Les 345 000 tonnes de pain jetées chaque année pourraient trouver leur salut dans la bière.
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Entreprises

Contre le gaspillage alimentaire, ces brasseries font de la bière au pain

Du nord au sud de la France, des brasseries récupèrent auprès des boulangeries et grandes surfaces les invendus de pain pour en faire de la bière écoresponsable. Rencontre avec les brasseries Cocomiette et La Brasserie Lilloise.

Le gaspillage alimentaire est un enjeu majeur pour la transition écologique. Selon l’Ademe, le pain représente 13 % du gâchis alimentaire des ménages. Ce sont 345 000 tonnes qui sont jetées par an, et 540 000 tonnes de farine détruites par les meuniers et les boulangeries chaque année. Mais ces mies rassies trouvent leur salut dans un produit surprenant : la bière au pain.

Le mouvement des brasseries "craft" et artisanales est en plein essor. Selon Brewers of Europe, le nombre de microbrasseries a explosé en France, passant de 504 en 2013 à plus de 1650 aujourd’hui. Ces passionnés ont à cœur de valoriser les savoir-faire traditionnels et régionaux, et de respecter les ingrédients essentiels à la bière : le malt de céréales, l’eau, le houblon, la levure, et rien d’autre. Ils se placent de fait en opposition aux géants européens, qui produisent en masse des bières de basse qualité, remplies d’additifs. Diane, de la brasserie Cocomiette, abonde : "Les bières industrielles sont des produits morts". Conscient des questions posées par l'industrie agroalimentaire et soucieux de la nature, le mouvement craft s’est saisi du sujet du gaspillage.

À Roncq dans le Nord, terre de bière par excellence, les salariés d’Auchan sonnent un jour à la porte de leur voisin, la Brasserie Lilloise. Sous leurs bras, des kilos de baguettes qu’ils doivent jeter. L'institution brassicole comptait dans le même temps lancer une gamme destinée à la grande surface. "L’occasion fait le larron", et les premières bières au pain récupéré d’Auchan sont brassées en 2019, et mises en rayon dans les supermarchés. "C’est le pain de la grande distribution que l’on remet dans les rayons", nous résume Jonas Duquenoys, responsable de production qui brasse l’Achille, le nom de cette boisson au pain en circuit très court.

Chez Cocomiette, en Isère, c’est en découvrant la bière au pain d’une brasserie belge, Bruxelles Beer Project, qu’Amandine et Charlotte décident de créer leur entreprise sur ce concept, avant tout pour lutter contre le gaspillage alimentaire. Le premier brassin est lancé en 2018, et un an plus tard, elles s’exportent en Île-de-France. C’est la seule brasserie en France qui conçoit 100 % de ses bières avec du pain bio, récupéré auprès de biocoops et boulangeries bios partenaires.

Une technique ancestrale

L’idée n’est pas nouvelle, et aucune de ces brasseries n’en réclame la paternité. "La bière au pain ça existe depuis 4000 ans", signale Jonas. Comme souvent, ce sont de vieilles méthodes qui sont remises au goût du jour à la faveur des impératifs environnementaux. Le pain, composé essentiellement de céréale, remplace dans la recette entre 15 et 30 % du malt. "Le pain c’est de la céréale, le malt c’est de la céréale", note Diane. Grâce à cette technique, c’est environ 1,7 tonne de pain revalorisée chaque année par la Brasserie Lilloise, estime Jonas. Chez Cocomiette, chaque brassin de 40 hectolitres en utilise 130 à 140 kilos.

Une bière complexe à produire

La composition du pain récupéré ne permet cependant pas d'imaginer des bières radicalement différentes, à l'inverse des nouveautés craft toujours plus amères, acides, ou fruitées. Les classiques sont donc à l'honneur : blonde, blanche, ambrée et IPA chez Cocomiette, tandis que dans le Nord, l’Achille se décline en blonde ou en triple, des genres très populaires dans la région. Une contrainte dans la création qui ne semble pas déranger les brasseurs. "On a déjà l’originalité du pain, justifie Diane. On ne fait pas vraiment la différence avec une blonde normale, à part un petit goût de grillé du fait du séchage du pain". "Il y a une petite touche de sel, qui est dans le pain, qui donne une certaine saveur", abonde Jonas Duquenoys.

Surtout, la complexité et la longueur du processus rendent cette production particulièrement coûteuse en heures de travail, même si le pain est gratuit. "Antigaspi ne rime pas forcément avec économie !" insiste Diane. Entre la collecte, le tri, le séchage, le broyage et le brassage, "on ne fait pas du tout d’économie, c’est même parfois plus cher, ajoute Jonas Duquenoys. On n’aime pas du tout le gaspillage, c’est ça qui nous motive […], mais j’aimerais bien ne plus avoir à faire de bière au pain ! Ça voudrait dire qu’il n’y aurait plus de gaspillage".

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