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Finance durable

Dette privée corporate : une source de diversification... et d’impact

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Rendements attractifs et réguliers, volatilité limitée, financement de l’économie réelle... La dette privée a des arguments à faire valoir auprès des investisseurs en quête de diversification.

Malgré l’incertitude économique, le marché français de la dette privée a maintenu sa dynamique de croissance en 2022. Selon les données de France Invest et Deloitte publiées en mars, les fonds français de dette privée en entreprises et en projets d’infrastructures ont levé l’an dernier 12,4 milliards d’euros, en progression de 14 % sur un an. Au total, 19,3 milliards d’euros (+ 30 % par rapport à 2021) ont été investis dans 449 opérations. "Le marché est actif en dépit du contexte inflationniste", note l’étude, qui relève toutefois un ralentissement au second semestre, "en rupture avec la tendance historique".

Ces chiffres record confirment le recours croissant par les entreprises non cotées à cette solution de financement qui a pris son envol au cours de la dernière décennie. "Historiquement, le développement en Europe de cette classe d’actifs a été porté par une tendance assez lourde à la désintermédiation, relate Thomas Piget, codirecteur général de Zencap AM. Auparavant, le financement de l’économie réelle passait principalement par les banques, mais il y a eu une accélération du financement par des acteurs non bancaires, tels que les fonds de dette privée, depuis la crise de 2008".

Dans un contexte de durcissement règlementaire incitant les banques à davantage de prudence, la dette privée s’est ainsi imposée comme un complément, voire une alternative, aux emprunts bancaires traditionnels. "Contrairement aux banques, qui ont des processus industriels avec beaucoup de contraintes et de formalités administratives, nous sommes capables de mettre rapidement en place des financements répondant aux besoins de chaque émetteur", poursuit Thomas Piget. Des solutions "sur mesure" qui impliquent une proximité forte avec les instances dirigeantes des entreprises, mais aussi la possibilité, pour les prêteurs, de négocier et de personnaliser les termes de l’emprunt.

Source de diversification 

Si elle présente des avantages pour les entreprises, la dette privée a également de quoi séduire les investisseurs en quête de diversification. Outre des rendements potentiels attractifs et des flux de revenus réguliers grâce aux intérêts perçus, ses promoteurs mettent en avant une corrélation réduite avec les autres classes d’actifs. De quoi permettre de diversifier les risques au sein d’un portefeuille, mais aussi d’explorer de nouvelles sources d’opportunités, avance le co-directeur général de Zencap AM : "La dette privée permet l’accès à des typologies d’entreprises, secteurs et projets qui ne sont pas ou peu couverts par l’univers coté". Pour autant, cette classe d’actifs n’est pas exempte de risques. Parmi eux figure bien sûr le risque de perte partielle ou totale de la mise investie, même si les prêteurs peuvent disposer de certaines garanties et coussins d’amortissement leur permettant par exemple d’être remboursés en priorité en cas de défaut de l’entreprise. Un autre risque est lié à la liquidité de ces placements, puisque les montants investis le sont en principe pour une durée allant généralement de 5 à 8 ans. Cette caractéristique peut toutefois amener certains avantages, affirme Thomas Piget, dont une "volatilité réduite du marché".

Montée en puissance de l'ESG

La montée en puissance de l’ESG au sein de cette classe d’actifs constitue un autre argument susceptible d’intéresser les investisseurs. Celle-ci se traduit en premier lieu par une prise en compte systématique des risques extra-financiers lors de l’analyse des émetteurs. "Nous établissons une cartographie des risques de durabilité de l’entreprise qui comprend des volets consacrés au climat (risques physiques et de transition), à la biodiversité, mais aussi au social et à la gouvernance. Ensuite, une analyse en double matérialité, c’est à dire des impacts des émetteurs sur leur environnement et leurs parties prenantes, est menée", détaille Thomas Piget. Ces analyses en matérialité peuvent conduire au refus du financement de l’entreprise.

Au-delà des filtres d’exclusion, l’autre tendance forte pour le marché est l’adoption croissante d’objectifs de durabilité pour les emprunteurs : "Nous essayons de mettre en place des indicateurs et des outils d’analyse de performance afin d’identifier des leviers de durabilité pertinents pour chaque entreprise, développe Thomas Piget. Cela dépend non seulement du secteur d’activités, mais aussi de chaque entreprise, de chaque projet. Nous sélectionnons ensuite les problématiques les plus matérielles à traiter et fixons un seuil à atteindre qui soit ambitieux, mais réaliste". Concrètement, ces objectifs peuvent par exemple porter sur la réduction de l’empreinte carbone ou la création d’emplois.

Pour Vincent Lemaitre, responsable ESG pour l’activité dette privée chez Tikehau Capital, cette classe d’actifs dispose de caractéristiques qui en font un terreau idéal pour l’investissement responsable. À savoir l’accès privilégié au management des entreprises et une durée d’investissement suffisamment longue permettant la mise en place d’objectifs durables personnalisés et d’assurer leur suivi dans le temps. "Pour influer sur l’adoption de meilleures pratiques durables et en suivre les impacts, il faut être présent aux côtés des entreprises sur le long terme, ce qui est inhérent au marché de la dette privée puisque nous sommes sur des périodes de détention moyennes qui vont de 5 à 7 ans. De plus, chaque année, nous envoyons un questionnaire ESG comportant plus de 130 questions afin de suivre les progrès ESG et identifier les zones d’amélioration", détaille-t-il.

Émergence de stratégies à impact

Pour soutenir les entreprises dans leurs démarches et leur permettre de structurer leur approche, les gérants disposent d’ailleurs aujourd’hui d’un levier important qui est l’engagement, ajoute Thomas Piget : "Cela passe par beaucoup d’accompagnement et de benchmarking, les entreprises sont très en demande". En parallèle, un autre levier d’incitation de plus en plus utilisé est la mise en place de "Sustainable Linked Loans – SLL" ou de "Sustainable Linked Bonds – SLB", qui consistent à moduler le coût de la dette en fonction de l’atteinte ou non d’objectifs ESG annuels. "Concrètement, si les objectifs sont validés, il y a un ajustement de la marge à la baisse. Dans le cas contraire, la marge augmente", décrit Vincent Lemaitre. Pour l’investisseur, la démarche peut signifier une baisse de rendement si l’entreprise atteint ces objectifs, mais cette approche s’inscrit dans une logique financière, précise-t-il : "La marge baisse car nous estimons que le profil financier de l’entreprise s’améliore".

Selon France Invest et Deloitte, 46 % des opérations réalisées en France en 2022 présentaient un ou plusieurs indicateurs ESG pouvant conduire à la variation du taux d’intérêt pour l’emprunteur. Dans un autre rapport publié l’an dernier, France Invest associait la hausse des financements indexés à des critères de durabilité à plusieurs facteurs, dont la "volonté des investisseurs d’intégrer davantage les questions de durabilité dans leurs processus d’investissement", la "poussée des instances réglementaires pour renforcer les obligations de transparence en matière ESG" ou encore le "souhait des fonds de dette privée de participer et accompagner la transition des acteurs économiques". Ces dernières années, cette démocratisation a coïncidé avec l’émergence de stratégies dites "à impact" sur le marché, à l’instar de produits lancés ces dernières années par Eiffel Investment Group, Zencap AM, Amundi ou encore Sienna Investment Managers.

L’an dernier, Groupama AM a par exemple lancé le fonds à impact social Groupama Social Impact Debt. "Son objectif est de financer et d’accompagner une vingtaine de PME et ETI engagées dans une démarche d’amélioration en matière de création d’emplois et d’augmentation du pouvoir d’achat de leurs salariés, explique Emmanuel Daull, responsable dette privée chez Groupama AM. Pour apprécier les progrès de chaque entreprise en portefeuille, la société de gestion s’appuie ensuite sur des indicateurs personnalisés, relatifs par exemple à la part des salariés en CDI, au nombre de postes en alternance ou encore à l’évolution des salaires. "Si l’entreprise atteint ses objectifs, elle bénéficie d’une baisse de coupon qui va jusqu’à 25 points de base actuellement. Pour une grosse PME ou une ETI, cela représente des montants significatifs". Plus récemment, c’était au tour de Société Générale Assurance et Tikehau Capital d’annoncer le lancement du SG Tikeheau Dette Privée, un fonds thématique visant à financer des entreprises prenant l’engagement de s’aligner sur une trajectoire de décarbonation alignée avec les objectifs fixés par l’accord de Paris en utilisant la méthodologie Science Based Targets. Particularité de ce produit : il s’agit d’une unité de compte accessible pendant 24 mois dans les contrats d’Assurance Vie de Société Générale Assurance, qui en assure la liquidité. Il rejoint ainsi les rares fonds de dette privée aujourd’hui accessibles aux particuliers.

 

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