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Finance durable

Investissement durable : le marché obligataire continue d’innover

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Longtemps devancé par le marché actions, le marché obligataire est désormais parfaitement armé pour prendre en compte des critères extra-financiers. Avec l’éventail d’obligations sociales, vertes et sustainability-linked, cette classe d’actifs a plus que jamais sa place dans une allocation durable.

Aussi incontournables que les actions au sein d’un portefeuille, les obligations ont rarement été prises en exemple d’investissement responsable. Pourtant, cette classe d’actifs dispose de caractéristiques uniques qui en font un outil au service de la transition. "Le financement de la transition écologique est un financement qui a une forte intensité capitalistique, d’actifs de long terme qui requièrent des investissements importants, que ce soit en volume ou en valeur. Il y a besoin de capital, et il est moins rare en dette qu’en fonds propres", observe Emmanuel Weyd, CIO Crédit au sein d’Eiffel Investment Group.

Contrairement aux actions, les obligations financent directement les entreprises, et parfois même des projets précis, dans le cas des obligations spécialisées – vertes, sociales ou sustainability-linked. Il s’agit également de l’une des seules classes d’actifs à être exposée aux acteurs supra-étatiques et gouvernementaux. "Actuellement, les États jouent un rôle majeur dans la transition écologique. Ils ne bénéficient naturellement pas de l’accès au marché actions, mais tous ces acteurs se financent via de la dette, accessible aux investisseurs", souligne Artaud Caloni, gérant obligataire chez Meeschaert Asset Management. Les obligations émises par des agences gouvernementales, supra-souveraines ou d’États font en général l’objet d’une analyse particulière de la part des sociétés de gestion, qui font appel à des fournisseurs de données spécialisés pour évaluer les risques environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) auxquels un pays peut être exposé. Amundi, par exemple, fait appel à Verisk Maplecroft pour se fournir en données ESG pour l’évaluation des États. Les obligations d’entreprises, quant à elles, sont analysées grâce aux mêmes sources d’informations que celles utilisées par les gérants actions. "Le marché de l’entreprise “investment grade” est le plus avancé en matière de prise en compte ESG, mais il est aujourd’hui possible d’investir de manière durable sur chaque segment du marché", détaille Alban de Faÿ, gérant crédit et responsable des processus ISR pour la gestion obligataire chez Amundi.

Une intégration ESG de plus en plus systématique 

Le marché obligataire dans son ensemble a connu une année historique en 2022, dans un contexte de hausse de l’inflation, de baisse de la croissance, de crise énergétique et de conflit armé. Le taux à dix ans est passé de 0,19 % fin 2021 à 2,55 % fin 2022, et s’établit en avril 2023 autour de 2,9 %, selon les chiffres de la Banque de France. La performance de cette classe d’actifs varie néanmoins en fonction de l’approche retenue par les gérants. Selon les chiffres de Quantalys, la performance annualisée des fonds obligations Monde diversifiées s’établit à 0,41 % pour les fonds ISR à 5 ans, et à 0,18 % pour les fonds non ISR. Côté obligations européennes diversifiées, la performance est de - 1,87 % pour les fonds ISR à 5 ans, et à - 1,61 % pour les fonds non ISR. À l’image de ce qui se pratique pour les fonds actions, plus l’approche sera restrictive et plus le risque d’impact sur le rendement sera grand. "La promesse que l’on essaie de tenir, c’est de construire un portefeuille avec la meilleure empreinte ESG possible, tout en conservant la même exposition en termes de risques de crédit et de taux pour nos clients", explique Alban de Faÿ. Quelle que soit l’approche choisie par les gérants obligataires, les fonds sont ensuite soumis aux mêmes obligations réglementaires que les autres, et aux mêmes contraintes pour obtenir l’un des labels durables. Plus d’un tiers des fonds disposant du label Greenfin, construit comme le plus ambitieux des labels durables en France, sont d’ailleurs des fonds obligataires.

Les sustainability-linked bonds, un nouveau marché en plein essor

Sans surprise, cette classe d’actifs s’est aussi fortement structurée ces dernières années pour prendre en compte les demandes d’investisseurs en matière de produits durables. L’émission des premières obligations vertes en 2008 a donné lieu à l’émergence d’un marché devenu aujourd’hui incontournable des investisseurs souhaitant adopter une approche responsable. Si les social bonds se sont développées moins rapidement, elles font désormais partie du paysage de l’investissement obligataire responsable, avec des levées régulières depuis 2010, dont la fréquence et les montants levés continuent d’augmenter. Aujourd’hui, le marché se structure autour d’un nouveau type d’obligations, les sustainability-linked bonds (SLB), que l’on pourrait appeler en français obligations liées au développement durable. Ces instruments obligataires fonctionnent de manière assez différente de leurs contreparties vertes et sociales. En effet, ces dernières sont les émissions d’obligations sur le modèle du "use of proceed". Dans ce cas, on demande aux émetteurs une grande transparence sur les projets qui vont être financés, qui doivent impérativement être verts, dans le cas des green bonds, ou sociaux, dans le cas des social bonds.

Les SLB en revanche ne fonctionnent pas sur ce même modèle, se rapprochant plutôt des approches ESG généralistes que l’on retrouve dans les fonds labellisés ISR, par exemple."Cet instrument contient des objectifs ESG proposés par l’entreprise, qui donnent lieu à un coupon additionnel pour l’investisseur si l’entreprise ne les atteint pas", précise Alban de Faÿ. Sur ces dernières années, il s’agit probablement du type d’instrument ESG qui a eu la plus forte accélération: en 2020, les émissions plafonnaient à 600 millions d’euros, quand elles atteignent 16,3 milliards d’euros deux ans plus tard, selon la Banque de France. "Dans le cas des green bonds, il faut que l’utilisation des produits de l’émission soit conforme à une utilisation verte, mais ça ne requiert pas que l’emprunteur lui-même soit vert. Dans le cas des SLB, on va au-delà du critère de “use of proceeds”, la société prend des engagements d’amélioration de sa trajectoire sur certains critères durables", explique Emmanuel Weyd. Réduction de l’empreinte carbone, emploi des femmes, budgets liés à la formation, création d’emplois... Les objectifs peuvent être variés. Quels qu’ils soient, l’idée reste la même: permettre de financer des entreprises qui n’ont pas des activités directement vertes ou sociales, mais qui ont une politique de responsabilité sociale engagée.

Cette idée est intéressante pour les investisseurs, car elle ouvre un tout nouveau marché. En effet, tous les émetteurs sont concernés, même s’ils ne sont pas parmi les mieux notés selon des critères ESG, dès lors qu’ils présentent une trajectoire d’amélioration. Les institutions européennes ont elles-mêmes validé l’attrait de ce nouvel instrument: depuis le 1er janvier 2021, les SLB sont éligibles en tant que collatéral auprès de l’Eurosystème ainsi qu’au programme d’achat d’obligations émises par les entreprises (CSPP). "Les SLB sont très complémentaires des green et social bonds. En revanche, le marché est naissant, donc il manque encore une certaine standardisation", souligne Alban de Faÿ.

L’International Capital Market Association (ICMA), qui a publié des principes pour les green et social bonds aujourd’hui très suivis, a également publié dès 2020 un standard pour proposer un cadre aux SLB. Dans ce document, l’ICMA insiste sur le fait que les objectifs de durabilité servant de base à l’émission de SLB doivent être "significatifs, quantifiables, prédéterminés, ambitieux, régulièrement contrôlés et vérifiés de manière indépendante". Plus ouverts que les green et social bonds, les SLB sont aussi appréciés des émetteurs, car ils permettent d’envoyer un signal fort aux investisseurs quant à leur approche durable, et devraient continuer à prospérer. "La proportion des SLB dans les émissions obligataires va augmenter à l’avenir. Il y a eu peu d’émissions sur le segment du high yield en 2022, mais c’était une année exceptionnelle. En 2021, la part de SLB s’approchait probablement de 25 % de ces émissions", estime Emmanuel Weyd. Une question éthique se pose néanmoins sur ce mécanisme, qui consiste pour les entreprises à prendre un engagement en contrepartie d’une majoration financière. "Paradoxalement, cela induit une meilleure rémunération de l’investisseur dans le cas où la société serait moins vertueuse qu’annoncé. Cela interroge sur les dérapages possibles de ces produits", souligne Artaud Caloni.

L'ESG pour solidifier les portefeuilles 

Les gérants obligataires sont globalement positifs sur leurs perspectives de croissance pour 2023, même s’il reste encore beaucoup de volatilité sur le marché. Côté réglementation, le cadre des obligations vertes devrait continuer de se renforcer: le Conseil et le Parlement européen sont parvenus à un accord provisoire sur la création d’obligations vertes européennes alignées avec la taxonomie verte. Ce nouvel "EU Green Bond Standard" devra être respecté par les entreprises qui souhaitent bénéficier des flux de financement européen. Quant au marché obligataire plus classique, il semble avoir définitivement adopté les critères ESG comme outil d’analyse. "Dans le crédit, ce que vous voulez c’est être remboursé en temps et en heure. Il est essentiel d’avoir des sociétés qui soient durables au sens premier du terme, pérennes", note Emmanuel Weyd. "L’approche ESG nous permet de solidifier les portefeuilles. Il ne s’agit pas de croisade idéologique, juste de pragmatisme financier." De quoi laisser entrevoir des perspectives intéressantes sur ce marché, qui est probablement celui qui finance le plus directement les projets liés à la transition écologique.

 

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