Eva Morel, secrétaire générale et co-fondatrice de Quota Climat.
© Julia Couraudon
Tendances

Eva Morel : "la désinformation ne cesse de croître dans les médias, plus particulièrement sur les questions climatiques"

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Avec Data For Good et Science Feedback, Quota Climat lance un outil de détection automatisée de la désinformation climatique, diffusée à la télévision et à la radio dans plusieurs pays. L'objectif est d'aider les journalistes mais aussi les organisateurs de la société civile et les régulateurs à repérer les "discours climatiques trompeurs". Entretien avec Eva Morel, co-fondatrice de l’association. 

Si la désinformation climatique sur les réseaux sociaux est aujourd'hui bien connue, la prolifération de fake news autour du climat à la radio et à la télévision reste encore "largement ignorée", selon Quota Climat.

Pour pallier ce vide, l’association - qui interpelle depuis 2022 sur "la faible place de la crise écologique dans l’agenda médiatique", planche sur le développement d'un outil en partenariat avec Data for Good et Science Feedback – fact-checker certifié et membre du code de pratique européen sur la désinformation. Pour en savoir plus, ID a interviewé Eva Morel, secrétaire générale et co-fondatrice de Quota Climat. 

Selon l’Observatoire européen des médias digitaux, "11 % des contenus de désinformation concernaient le climat en 2024". Quels constats faites-vous de votre côté ?

A travers le travail de veille que nous réalisons depuis trois ans, nous constatons que la désinformation ne cesse de croître dans les médias, plus particulièrement sur les questions climatiques. Ce sujet est notamment instrumentalisé pour diviser. Ce phénomène de désinformation est bien connu en ligne mais beaucoup moins dans les médias traditionnels, alors que cela a des effets beaucoup plus importants sur l’opinion.

L’outil que nous développons doit ainsi permettre de produire une donnée agrégée exhaustive sur ce phénomène, aussi bien en France qu’à l’international, et de saisir l’Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique) en cas de manquements à la régulation médiatique française. 

Concrètement, comment va-t-il fonctionner cet outil ? 

Cet outil est basé sur l’IA en opensource et doit permettre de fournir des alertes en temps réel. Pour y parvenir, nous achetons le prononcé audiovisuel, c’est-à-dire le texte de la retranscription de tout ce qui est dit à la télévision et à la radio. Ensuite, on applique une première couche d’analyse sur la base de mots clés pour filtrer tous les contenus qui parlent de près ou de loin des questions environnementales. Un modèle LLM (Large Language Model), entraîné par la labellisation de propos, est par la suite appliqué afin d’examiner les narratifs. 

En tant qu'association engagée sur les questions climatiques, ne craignez-vous pas que le recours à l'IA, dont l'usage est parfois controversé, desserve le message que vous portez ? 

Au contraire, nous pensons que ces outils peuvent avoir une utilité pour des organisations comme les nôtres, notamment pour être plus efficace dans notre travail au quotidien. En revanche, nous prenons des précautions sur la manière dont on analyse les données des médias. Nous utilisons l’IA avec parcimonie, c’est-à-dire que l’on utilise les modèles d’analyse du langage les plus frugaux possibles.  

Vous précisez que le projet "contribuera techniquement et méthodologiquement aux travaux de détection de la désinformation climatique de l’Observatoire des Médias sur l’Écologie sur le volet français". Pouvez-vous rappeler la raison d’être de cette plateforme que vous avez lancée avec d’autres associations et entreprises, et qui est co-financée par l’ADEME et l’Arcom ? 

L’idée est de produire une donnée unique de référence et live sur la couverture médiatique des enjeux écologiques en France, et de la mettre à disposition de tous les acteurs qui en ont besoin. Autrement dit, les citoyens pour faire des interpellations, les médias pour améliorer leur performance, ou encore les pouvoirs publics et les régulateurs pour inciter les médias à mieux parler de ces questions. 

Cet observatoire analyse aujourd’hui les données de programmes d’information diffusés entre 6h et 23h par onze chaînes de télévision (TF1, France 2, France 3, ARTE, LCI), et huit stations de radio publiques et privées (France inter, RTL, Sud Radio, RFI). Mais nous comptons élargir le champ de notre veille à la presse écrite sur l’année 2025-2026. 

Dans le contexte actuel, oeuvrer en faveur de la lutte contre la désinformation climatique relève-t-il d’un "combat politique", d’après vous ? 

Nous voulons davantage signifier qu’il y a une différence entre promouvoir des courants de pensées et d’opinions, et promouvoir le caractère factuel de l’information qui nous est donnée. Aujourd’hui, il y a une confusion de plus en plus forte qui tend à assimiler la science à quelque chose de partisan, alors qu’il y a un certain nombre d’éléments scientifiques qui sont prouver sans équivoque. C’est le cas par exemple de l’existence du réchauffement climatique, de son origine humaine, ou encore de l’efficacité de certaines solutions... 

En opérant cette confusion entre science et militantisme, nous perdons de vue ce qui relève du fait et de l’opinion. Cela est vraiment préjudiciable à la qualité du débat démocratique".

Vous précisez vouloir permettre "un sursaut médiatique et politique" face à la circulation d’informations trompeuses autour du climat. Pourquoi ce parti pris ? 

A travers cette expression, nous voulons expliquer, qu’en posant des questions et en mettant à l’agenda certains sujets, les journalistes peuvent inciter les responsables politiques à avoir des propositions plus ambitieuses sur les questions de transition. L’idée n’est pas de leur imposer un agenda politique mais plutôt de leur rappeler qu’ils ont une capacité de prescription auprès des décideurs économiques et politiques.

En 2023, l’association Quota Climat a co-écrit une proposition de loi avec le think tank, l’Institut Rousseau. Suite à ces travaux, un projet de loi, visant à garantir le droit d’accès du public aux informations relatives aux enjeux environnementaux et de durablité, a été déposé par un groupe de députés. Que répondez-vous à ceux qui y voit une atteinte à "la liberté de la presse" ?  

Je comprends cette réaction. Je pense que c’est très naturel et souhaitable que les journalistes soient les garants des droits et libertés qu’ils ont actuellement. Mais ce réflexe peut aussi refléter une méconnaissance du cadre de réglementation actuel dans lequel évoluent les médias. 

Aujourd’hui, il y a cette idée que l’on évoluerait dans un paysage audiovisuel dépourvu de règles, alors qu’en réalité elles existent et sont déjà respectées, notamment dans le cadre de la loi de 1986 qui instaure l’Arcom". 

Les éditeurs doivent respecter le pluralisme, la rigueur de l’information, la diversité des courants de pensée et d’opinion, le traitement des violences sexistes et sexuelles, le respect des lois sur la diffamation. Avec Quota Climat, nous n’inventons pas de nouveaux dispositifs. Nous travaillons sur l’existant pour lui donner une nouvelle dimension environnementale