mieux en mieux ces sous-performances temporaires. "L’ESG fait aujourd’hui véritablement partie de l’analyse fondamentale. Ces critères nous permettent d’identifier risques, opportunités et tendances de marché, notamment sur le thème de la transition écologique", affirme Axelle Pinon. Le marché entre définitivement dans une nouvelle ère, celle de la fin des taux bas, peut-être celle du retour des cycles économiques clairs. Il devra accompagner le financement de la transition écologique, soutenu par les grands plans d’investissement gouvernementaux. Et les gérants seront au rendez-vous.

La souveraineté, une nouvelle thématique d'investissement émergente

La guerre en Ukraine, la volonté de moins dépendre de la Chine pour se fournir en métaux rares, les tensions autour de l’énergie ou l’approvisionnement difficile concernant certaines denrées alimentaires font de la souveraineté une préoccupation centrale de l’Union européenne, et des États qui la composent. Pour répondre à ces inquiétudes, certains gérants réfléchissent à la création de fonds dédiés. En 2020, Groupama AM faisait un premier pas dans cette direction avec son fonds diversifié New Deal Europe, dont l’un des principaux thèmes d’investissement est la sécurisation de la production européenne. CPR AM va aujourd’hui encore plus loin : la société de gestion a annoncé en avril 2023 le lancement de Euro- pean Strategic Autonomy, un fonds de gestion active investi en actions européennes qui se concentre sur quatre secteurs stratégiques, l’industrie, l’alimentation, la santé et la Défense.

 

 

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