Allain Bougrain-Dubourg, grand défenseur de la cause animale, président de la Ligue pour la protection des oiseaux.
©XAVIER LEOTY / AFP
Environnement

Allain Bougrain-Dubourg: « Quand les oiseaux vont mal, l’ensemble de la biodiversité aussi »

Le bilan de 30 ans de recensement participatif des oiseaux communs français n’est pas bon. Le déclin de nombreuses populations d’oiseaux est amorcé, la faute à un environnement de plus en plus aseptisé et pollué.

Le Museum national d’Histoire Naturelle (MNHN), la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) et l'Office Français de la Biodiversité tirent la sonnette d'alarme. Les conclusions des 30 ans du programme STOC, le « suivi temporel des oiseaux communs » qui recense l’avifaune de l’Hexagone grâce à des contributions bénévoles, ne sont pas bonnes.  Les dizaines de millions de données collectées révèlent la mauvaise santé d’une grande partie des oiseaux communs. À cette occasion, Allain Bougrain-Dubourg, président de la LPO depuis 1986, tient à rappeler le rôle de lanceur d’alerte joué par les ornithologues, et l’indispensable dimension participative du recensement de la faune pour faire avancer la science.

Pouvez-vous me dire un mot sur l’étude de la LPO parue fin mai dernier ?

Cette étude est le fruit de travaux conduits pendant 30 ans, et nous en faisons le bilan avec la LPO, conjointement avec le MNHN et l’Office français de la biodiversité. C’est un bilan que l’on espère reproduire tous les ans désormais. La première chose à noter est que nous, les enfants des grands naturalistes Buffon, Cuvier, Lamarck, nous nous étions progressivement détachés des sciences naturelles, et nous y revenons aujourd’hui par le biais des sciences participatives, ici dans le cadre du suivi temporel des oiseaux communs (STOC). On voit que l’on a renoué avec la belle époque des sciences naturelles. Les contributeurs sont curieux, compétents, se soumettent à des protocoles scientifiques. Il y a environ 100 000 personnes en France qui s’engagent dans des programmes de recherches comme celui-ci, chiffre qui a augmenté de 16% cette année. Sans eux, les données scientifiques n’existeraient pas.  

Le STOC est donc une enquête participative qui consiste à répertorier les espèces d’oiseaux présentes à des points d’écoute au sein de carrés de deux kilomètres sur deux. Le point d’écoute se justifie par le fait que l’on entend l’oiseau plus qu’on ne le voit. Le bilan, disons-le franchement, est pathétique, et ce n’est pour moi malheureusement pas un scoop. L’IPBES (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiquesndlr) nous alerte depuis longtemps sur l’impact de l’agriculture intensive sur la biodiversité et les oiseaux en particulier : on constate en effet que les oiseaux des champs sont ceux qui ont connu le plus fort déclin, de l’ordre de 29,5% depuis les années 1990. Les oiseaux urbains ont, eux, décliné à hauteur de 27,8%, puisque l’on a progressivement aseptisé l’architecture : plus de trous et de creux pour accueillir les nids d’hirondelles et de martinets. Les oiseaux des forêts perdent quant à eux 9,7% de leurs populations. En revanche, les espèces généralistes, qui s’adaptent à différents milieux, sont ceux qui s’en tirent le mieux, avec 19,4% d’augmentation des populations. Dans les bonnes nouvelles, il y a par exemple l’augmentation de l’ordre de 600% des populations de cigognes blanches.

Quel est le problème avec le milieu agricole ?

Le milieu agricole est aujourd’hui aseptisé, dénué de mares, de bosquets, de murets, de plantes enherbées. C’est une sorte de désert vert, causé par l’agriculture intensive. Ce secteur-là a donc perdu près d’un tiers de ses oiseaux. Et qui dit "oiseaux" dit "biodiversité" toute entière. Lorsque les populations d’oiseaux sont en bonne santé, cela signifie que l’ensemble du cortège du vivant, des batraciens aux insectes, s’épanouit. Quand, au contraire, elles vont mal, c’est l’ensemble de la biodiversité qui se porte mal aussi. Les oiseaux sont des indicateurs essentiels de l’état d’un milieu. Ici, ce sont 24 espèces des champs qui ont servi de base aux analyses. Parmi elles, 13 sont en déclin : l’alouette des champs, le bruant ortolan, le corbeau freux… 10 autres sont "en fragile stabilité" ce qui est un terme pudique pour dire qu’elles sont également menacées.

C’est donc surtout une question d’habitat ?

Il y a deux choses. D’une part l’habitat, comme vous dites, et de l’autre l’usage de la chimie, en particulier des néonicotinoïdes, qui affectent les abeilles comme on le sait, mais aussi les oiseaux, notamment l’imidaclopride, un des insecticides les plus utilisés dans le monde. À ce propos, la LPO, grâce à son travail avec l’association Intérêt à Agir, a assigné le 21 mai dernier devant le tribunal judiciaire de Lyon les principaux producteurs, importateurs et distributeurs d’imidaclopride, c’est-à-dire Bayer, Nufarm, etc. Ce sont des acteurs très puissants, mais avec cette démarche qui vise à pointer les responsables du déclin des oiseaux, nous espérons éveiller les consciences. La France s’était engagée à réduire l’usage du phytosanitaire, mais elle n’est toujours pas au rendez-vous.

Dans ce tissu, chaque espèce est un fil, et à partir du moment où l’on en retire un, c’est l’Homme qui est immanquablement affecté."

Une question volontairement provocatrice mais, au fond, au-delà du symbole, quel est le problème si des populations d’oiseaux disparaissent ?

Au-delà du "printemps silencieux", puisque l’on a vu pendant la période de confinement combien les citoyens étaient sensibles aux bruits de la nature, qui ont des effets thérapeutiques, c’est du tissu du vivant tout entier qu'il est question. Dans ce tissu, chaque espèce est un fil, et à partir du moment où l’on en retire un, c’est l’Homme qui est immanquablement affecté. On ne vivra pas hors sol. Ou alors sur une autre planète, mais on ne peut pas s’exonérer du rôle des espèces animales. Ceci dit, je suis aussi fatigué d’être obligé de considérer qu’il faut une utilité à la nature pour justifier sa protection, voire son respect. Après, pour ceux qui n’en seraient pas convaincus, un rapport du Millenium Ecosystem Assessment estime que 40% de l’économie mondiale repose sur les services rendus par la nature, qui sont en déclin de 60%.

Pendant le premier confinement, la LPO a lancé un programme participatif de recensement ("Confinés mais aux aguets"). Est-ce que cette période a permis une sorte de réveil citoyen ?

 Oui, incontestablement. Au départ, cette idée était presque une plaisanterie. Mais nous nous sommes dit que plus d’une famille française sur deux a un jardin, et que c’était là l’occasion de recenser les oiseaux communs ; nous avons donc retenu une vingtaine d’espèces communes, identifiables par le plus grand nombre. Nous avons été sidérés par le succès de l’opération : plus d’1,4 millions de données ont été saisies pendant cette période. Du reste, on a beaucoup parlé, pendant cette période, de la « nature qui reprend ses droits ». Je n’aime pas beaucoup cette expression, puisqu’elle implique que l’on oppose Homme et nature. C’est plutôt la cohabitation et la communion qu’il faudrait envisager, plutôt que cette territorialité.

On ne s’investit pas dans la science participative si l’on n’a pas, au fond de soi, une conviction de respect de la nature."

Concrètement, à quoi cela vous aide que des citoyens participent à récolter ces données ?

Cela nous aide à continuer notre combat. Nous voyons ainsi que nous ne sommes pas seuls au monde, et c’est très enthousiasmant, c’est une forme de solidarité. On ne s’investit pas dans la science participative si l’on n’a pas, au fond de soi, une conviction de respect de la nature. Cela veut dire que nous sommes nombreux à nous passionner pour les sciences naturelles. La deuxième chose, c’est que nous travaillons avec le MNHN, dont les ornithologues nous disent, tout simplement, qu’en l’absence de données, on ne peut pas agir. Cette nouvelle forme de sciences invite naturellement à une participation citoyenne. Au passage, Bruno David, le président du MNHN, disait récemment que l’on avait retrouvé des documents du XIXème siècle qui édictaient un code de conduite à suivre pour les étrangers qui partaient récolter des informations scientifiques dans d’autres contrées. On en revient donc à cette culture de partage, profondément ancrée dans l’intérêt général. Il faut rappeler à ce titre que tous les scientifiques dont on parle ici sont des bénévoles.

Donc, tout le monde est en mesure d’aider la LPO dans son travail…

Tout le monde. Je plaide en priorité pour cette LPO que j’aime tant, et qui ne démérite pas : nous avons aujourd’hui 60 000 adhérents, 8 000 bénévoles, plus de 500 salariés, c’est la première association naturaliste de France. Mais partout en régions, il y a aussi des gens admirables qui travaillent souvent dans l’ombre, et il faut se rapprocher d’eux. Pour faire des sorties nature, à l’image de ce que les Anglais avaient initié avant nous, le birdwatching, et qui sont devenus de vrais sports nationaux. En France, on part de plus en plus en famille avec des jumelles pour observer cette nature admirable, dans ce pays qui est un écrin exceptionnel pour la nature. Nous avons des montagnes, des zones humides, des forêts gigantesques, et même des déserts comme la plaine de la Crau… C’est aussi un carrefour de migration majeur pour les oiseaux, avec des biotopes divers qui accueillent tant d’espèces différentes.

Une interview réalisée en partenariat avec France Inter. Ecoutez la chronique Social Lab à cette adresse. 

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