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Finance durable

Fonds immobiliers et ESG, l’âge de la maturité ?

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Poussés par la réglementation et les attentes des parties prenantes, les fonds immobiliers s’approprient de plus en plus les enjeux ESG.

"Depuis la déclinaison immobilière du label, il y a eu un saut quantique sur le marché", se réjouit Véronique Donnadieu, déléguée générale de l’Association française des sociétés de placement immobilier (ASPIM). Près de trois ans après son adaptation aux SCPI, OPCI et autres FIA, le label ISR s’est largement imposé dans le paysage des acteurs de la pierre papier. En 2022, une quarantaine de véhicules ont reçu le sésame, et la tendance semble bien partie pour durer : "À date, 108 fonds ont été labellisés. La prise de conscience est littéralement actée, je pense que toute société de gestion qui envisage le lancement d’un nouveau fonds l’envisage nécessairement avec le label".

Ce succès témoigne plus largement de l’appropriation croissante des enjeux ESG par les gérants de fonds immobiliers. Selon une étude de l’ASPIM et de l’Observatoire de l’Immobilier Durable (OID) menée en 2022 auprès de 121 fonds représentant plus de 50 % du marché en nombre de fonds et plus de 87 % en termes d’encours, plus de la moitié (56 %) ont mis en place une stratégie ESG. "Cela représente 81 % des encours, indique Claire Meunier, responsable de programme Finance à l’OID. Aujourd’hui, la mise en place d’une stratégie ESG devient incontournable, même si l’on observe une segmentation selon la taille des fonds". Mieux, cette démarche "se matérialise dans la plupart des cas par la déclaration d’objectifs ESG dans la documentation publique", relève l’étude, 41 % des fonds (soit 68 % du niveau total des encours) énonçant des objectifs ESG.

Plusieurs raisons expliquent cet essor. À l’échelle des portefeuilles, les règlements "SFDR" et "Taxinomie" et la Loi Énergie-Climat poussent notamment les acteurs à davantage de transparence sur l’intégration de l’ESG et des risques de durabilité dans leurs stratégies d’investissement et de gestion. En parallèle, des textes tels que le dispositif Éco-Énergie Tertiaire ou la loi Climat et résilience incitent par exemple à l’amélioration des performances énergétiques des actifs."Entre la force de traction du label, la règlementation financière et la règlementation au niveau du bâtiment, toutes les planètes étaient alignées pour cette montée en compétence", résume Véronique Donnadieu.

Pour les acteurs, il s’agit également de cartographier et d’anticiper des risques pouvant à terme avoir une matérialité financière. "Nous prenons comme hypothèse que les émissions excédentaires par rapport aux trajectoires de décarbonation de 1,5°C vont être taxées, et nous regardons comment cela vient déformer la valeur des actifs et le résultat net des fonds, illustre Virginie Wallut, Directrice de la recherche et de l’ISR Immobilier chez La Française Real Estate Managers. Nous analysons (également) l’ensemble de nos actifs pour vérifier s’ils n’ont pas de vulnérabilité élevée aux risques climatiques physiques les plus importants, auquel cas nous allons déployer des plans d’adaptation".

Le pilier "E" en priorité

Ces différents facteurs, couplés à la pression croissante des parties prenantes (investisseurs et locataires en tête), expliquent en grande partie la maturité des acteurs sur le pilier environnemental. Selon l’ASPIM et l’OID, 80 % des fonds dotés d’une stratégie ESG mentionnent ainsi la réduction des émissions de gaz à effet de serre, et 58 % l’amélioration des performances énergétiques des actifs. "Chacun a sa propre grille ESG, son score ESG, mais tout le monde s’accorde sur le fait que le sujet, la bottom line, c’est le carbone", commente Daniel While, directeur Recherche, stratégie et développement durable de Primonial REIM. Pour le secteur, l’enjeu est très clair, alors que le bâtiment représente 43 % des consommations énergétiques annuelles françaises et 23 % des émissions de gaz à effet de serre (GES).

Autre observation: les acteurs sont également relativement bien avancés sur le pilier de la gouvernance. La moitié des fonds ayant une stratégie ESG abordent cette thématique sous l’angle de la sensibilisation environnementale des locataires et de l’engagement des parties prenantes. "Le pilier G est un prérequis car il concerne les échanges avec les promoteurs, les locataires, les investisseurs, mais aussi les collaborateurs du groupe: comment je fédère l’ensemble de mes parties prenantes autour de ma stratégie", décrit Virginie Wallut. Pour les acteurs, la diffusion de bonnes pratiques est d’autant plus importante que les performances environnementales d’un bâtiment sont liées à son usage, insiste Anne-Claire Barberi, directrice RSE et innovation de Perial : "On peut concevoir le meilleur bâtiment et le piloter de la meilleure façon qui soit: si les utilisateurs ne respectent absolument pas les bonnes pratiques, les consommations d’énergie et les émissions de gaz à effet de serre vont mécaniquement augmenter".

En revanche, le secteur avance aujourd’hui en ordre plus dispersé sur la thématique sociale. Selon l’étude, 33 % des fonds mentionnent le confort des occupants, et 29 % la santé et la sécurité. Pour les gérants, l’une des difficultés consiste à identifier des indicateurs assez pertinents pour motiver des objectifs d’amélioration sur la durée. "Tout le monde n’a pas les mêmes indicateurs. Le S par définition est impalpable et il y a des problématiques spécifiques à chaque actif. Par exemple le S en bureaux, c’est les services, la santé (acoustique, luminosité naturelle...) et la sécurité, mais cela n’aurait pas forcément de sens pour les commerces ou d’autres classes d’actifs", ajoute Daniel While. "Même si les politiques ESG actuelles sont très centrées sur l’environnement, certains fonds se démarquent par leur ambition sur le volet social", précise néanmoins l’étude.

Une appropriation croissante des réglementations Finance Durable 

Le second volet de l’étude de l’ASPIM et de l’OID porte sur le niveau d’appropriation des règlementations extra-financières par les acteurs. Résultat : "Le premier niveau d’exigence du Règlement SFDR est aujourd’hui maîtrisé par les gestionnaires des fonds", alors que 91 % des encours analysés ont été classés et que 67 % déclarent des caractéristiques environnementales et/ou sociétales (article 8 ou 9). "2 euros investis sur 3, sur le marché de l’immobilier, sont donc engagés dans une démarche de transparence et de publication d’indicateurs extra-financiers, soulignent les auteurs. Ces chiffres révèlent l’importance que la démarche prend aujourd’hui pour les acteurs". Le constat est également positif pour l’article 29 de la loi Énergie-Climat. Parmi les fonds concernés, 74 % présentent notamment "des informations sur une trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre, leur alignement avec les accords internationaux en matière de biodiversité et leurs risques ESG".

Il faut que l’on comprenne qu’un investissement durable, c’est aussi un investissement qui a un plan pour améliorer les actifs."

Le bilan est en revanche plus mitigé en ce qui concerne la Taxinomie. Si 77 % des encours de l’échantillon citent déjà le texte, seuls 5 % des fonds anticipent la publication de leur taux d’alignement. "L’application de la Taxinomie pose nombre de difficultés aux acteurs de l’immobilier", signale l’étude, citant certaines "contraintes opérationnelles" telles que la complexité du texte et la collecte et la fiabilisation des données. Surtout, la Taxinomie ne reconnaît pas aujourd’hui les démarches d’amélioration, regrettent les acteurs. "La Taxinomie flèche actuellement les investissements vers les meilleurs actifs et donc vers la construction, mais l’enjeu dans l’immobilier est d’améliorer le parc existant, détaille Véronique Donnadieu. Les actifs les plus performants actuellement représentent environ 4 % du parc. On voit bien que tout le travail est à faire sur le reste et d’ailleurs on nous l’impose. Or la réglementation financière au contraire ne valorise que l’investissement dans le déjà performant". Problème: le best-in-progress représente de loin l’approche la plus utilisée par les fonds immobiliers. "Il faut que l’on comprenne qu’un investissement durable, c’est aussi un investissement qui a un plan pour améliorer les actifs", surenchérit Daniel While.

"Les réglementations finance durable ne sont pas toujours bien adaptées au sujet immobilier, ce qui nécessite un aller-retour assez dense avec les organismes règlementaires pour faire comprendre nos spécificités", déplore Anne-Claire Barberi. À l’avenir les acteurs attendent notamment des évolutions du cadre réglementaire pour mieux coller à la réalité des actifs immobiliers. Le label ISR est également visé : "Il est nécessaire d’accompagner la transition d’un parc ancien. Le délai de 3 ans prévu par le label ISR a été calqué au départ sur celui des valeurs mobilières mais n’est pas adapté à l’immobilier. Un cycle en immobilier normal de rénovation et d’entretien est de 5 ans", indique Véronique Donnadieu. "La temporalité est un peu courte, acquiesce Daniel While. Il faut faire de l’audit énergétique, budgéter les actions, les mettre en place et ensuite en mesurer l’impact : cela prend du temps, pour ne pas être juger sur des promesses mais des résultats. On ne peut pas décarboner un actif en trois ans."

En parallèle, d’autres défis structurants devraient continuer à occuper les acteurs au cours des prochains mois, notamment autour des sujets de collecte et d’harmonisation de la donnée et de comparabilité entre les fonds. Si des stratégies existent déjà – notamment autour de thématiques sociales –, le marché reste également aujourd’hui globalement prudent sur la notion d’impact, faute d’un périmètre clair et commun."Les critères ESG actuels reflètent souvent les moyens alloués, alors que c’est la matérialisation des impacts qui concrétise la promesse extra-financière, pointe l’étude de l’ASPIM et de l’OID. Un besoin émerge de mesurer l’amélioration réelle sur l’environnement et la société. Cette dynamique pose un certain nombre de défis étant donné qu’il est complexe d’obtenir la preuve de la relation directe entre une action et son impact, et que cela nécessite des données exhaustives et fiabilisées". "Des travaux, co-pilotés par l’ASPIM, sont en cours au sein de l’Institut de la finance durable pour définir la notion d’impact dans le domaine des actifs réels et de l’immobilier, indique Véronique Donnadieu. Il faudra être capables de matérialiser les indicateurs d’impact. Ce sont des sujets qui demandent encore un peu de temps. Cela viendra mais le secteur n’est pas tout à fait mûr".

 

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