Stéphanie Galiègue, directrice générale adjointe de l’Institut de l'Épargne Immobilière et Foncière (IEIF).
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Finance durable

“L’appétence pour l’immobilier valeur refuge est bien ancrée”

Stéphanie Galiègue, directrice générale adjointe de l’Institut de l'Épargne Immobilière et Foncière (IEIF), revient sur l’année record des fonds immobiliers grand public et sur quelques facteurs à suivre pour les prochains mois.  

Comment se porte le marché des fonds immobiliers non cotés ?

L’année 2022 a été une année record pour l’immobilier non coté en termes de collecte, qui a atteint 16,1 milliards d’euros sur le périmètre des SCPI, OPCI grand public et SCI investies via des UC en assurance-vie. Chez les particuliers la dynamique entamée depuis plusieurs années s’est poursuivie: l’appétence pour l’immobilier valeur refuge est bien ancrée, qu’il s’agisse de l’acquisition de la résidence principale ou de parts de SCPI. En revanche, les interrogations sur le contexte économique se sont traduites au second semestre par une prudence de la part des investisseurs institutionnels, qui attendent de voir l’ampleur de l’impact de l’environnement économique sur les valorisations des actifs pour adapter au mieux leur stratégie immobilière.

Le taux de distribution moyen des SCPI s’établit à 4,53 % en 2022 contre 4,49 % en 2021. Cette moyenne masque de fortes disparités entre les différentes SCPI : si l’on distingue les SCPI par catégories, il apparaît que le taux de distribution moyen est compris entre 4,17 % pour les SCPI à prépondérance "résidentiel" et 5,63 % pour les SCPI à stratégie diversifiée. Les SCPI à prépondérance "bureaux", qui représentent presque les deux tiers de la capitalisation totale des SCPI en 2022, présentent un taux de rendement moyen de 4,20 %. Par ailleurs, les SCPI à prépondérance "hôtels, tourisme, loisirs" ont renoué avec des niveaux de distribution d’avant pandémie (5,09 % en 2022 contre 2,85 % en 2021). En comparaison avec d’autres placements accessibles aux particuliers, le rendement des SCPI demeure très attractif par rapport à celui du Livret A (3 % depuis le 1er février 2023 mais avec un plafond limité à 22 950 euros) par exemple, ou celui de l’assurance vie qui s’établit sous les 2 % en 2022.

Faut-il craindre un ralentissement au cours des prochains mois ?

En immobilier, comme dans les autres classes d’actifs, le ralentissement se perçoit d’abord dans les volumes (acquisitions) avant de se voir dans les prix. En matière d’investissement immobiliers, les institutionnels ont déjà commencé à lever le pied au troisième trimestre. En revanche, on constate une relative inertie chez les investisseurs particuliers vis-à-vis des SCPI, et il faudra sûrement attendre davantage de signaux de marché, et notamment la publication des chiffres du premier semestre pour voir si l’inquiétude gagne les particuliers. L’été et la rentrée risquent d’être une période sensible.

Comment l’environnement économique (inflation, hausse des taux...) a-t-il impacté les acteurs ?

Le premier élément à prendre en compte est la hausse des taux d’intérêt, qui se traduit par une hausse du coût de l’argent. L’emprunt étant plus cher, l’accession à la propriété ou l’acquisition de parts de SCPI en ayant recours à l’endettement est rendue plus difficile. Dans les années à venir, les refinancements devraient également être reconduits à des taux plus élevés. Le contexte inflationniste est en revanche plutôt positif pour le secteur de l’immobilier, puisque les loyers sont indexés sur l’inflation. L’enjeu est néanmoins d’avoir des locataires en mesure d’absorber cette augmentation des charges, alors que d’autres postes comme l’énergie augmentent également. Le risque locatif devient un enjeu essentiel, par exemple pour des SCPI exposées à des secteurs d’activité très pénalisés comme la restauration ou les enseignes de distribution vestimentaire. À l’inverse, les secteurs du luxe ou de la banque affichent des profils plus rassurants pour les propriétaires.

On a également vu ces dernières semaines des questionnements autour de la liquidité des fonds immobiliers... 

Coté particuliers, il existe toujours un risque qu’un nombre massif d’investisseurs veuillent se retirer des SCPI par exemple. Cela peut se voir sur le marché secondaire où s’échangent les parts de SCPI, ou de manière évidente sur les demandes de retrait. Pour autant, les gérants disposent aujourd’hui d’outils de gestion de la liquidité (comme le mécanisme de rétrocession (utilisation de la collecte passée non investie) ou le plafonnement des rachats). À ce jour, il n’y a pas de signaux de retrait massif, mais c’est effectivement un point à surveiller pour les prochaines semaines. Il faut noter que la situation n’est pas la même entre les SCPI historiques qui par leur taille, disposent généralement de coussins d’amortissement importants, et des véhicules plus jeunes. 

Au-delà de la capacité à construire des immeubles propres ou à les rendre moins énergivores, il est essentiel de réfléchir à l’usage qui est fait de ces actifs."

Observe-t-on aujourd’hui une surperformance des véhicules intégrant l’ESG ?

Les fonds grand public labellisés ISR représentent aujourd’hui 51 % de la capitalisation globale des fonds immobiliers non cotés grand public au premier trimestre 2023 et 47 % de la collecte nette de ce même trimestre s’est portée sur ces véhicules. Le vrai sujet de la performance porte sur l’actif immobilier lui-même. Un immeuble répondant aux dernières normes environnementales génère-t-il une meilleure performance que les autres ? La difficulté réside d’une part dans la nécessité d’appréhender l’ensemble des facteurs qui influent sur la valorisation et sur la performance d’un immeuble: sa localisation, son occupation, la qualité du locataire, son adaptabilité aux nouveaux usages, etc. et d’autre part de raisonner ensuite toute autre chose égale par ailleurs. La réponse est oui, mais est-on en mesure de quantifier cette surperformance ? MSCI propose un indice annuel qui mesure la performance des immeubles de bureaux en France ayant obtenu un label ou une certification environnementale, qui permet une première comparaison avec un échantillon d’immeubles classiques. Jusqu’à maintenant, on avait plutôt tendance à dire que c’était le "brown discount", donc le fait que l’actif ne soit pas vert, qui pénalisait la performance. Mais est-ce que le fait d’être vert génère une valeur supplémentaire ? Ce n’est pas encore complètement normé.

Le marché est-il selon vous mature sur les enjeux ESG ?

Au vu de l’urgence des enjeux, ce serait dommage qu’il ne le soit pas. Mais au-delà de la capacité à construire des immeubles propres ou à les rendre moins énergivores, il est essentiel de réfléchir à l’usage qui est fait de ces actifs. Il faut que tous les acteurs de la chaine aient cette prise de conscience, dont les utilisateurs qui doivent adopter des comportements plus vertueux. En règle générale, est-on tous collectivement matures sur les sujets de développement durable ? Je dirais que non, et je ferais le même raisonnement pour l’immobilier.

Propos recueillis en avril 2023.

 

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