Marie Toussaint souhaite que l'écocide soit reconnu à l'échelle mondiale.
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Marie Toussaint : "Un crime contre la planète nous porte atteinte à tous"

Lors d’un entretien accordé à ID, l’eurodéputée écologiste et juriste de l'environnement Marie Toussaint évoque les écocides, ces crimes contre la planète. Ainsi que les liens inattendus entre la destruction de la biodiversité, la crise sanitaire que nous vivons actuellement et le terrorisme.

Fondatrice de l'association Notre Affaire à Tous, Marie Toussaint tente de faire reconnaitre les écocides, "ces graves crimes contre la planète et l'humanité", nous dit-elle. Cet entretien a été réalisé avant l’annonce du gouvernement de créer un délit d’ecocide ce dimanche 22 novembre.

Comment définir un écocide ? 

Pour d’écrire l’écocide, nous pouvons prendre l’exemple de l'épandage de l'agent orange au Viêtnam. Il s’agit d’un défoliant — produit chimique entrainant la chute des feuilles d’un arbre — extrêmement destructeur qui a été déversé par les Américains pendant la guerre du Viêtnam pour détruire la végétation, mais qui était aussi déversé sur les personnes. Il avait vocation à décimer la végétation, mais pour mieux tuer les Vietnamiens dans un second temps. Il se trouve que plus de soixante ans plus tard, des enfants naissent encore malformés, malades, handicapés... Et évidemment, les écosystèmes ont eux aussi souffert de cet écocide. Heureusement, ces très graves crimes contre l'environnement ne courent pas les rues, mais il y en a quand même. Le problème aujourd'hui, c'est qu'ils restent très largement impunis.

Votre objectif est donc de faire reconnaître ces crimes écologiques ? 

Exactement, le fait de porter atteinte à la nature d’une manière qui mette en danger la survie à la fois des écosystèmes, et le vivant dont les êtres humains, doit être moralement et pénalement puni. 

Le sujet a été mis sous le tapis, mais la reconnaissance des crimes contre l'environnement revient aujourd’hui dans l'actualité.

La reconnaissance des écocides est discutée depuis les années 50 et 60, y compris par les Nations unies dans les années 70. Malheureusement, les États qui défendaient surtout leurs industries dans l'industrie nucléaire, ont refusé de reconnaître l'écocide. Le sujet a été mis sous le tapis, mais la reconnaissance des crimes contre l'environnement revient aujourd’hui dans l'actualité. Et il faut absolument se saisir du sujet, ce que font les nombreux collectifs de citoyens autour de la planète. Soit parce qu'ils vivent eux-mêmes des écocides, soit qu’ils en sont témoins, soit parce que nous savons que le réchauffement climatique par exemple représente un écocide, car met en danger la vie sur Terre. D’ailleurs en décembre dernier, les républiques des Vanuatu et des Maldives ont demandé à la Cour Pénale Internationale de reconnaître l’écocide : on est bien dans l’ordre de très graves crimes.

Où en sommes-nous en France ? 

Ce qu’il se passe en France est assez surprenant. En août 2019, suite aux énormes feux de la forêt de l’Amazonie au Brésil, au moment où tout le monde a pris conscience du fait que nous étions en train de détruire la forêt, que cela était très largement d’origine humaine, et que le gouvernement brésilien ne faisait pas grand-chose pour l’arrêter, le président Emmanuel Macron a dit : "Il nous faut condamner les écocides, comme celui commis par Jair Bolsonaro au Brésil". Depuis, des politiques se sont saisis de cette question que nous portions depuis très longtemps avec Valérie Cabanes, Notre Affaire à Tous et avec les écologistes d’EELV. Un groupe de sénateurs socialistes a fait une première proposition de loi qui était très brouillon donc qui a été rejetée... Ensuite un deuxième groupe de députés à l’Assemblée nationale, porté notamment par Christophe Bouillon, cela a encore été rejetée... Puis, les citoyens de la Convention citoyenne en ont fait l'une de leurs mesures phares et en juin, ils ont demandé au président de la République que la proposition de reconnaître l'écocide soit soumise à référendum. Et de reconnaître l’écocide à la fois au niveau international, mais aussi sur le territoire français puisque nous pouvons le faire.

Un écocide à un endroit de la planète nous porte atteinte à tous." 

Nous pouvons même y adjoindre ce que nous appelons "une compétence universelle", et donc décider de poursuivre ceux qui ont commis des crimes à l’étranger, puisque de toute façon, ce sont des crimes qui portent atteinte à la vie au vivant et à la planète : un écocide à un endroit de la planète nous porte atteinte à tous.  

Côté gouvernement, il est aussi question de la difficulté à définir les contours juridiques de l’écocide non ? 

Ce que nous dit le gouvernement aujourd’hui, c'est qu'il va peut-être changer à la marge le droit de l'environnement dans un projet de loi qui serait étudiée en décembre à l’Assemblée nationale sur le parquet européen. Qu'il mettr& probablement en place un délit d'atteinte à l'environnement, ce qui aurait déjà pu être inscrit dans notre droit de manière solide depuis une directive européenne de 2008. Donc en fait, la France ne ferait que rattraper son retard. Mais nous ne sommes pas à l’abri qu’il y ait une communication façon greenwashing de la part du gouvernement.  

Nous n’avons rien dans notre droit aujourd’hui qui permette réellement de punir et condamner et, donc de prévenir, les atteintes à la nature, les atteintes aux écosystèmes."  

Le problème vient du fait que depuis très longtemps, l’époque de la Révolution française, voire le 13e siècle, nous avons construit un droit qui est un droit de la domination de l'Humanité sur la nature. Donc, nous ne savons pas encore écrire un droit solide qui puisse couvrir les atteintes à la nature en tant que tel. Il y a des débats qui sont légitimes, mais ils portent aussi bien en matière civile, qu’en matière administrative, qu’en matière pénale. En fait, comme nous n’avons rien dans notre droit aujourd’hui qui permette réellement de punir et condamner, et donc de prévenir, les atteintes à la nature, les atteintes aux écosystèmes. Comme nous n'avons pas encore reconnu les droits de la nature à vivre à se régénérer à s'épanouir, et bien nous ne sommes pas encore sûrs de la manière dont nous pouvons rédiger cette définition des crimes d'atteintes à l'environnement.

Mais j'ai envie de vous dire que ce n'est pas la première fois que nous allons écrire un droit qui sera un droit neuf : il y a eu la déclaration universelle des droits humains, des dispositions sociales… Nous étions dans l'innovation, nous devions écrire du nouveau droit. Personne ne peut dire : "on ne peut pas reconnaître le crime d'écocide parce qu'on ne peut pas le définir". C'est bien là l’enjeu, c’est de dire allons-y, définissons-le, essayons à travers le droit de protéger notre planète !

Pour tendre vers cet objectif, vous avez justement créé une alliance, quel est son but et qui la compose ? 

J’ai lancé en octobre dernier "Ecocide Alliance", une alliance internationale des parlementaires pour la reconnaissance de l'écocide. Pour l’instant, nous sommes dix parlementaires d'un peu partout dans le monde et de diverses couleurs politiques. Il y a dans des Européens : Rebecca Le Moine de Suède, Samuel Cogolati de Belgique, Caroline Lucas du Royaume-Uni, Inès Sabanes d'Espagne, des sénatrices australiennes, un Américain qui est un avocat des droits de la nature aux Etats-Unis et puis bien sûr, Rodrigo Agostino pour le Brésil et Eufemia Cullamat aux Philippines, deux parlementaires qui sont confrontés dans leur quotidien à la fois à l'écocide, et à une forme de répression politique qui rend plus difficile pour eux de fait de défendre les écocides. 

Cela nous concerne tous.” 

Ce qui était important pour nous, c'était de dire : “nous ce que nous voulons, c'est condamner et prévenir les crimes les plus graves contre la planète, cela nous concerne tous. Maintenant nous allons axer notre travail de plaidoyer au niveau de la Cour Pénale Internationale pour soutenir les demandes des Vanuatou et des Maldives. Mais il faut que nous soyons tous ensemble autour de la planète pour demander la reconnaissance de ce crime.

Le deuxième enjeu, c’est qu'il y a des parlementaires pour lesquels il est plus facile d'agir que les autres. À travers cette alliance internationale et la lumière que nous pouvons jeter sur leurs actions, nous entendons protéger les parlementaires qui sont élus dans des pays dans lesquels il est difficile de se battre contre les atteintes à l'environnement. Nous avons l'intention de la faire vivre et reconnaître à tous les niveaux : dans nos états, Cour européenne, internationale, et pourquoi pas, au niveau local, accompagner des élus qui veulent aller dans cette direction-là. Nous voulons aussi interpeller les dirigeants sur des écocides qui sont en cours dans un échange continu avec la société civile, les juristes qui travaillent sur ces questions depuis de nombreuses années et les organisations comme "Stop Écocide" qui travaille dessus depuis des années. 

Quels moyens allez-vous pouvoir déployer pour atteindre ces objectifs ? 

Nous devons dépasser ce double blocage de méconnaissance du terme, ce qu'il recouvre. Et de comment lutter contre cela. Pour commencer, nous pouvons le faire en nombre. Depuis le lancement, nous avons reçu des demandes de parlementaires un peu partout dans le monde pour nous rejoindre et nous sommes en train de regarder cela. Autre point important, nous avons besoin de parler de l’écocide, de faire connaître ce crime dans les milieux académiques, dans les tribunaux, de parler aux juges, aux avocats, aux procureurs, aux policiers... Au Parlement européen par exemple, lorsque nous en parlons, les esprits sont relativement ouverts concernant le sujet, mais le problème, c'est que beaucoup de mes collègues ne savent pas encore ce qu'est l’écocide. De même, quand nous parlons aux citoyens de la Convention citoyenne, ils nous disent "au début, on ne savait pas ce que c'était, et quand on a compris, on s'est dit, mais comment cela les atteintes à l'environnement ne sont pas encore condamnées ?".

La multiplication des pandémies zoonotiques de ces dernières années devrait perdurer puisque nous continuons à tuer et détruire la biodiversité."

Il est aussi important de comprendre le lien de l'écocide avec ce que nous vivons quotidiennement. Aujourd'hui en France, nous avons deux choses. D'une part un arrêt de l'économie lié à une crise sanitaire importante qui nous vient de quoi ? D’un écocide qui est la destruction de la biodiversité. La covid-19 est une pandémie zoonotique. C'est-à-dire que nous avons un virus qui a sauté de l'animal à l'être humain, parce que nous avons réduit et effectué une pression telle sur les habitats des animaux, que de facto, ils sont plus proches de nous. La multiplication des pandémies zoonotiques de ces dix, quinze dernières années devrait perdurer puisque nous continuons à tuer et détruire la biodiversité. 

L'exploitation illicite des ressources naturelles est aujourd'hui la quatrième source de financement du terrorisme." 

Mais il y a un deuxième lien avec ce que nous traversons aujourd'hui, notamment après l'assassinat de Samuel Paty, ce massacre et tous les débats que nous avons ces dernières années sur le terrorisme. L'exploitation illicite des ressources naturelles est aujourd'hui la quatrième source de financement du terrorisme des groupes armés. Il semblerait même selon certains experts, qu’en 2015 et 2016, l'exploitation illégale des ressources naturelles ait été la première source de financement de l'état islamique. Dans tous les domaines, que cela soit notre sécurité sanitaire, notre sécurité économique, notre sécurité environnementale, et notre sécurité tout court, la lutte contre l'écocide doit absolument devenir une priorité, elle ne l'est pas aujourd'hui, c'est bien pour cela que nous nous battons avec cette alliance internationale des parlementaires et avec la société civile mobilisée. D'ailleurs au second semestre, nous aurons aussi une discussion sur la criminalité environnementale dans l'Union européenne. L'année 2021 va être une année cruciale et vraiment stratégique pour faire avancer cette reconnaissance.

 

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