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Entretiens

"L'affaire Orpea démontre l'importance d'avoir accès à une donnée extra financière fiable et de grande qualité" 

Mirova, l'un des plus gros actionnaires d'Orpea, a fait savoir début février sa volonté de rester au capital du groupe malgré ses déboires. Mathilde Dufour, directrice de la recherche en développement durable et Hervé Guez, directeur de la gestion action, reviennent sur cette annonce. 

Mirova a annoncé lundi son intention de rester au capital d’Orpea. Pourquoi cette décision ?

Hervé Guez (H.G) : Mirova est depuis de nombreuses années un actionnaire significatif d’Orpea, et ces révélations ont évidemment soulevé des questionnements quant à l’attitude à adopter. Nous sommes encore dans une période où beaucoup de choses sont dites, sans toutefois avoir entre les mains des éléments factuels issus des enquêtes en cours. Il reste complexe d’établir avec précision quelles sont les responsabilités des différents acteurs.

Dans ce contexte, il nous paraissait important de conserver nos positions, non pas en adoptant une politique de l’autruche, mais en assumant notre responsabilité d’actionnaire historique et en se servant de notre engagement pour accélérer la transformation d’Orpea sur les sujets de RSE.

N’y a-t-il pas un risque de s’exposer à de nouvelles controverses ?

(H.G) : L’actualité va rester lourde jusqu’aux résultats de l’enquête. Notre point n’est pas de dire que cela va être simple, mais que notre responsabilité est d’accélérer la transformation dans un sens utile pour la société, tout en délivrant du rendement pérenne sur le long terme. C’est l’engagement que l’on prend. Aujourd’hui, nous faisons face à une situation dans laquelle cette thèse d’investissement est mise à mal sur ces deux aspects, avec une entreprise qui est accusée de pratiques qui si elles sont avérées seraient très graves et très dommageables pour la société. Notre responsabilité est de faire notre maximum pour aider à rétablir la confiance dans un modèle de gestion de maisons de retraite et d’Ehpad qui soit vraiment utile pour la société, parce qu’il s’agit d’une condition nécessaire à un modèle économique robuste et sain.

Justement, vous avez déjà formulé certaines attentes, dont la conversion d’Orpea en entreprise à mission. De quoi parle-t-on exactement ?

Mathilde Dufour (M.D) : La transformation en entreprise à mission implique d’inscrire dans ses statuts une raison d’être et des objectifs environnementaux et sociaux sur lesquels l’entreprise sera redevable. En parallèle, il est donc essentiel que soit mis en place un organe de gouvernance pour contrôler et challenger la conduite de ces ambitions, avec la constitution d’un comité de mission composé de salariés et de parties prenantes externes. Un autre aspect est l’obligation de publier un rapport de suivi de ces objectifs qui soit audité et public pour l’ensemble des parties prenantes.

Cette transformation ne résoudra pas tous les problèmes, mais permettra néanmoins d’ancrer l’utilité sociale de l’entreprise au cœur de son activité et d’avoir un contrôle stratégique réintégrant les parties prenantes au cœur de sa gouvernance. 

Que se passera-t-il si vos demandes ne sont pas entendues ?

H.G : Il est un peu tôt pour répondre. Il va y avoir de nombreuses discussions car il ne s’agit pas d’une transformation cosmétique. Cela demande de repenser la gouvernance autour des sujets de développement durable, et donc d’échanger avec le management pour définir quelles sont les responsabilités des uns et des autres. Alors même que les enquêtes sont toujours en cours, nous souhaitons tout de même avoir une visibilité sur la volonté de l’entreprise de progresser sur ces sujets. Dans les prochains mois, nous n’excluons pas la possibilité de faire évoluer nos participations ou de formuler de nouvelles propositions lors de l’assemblée générale en juin.

Cette affaire soulève des interrogations sur les limites de l’analyse ESG. Quel est votre point de vue sur ce sujet ?

M.D : Clairement, elle révèle des défaillances dans les systèmes de notation. Cela montre aussi le besoin de structuration au niveau de la communication des entreprises, car aujourd’hui l’accès à l’information, à la fois pour les agences et les investisseurs, est loin d’être optimal. Nous n’y voyons pas une remise en cause de l’ESG, mais plutôt un défaut d’accès à un niveau d’informations suffisant et de bonne qualité pour prendre les décisions les plus éclairées. Nous continuerons à pousser en faveur des efforts de normalisation comptable, comme ce que l’on peut voir dans le cadre des travaux de l’EFRAG.

H.G : On fait un peu le procès de l’ESG, mais le premier enseignement à tirer de cette affaire, c’est qu’il s’agit d’enjeux cruciaux et que nous avons besoin de plus de profondeur dans l’analyse environnementale et sociale. Nous constatons bien qu’il y a encore un sujet sur la qualité des informations auditées et certifiées dont nous disposons et sur la normalisation en termes de reportings. De gros progrès ont été effectués ces dernières années, mais beaucoup reste à faire.

Un autre enjeu est lié au mode de fonctionnement des agences de notation, qui reste très dépendantes de l’information publique et donc de données insatisfaisantes. Il nous semble qu’il y aurait à gagner à s’interroger sur un modèle plus proche de celui des agences de notation crédit, à savoir des systèmes d’évaluation ne reposant pas simplement sur l’information publique, mais sur des diligences auprès des entreprises et l’accès à des informations pouvant rester confidentielles entre les entreprises et les agences.

Un mode de fonctionnement uniquement orienté vers la maximisation du profit génère des externalités que la société n’arrive plus à gérer."

La maximisation du profit reste au cœur des attentes de beaucoup d’investisseurs. Cette recherche est-elle réellement compatible avec une transformation en profondeur des entreprises ?

Il s’agit du cœur du problème et c’est toute l’ambition de ce que l’on essaie d’entreprendre. Le constat actuel est qu’un mode de fonctionnement uniquement orienté vers la maximisation du profit génère des externalités que la société n’arrive plus à gérer. Les entreprises doivent nécessairement intégrer des dimensions environnementales et sociales dans leur façon d’être gouvernées.

Aujourd’hui, de nombreux acteurs appellent de leurs vœux cette réforme, et c’est le sens de ce que l’on demande en allant vers des sociétés à mission et des raisons d’être. La pérennité de l’ensemble du système ne peut se concevoir que si les entreprises alignent leurs objectifs économiques, environnementaux et sociaux sur le long terme.

Nous pensons que le capitalisme responsable peut être un mode d’action et c’est ce que nous essayons de favoriser. Il n'est plus possible d'analyser une entreprise qu'en s'attachant à son niveau de profit. S'il y avait encore besoin de le démontrer, l'affaire Orpea démontre toute l'importance de pouvoir avoir accès à une donnée extra financière fiable et de grande qualité.