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Finance durable

Une allocation 100% responsable sans sacrifier en performance, est-ce possible en 2023 ?

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Après une année 2022 fortement chahutée, l’investissement responsable plie mais ne rompt pas. Les gestionnaires d’actifs sont convaincus de la solidité de leurs approches, et de l’apport de l’ESG dans leur analyse, tant en matière de gestion des risques que de création d’opportunités. Pour eux, la réponse est sans appel : il est tout à fait possible de générer de la performance cette année en ayant une approche durable. Et cette approche est même la plus créatrice de valeur.

L’année 2022 restera assurément gravée dans les mémoires des gestionnaires d’actifs pour son caractère exceptionnel. Guerre en Ukraine, crise énergétique, inflation record et hausse brutale des taux d’intérêt ont dessiné un marché complexe et incertain, avec des performances en berne tant sur les marchés actions que sur les marchés obligataires, une rareté. "Le resserrement monétaire a pris à contrepied les investisseurs, avec des baisses allant au-delà de 30 % sur des maturités longues", déplore Olivier Guillou, directeur de la gestion d’Ecofi. La conjoncture a notamment favorisé les titres dans les secteurs des énergies fossiles, de l’armement et des commodities, qui sont de manière générale absents des fonds responsables.

"Les événements qui ont marqué le marché en 2022 ont des liens forts avec l’ESG : les tensions géopolitiques amènent des velléités de renforcement des investissements dans le secteur de la Défense, par exemple, et la crise énergétique des changements de paradigme sur l’utilisation des ressources énergétiques et leur provenance", estime un gérant obligataire au sein de Meeschaert Asset Management. Les investisseurs sont dans l’ensemble déçus de leur année 2022, ce qui a pu générer des questions sur la sous-performance des stratégies ESG. Mais le début d’année 2023 dément cette théorie, avec des thématiques durables qui recommencent à tirer leur épingle du jeu. "L’ISR a prouvé qu’il n’y avait pas de sous-performance à attendre sur le moyen terme, et il est tout à fait possible d’avoir une allocation 100% ISR sans rogner sur la performance", affirme Rozenn le Cainec, co-directeur multi-actifs et taux satellite au sein de La Banque Postale Asset Management (LBPAM).

Une meilleure gestion des risques

Car pour les gérants, la performance englobe deux notions sur lesquelles l’ESG a une incidence: le rendement, et le risque. Ce dernier point est un enjeu majeur pour les gestionnaires d’actifs qui ont fait de l’analyse ESG un outil au service de la robustesse de leurs fonds. "D’un point de vue ESG, nous avons connu deux controverses significatives en 2022 qui ont eu un impact fort: Orpea et Teleperformance, sur des sujets sociaux et de gouvernance. Cela montre l’intérêt d’avoir une analyse ESG qui complète les dimensions d’analyse de l’entreprise, et permet une meilleure analyse des risques", explique l'équipe ISR de Meeschaert Asset Management. La réglementation a permis de mieux encadrer la communication des acteurs financiers autour de cette gestion du risque, même si le sujet reste encore compris de manière hétérogène par les investisseurs.

"Pour les institutionnels, la conscience du risque extra-financier est bien installée. Ils savent que les risques, liés par exemple à une mauvaise gouvernance, sont bien réels. Pour les particuliers, il y a plus de travail pour faire comprendre cette facette de la performance", explique Guillaume Lasserre, directeur adjoint de la gestion au sein de LBPAM. Un avis partagé par Jean-François Bay, directeur général de Quantalys : "L’aspect risque n’est pas encore assez souvent pris en compte dans l’équation de la performance par les investisseurs particuliers. Quand on investit dans une thématique durable, on s’expose à des entreprises qui ont pris en compte les mutations de la société et du marché, ce qui nous permet de diminuer notre exposition à certains risques."

Ne serait-ce que d’un point de vue cynique, même si certains investisseurs ne croient toujours pas au réchauffement climatique, ces derniers se rendent bien compte que l’ESG ne peut être que source de performance dans les années à venir.

Un rendement intéressant sur le long terme

Même sans cette conscience de la maîtrise du risque, les investisseurs finaux sont restés confiants dans la valeur d’une gestion qui prend en compte les critères ESG. "Les flux de collecte sur les fonds ISR sont restés très résilients en 2022", confirme Jean-François Bay. "Sur environ 250 milliards d’euros de décollecte, 50 milliards sont attribuables à des fonds ISR, soit 20% de la décollecte alors que les fonds ISR représentent près de la moitié des actifs gérés." Parmi les facteurs qui expliquent cette conviction, deux mots sont sur les lèvres de l’ensemble des gérants interrogés: long terme. "Les clients savent aujourd’hui que l’ISR ne se fait pas au détriment de la performance", appuie Guillaume Lasserre. "Nous avons pu éprouver sur différents scénarios de marché dans les 4 à 5 dernières années que l’ESG n’était pas un biais structurel." L’idée sous-jacente est que l’investissement responsable peut être synonyme de sous-performance à court terme, mais que ce biais disparaît, voire s’inverse, les années passant. "L’analyse ESG nous pousse à choisir naturellement des entreprises plus transparentes, qui connaîtront bien leurs impacts les plus matériels, vont bien anticiper leurs risques physiques et faire en sorte de capter des opportunités en lien avec la transition énergétique", explique Meeschaert AM.

Cette performance extra-financière est liée à la résilience des entreprises qui composent les portefeuilles responsables, mais aussi au fait que l’analyse ESG va permettre aux gestionnaires d’identifier des thématiques d’investissement porteuses tant en matière de sens que de rendement. "Ne serait-ce que d’un point de vue cynique, même si certains investisseurs ne croient toujours pas au réchauffement climatique, ces derniers se rendent bien compte que l’ESG ne peut être que source de performance dans les années à venir. Nous sommes dans un monde qui change, tant en termes de démographie, de technologie ou de climat. En Europe, nous n’avons pas de pétrole, donc la crise énergétique appelle d’autres solutions que l’énergie fossile, avec des Etats très impliqués dans le développement de nouvelles filières", rappelle Jean-François Bay. Autre exemple, les métaux précieux, qui sont devenus stratégiques pour l’Union européenne. La volonté de développer de nouveaux moyens d’approvisionnement, notamment en cuivre, va donner lieu à des projets de relocalisation de la production, mais aussi au développement de l’économie circulaire, intéressante pour ce métal recyclable à 100 %. De quoi faire émerger dans le futur des opportunités intéressantes d’investissement.

Des données encore trop hétérogènes

L’analyse ESG fait désormais partie de la boîte à outils de l’ensemble des gestionnaires d’actifs, quelle que soit la classe d’actifs sur laquelle ils travaillent. Tout n’est néanmoins pas parfait au pays de l’investissement responsable. Que ce soit au niveau de chaque critère environnemental, social et de gouvernance, ou au niveau du degré d’engagement que les gérants sont capables de mettre en avant via leur stratégie d’investissement, des défis de taille perdurent pour les années à venir. "Il y a beaucoup de pédagogie à faire, sachant qu’on ne fait pas tous le même ISR", confirme Rozenn le Cainec. "Les investisseurs particuliers ont tendance à se faire une opinion sur la performance de l’ISR en se basant sur certains segments de marché très particuliers, comme les fonds thématiques. Mais certains fonds labellisés sont très généralistes, et auront sur des périodes de 3-5 ans des performances très proches de fonds similaires non labellisés", explique la professionnelle. Poussés par la réglementation, la normalisation des pratiques de marché ou leurs propres convictions, les gestionnaires d’actifs ont presque unanimement pris le virage de l’investissement responsable, mais peinent encore à apaiser les craintes des clients liées à l’éco-blanchiment. "Les clients sont pour la plupart très intéressés par les enjeux ESG, parce qu’ils peuvent se projeter sur des thématiques ou des notions concrètes. Mais les éléments d’analyse mis en avant par les sociétés de gestion ne sont pas toujours très clairs", souligne Meeschaert Asset Management.

Pour redorer leur image et ancrer leur approche dans une démarche plus scientifique, de plus en plus de gestionnaires d’actifs poussent à l’harmonisation des critères. "Avec SFDR, les sociétés de gestion ont dû publier leurs définitions de l’investissement durable. De ce fait, certains fonds ont été déclassés, ce qui n’impacte pas toujours le caractère ISR de ces fonds mais crée de l’incertitude", explique Olivier Guillou. Certains gestionnaires d’actifs, comme le directeur de la gestion d’Ecofi, aimeraient pouvoir moins se baser sur les déclarations publiques des entreprises, en poussant ces dernières à fournir des données auditées de manière externe, notamment sur la partie environnementale. Un souhait totalement en ligne avec les grandes évolutions du marché, qu’elles soient réglementaires ou des pratiques de place. "Les sociétés de gestion doivent avoir une approche de plus en plus quantitative, basée sur des indicateurs extra-financiers : émission de GES, consommation d’eau, rejet de déchets, mixité, écart de rémunération... Nous sommes encore dans une zone grise, même si des normes sont en train de se dessiner", souligne Jean-François Bay. Certains critères sont effectivement de mieux en mieux normés, comme l’empreinte carbone, les calculs liés aux consommations de ressources, ou encore la définition de ce qu’est un administrateur indépendant. "Certains acteurs financiers aimeraient attendre la clarification de certaines règles, l’entrée en application de CSRD et la suite de la taxonomie, mais ils doivent s’emparer de ces sujets sans attendre, car il y a urgence d’agir, notamment sur le front du climat", poursuit le directeur général de Quantalys.

Une sérénité relative pour 2023

À plus court terme, les gestionnaires d’actifs doivent continuer à composer avec un marché extrêmement incertain. L’inflation n’est pas encore stabilisée en Europe et la guerre en Ukraine continue de peser sur l’appétence au risque des investisseurs. Sur le front de la transition énergétique, les perspectives sont plus roses. Les entreprises industrielles et du secteur des énergies renouvelables, très présentes dans les portefeuilles responsables, vont bénéficier des grands plans d’investissements annoncés l’an dernier, notamment le Inflation Reduction Act aux États-Unis et le plan "France 2030" dans l’Hexagone. À l’échelle européenne, de multiples plans d’investissement doivent favoriser le financement de la transition énergétique. Ils s’inscrivent dans le cadre du Pacte vert, dont l’objectif ultime est d’atteindre la neutralité climatique à l’horizon 2050.

Le marché 2023 va très certainement continuer à être marqué par les multiples risques auxquels il est confronté, des crises de l’inflation, énergétique et bancaire aux risques démocratiques et concernant l’accès aux ressources naturelles. Mais si ces crises semblent nous éloigner de l’ESG, elles y sont au contraire intimement liées. "Il reste des incertitudes liées à l’inflation en Europe, mais les perspectives d’investissements sur la transition énergétique restent très fortes, comme le sont toutes les thématiques liées à la transformation de la société, comme la digitalisation", estime Olivier Guillou. Actions, obligations, monétaire, immobilier, actifs non cotés... "Quelle que soit la classe d’actifs, les critères ESG sont cruciaux dans les décisions des entreprises", conclut Jean-François Bay. Une allocation 100 % durable protège du risque aujourd’hui et générera du rendement demain. Des arguments de poids pour les gérants qui, en 2023, misent plus que jamais sur l’investissement durable.

 

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