Au début du mois, des inondations ont fait plus de 130 morts dans l’État du Texas, aux États-Unis. Alors que les équipes de secours sont toujours à la recherche de possibles survivants, le Centre pour la lutte contre la désinformation et la haine numérique (CCDH) a publié une étude révélant les mécanismes de désinformation à l'œuvre sur les réseaux sociaux à propos de ces évènements.
"Des preuves inquiétantes montrent que des entreprises technologiques mettent en avant des super-propagateurs de théories du complot, tirent profit de mensonges sur les opérations de secours, et laissent circuler des fausses informations susceptibles de gêner les interventions d’urgence et de mettre des vies en danger", dénonce Imran Ahmed, le président-directeur général du CCDH.
Les chercheurs du centre se sont intéressés aux "posts" (publications) abordant les évènements météorologiques à partir des ouragans Hélène et Milton, ayant touché les États-Unis à l’automne 2025. Les ouragans et les incendies sont d’ailleurs les phénomènes qui font le plus parler d’eux, avec "3/4 des publications sur ce sujet". En tout, l'étude se concentre sur 300 publications extraites des trois entreprises leaders des réseaux sociaux : X, Meta (Instagram, Facebook, WhatsApp…) et YouTube (appartenant à Google).
Des tactiques de déstabilisation diverses
Les chercheurs ont recensé plusieurs tactiques de désinformation. Les plus courantes sont celles qui se répandent directement dans les flux de publications. "Quelques heures à peine après chaque catastrophe, des affirmations sans fondement selon lesquelles les ouragans seraient des ‘armes de géo-ingénierie’ ou les incendies déclenchés par des ‘lasers gouvernementaux’ se sont propagées plus vite que les informations des autorités de secours et des médias fiables", constatent-ils.
Mais la désinformation est parfois plus insidieuse et dépasse le cadre des réseaux sociaux. "Des responsables du comté de Los Angeles m'ont expliqué comment un flot d'escrocs a aggravé la situation des personnes déplacées de chez elles, en les ciblant avec des publicités payantes les incitant à fournir leurs données personnelles pour prétendument obtenir une aide fédérale", raconte Imran Ahmed.
Repérer la désinformation sur les réseaux sociaux est une opération difficile. Agir en amont de la publication est impossible et, une fois diffusée, l’information circule dans le monde entier à vitesse grand V. Face à la multiplication de cette désinformation, les chercheurs ont étudié les systèmes de vérification de l’information sur chaque plateforme.
Une vérification de l’information insuffisante
Le constat est sans appel. Sur les 300 publications étudiées par l’ONG, seulement 2 % auraient été vérifiées ou soumises aux notes communautaires. Cet outil développé essentiellement sur X permet à des utilisateurs volontaires de vérifier les informations qu’ils souhaitent et d’ajouter une note explicative si celles-ci sont jugées erronées ou fausses.
L’étude démontre que les systèmes de vérification de l’information des trois réseaux sociaux étudiés comportent de nombreuses faiblesses. Selon les chercheurs, 2 % des publications sur Meta ont été vérifiées. Ce taux est de 1 % sur X. Cela signifierait que la quasi-totalité des informations circulent sans garantie d’être exactes. Sur X, cela correspond à 99 % des publications, 98 % sur Meta et 100 % sur YouTube.
Parallèlement à cela, en janvier 2025, alors que des incendies ravageaient la région de Los Angeles, le groupe Meta a supprimé son service de fact-checking (vérification de l’information) aux États-Unis.
Selon l'étude, "la grande majorité des publications véhiculant des mensonges sur la gestion des catastrophes, les causes du changement climatique ou l’aide d’urgence n’ont fait l’objet d’aucune modération avant d'être amplifiées par les algorithmes et monétisées".
Une désinformation au service des géants du numérique
Et c’est le problème au cœur des reproches formulés par Imran Ahmed : "les entreprises de réseaux sociaux exploitent les catastrophes meurtrières à des fins lucratives et pour quelques millions de clics en plus".
En effet, selon l’étude, 29 % des vidéos fausses ou trompeuses sur YouTube affichaient des publicités. Comme pour la télévision, les publicités servent aux plateformes à tirer des revenus à partir du contenu proposé gratuitement à tous.
Les algorithmes, au fonctionnement opaque, favorisent les contenus les plus "attractifs" et incitatifs, car ils rapportent ainsi plus d’argent aux plateformes. Le tout potentiellement au détriment de la vérité de l’information. Par effet boule de neige, les fausses informations seraient parfois plus virales que les faits. C’est suivant ce principe que la désinformation grandirait sur les réseaux sociaux.
Imran Ahmed rappelle que "les vues générées sur les réseaux sociaux par un seul super-propagateur bien connu de théories du complot et de mensonges ont surpassé celles des informations officielles sur la gestion d’urgence lors des incendies à Los Angeles. Ses fausses affirmations, notamment des accusations de ‘confiscation de nourriture’ par la FEMA [Agence fédérale de gestion des urgences des États-Unis] et des complots ‘globalistes' ont totalisé plus de 400 millions de vues sur X, soit plus du double de la portée cumulée de la FEMA et de dix grands médias".
À l’heure où les réseaux sociaux sont le canal privilégié pour diffuser une information rapidement, la désinformation grandit et se répand partout dans le monde. Pour rappel, 128 cas de désinformation climatique ont été détectés dans les médias nationaux français au premier trimestre 2025.
"Ce n’est pas un hasard, c’est le résultat des modèles économiques des réseaux sociaux qui récompensent l’extrémisme, pénalisent la vérité et tirent profit du chaos", estime Imran Ahmed.