Qu’ont en commun les mobilisations contre le projet d’autoroute A69 Toulouse-Castres, celles contre la construction de méga-bassines à Sainte-Soline ou encore d'un aéroport à Notre-Dame-des-Landes ? Inspirées des mouvements de désobéissance civile, les contestations actuelles sont aussi les héritières d’une lutte paysanne qui a marqué de nombreuses générations : celle contre un projet d’extension d’un camp militaire sur le causse du Larzac, annoncé par le gouvernement en 1971. Rassemblant des paysans locaux, qui refusent de vendre leurs terres, et des militants et citadins venus s’installer sur le plateau, ce mouvement de résistance, achevé en 1981 à la suite d’une issue victorieuse, est retracé dans la bande-dessinée Larzac : histoire d’une résistance paysanne.
Publié le 22 mars aux éditions Dargaud, ce foisonnant récit historique - préfacé par José Bové, témoigne d’une époque et dessine en creux ce qu’il reste aujourd’hui de "l’esprit Larzac". Entretien croisé avec le scénariste et historien, Pierre-Marie Terral, et le dessinateur, Sébastien Verdier.
Pourquoi avez-vous voulu raconter l’histoire de la lutte paysanne du Larzac à travers une bande-dessinée ?
Pierre-Marie Terral : Après avoir consacré de nombreux ouvrages à cette lutte (Larzac : de la lutte paysanne à l’altermondialisme ; Larzac, terre de luttes. Une contestation devenue référence), je voulais faire ressortir son caractère humain et vivant. Ayant connaissance du travail de Sébastien, je lui ai proposé ce projet de BD sur lequel nous avons travaillé pendant près de trois ans.
Sébastien Verdier : Cela m’a plu de mon plonger dans cette histoire que je connaissais surtout à travers des figures connues, comme José Bové. J’en avais une vision un peu caricaturale. Mais en plongeant dans les nombreuses archives filmiques et picturales, dont nous disposons aujourd’hui, j’ai été surpris de voir à quel point cette lutte avait été créative.
Pierre-Marie Terral : On voulait également que cette oeuvre permette de faire perdurer la mémoire du Larzac, qu’elle soit un héritage à transmettre aux futures générations.
Du lâcher de brebis sous la Tour Eiffel en 1972 à l’élection de François Mitterrand en 1981, vous restituez plusieurs événements marquants. Lesquels vous semblent les plus emblématiques ?
Pierre-Marie Terral : Je dirais la marche des paysans vers Paris en 1975. Avec cette action, le mouvement entre de plein pied dans le mythe. Vu les conditions climatiques que les marcheurs ont dû affronter, ce rassemblement revêt une dimension presque épique. Il y a aussi un symbole fort qui m’a particulièrement marqué : le fait que seuls les sons des bâtons résonnaient sur le bitume parisien au moment de leur arrivée. Les participants racontent qu’ils avaient reçu la consigne de ne pas chanter de slogans pour cette occasion.
Sébastien Verdier : De mon côté, ce serait plutôt la construction de la bergerie de La Blaquière, qui a commencé à partir de 1973. Ce chantier a permis de concrétiser ce pourquoi les opposants se battaient. A travers cet édifice, à la fois simple et magnifique, ils installent le fait que le plateau doit rester entre les mains des éleveurs, que ce soit un lieu dédié à la pratique agricole. C’est aussi à ce moment-là que la lutte commence à se faire connaître à l’échelle nationale.
Plusieurs personnages jalonnent le récit. Quelle est la part de fiction et de réalité ?
Pierre-Marie Terral : Si quelques personnages fictifs sont introduits dans l’histoire, notamment pour les moments de manifestations, la plupart des personnes sont réelles, notamment celles du plateau. Ce sont des visages plus ou moins connus. On retrouve ainsi Pierre et Jean-Marie Burguière, Léon Maillé, Guy Tarlier, qui un peu le "général" du Larzac, ou encore Lanza del Vasto, l’inspirateur de la non-violence.
Votre BD s’appuie sur plusieurs sources issues notamment des médias. Quel regard ont-ils porté sur ce mouvement ?
Pierre-Marie Terral : Il y a deux regards : celui de la télévision d’Etat qui montre un Larzac vieillissant avec des agriculteurs qui vivent comme dans les siècles passés, et celui de la presse alternative, avec des médias comme La Gueule ouverte, Charlie Hebdo ou encore Le Canard enchaîné, qui symboliquement inaugure une mare aux canards sur des terres qu’ils ont achetées sur le plateau et qui sont gérées collectivement. En 1975, le journal va également conseiller les habitants du Larzac lorsqu’ils vont vouloir créer leur propre journal militant et bénévole : Gardarem lo Larzac ("Nous garderons le Larzac", en langue d’oc) – un clin d’oeil au slogan scandé par les paysans dès 1972.
Sébastien Verdier : Dans l’une des planches, un hommage est aussi rendu à Cabu, dessinateur de Charlie Hebdo qui a chroniqué la lutte à plusieurs reprises. Ses petites histoires s’intégraient bien dans le récit. Que ce soit à travers les archives de presse ou les nombreux films, comme Tous au Larzac, les sources n’ont pas manqué. C’est intéressant de constater le décalage entre tout ce qui a été fait à l’époque et ce qu’il en reste aujourd’hui.
Il est aussi surprenant de remarquer à quel point ce mouvement fédère des personnes issues de milieux très différents : des paysans, des militants maoïstes venus de Paris mais aussi les autorités religieuses locales...
Pierre-Marie Terral : Nous avons voulu en effet mettre en scène cette rencontre entre deux mondes, avec d’un côté les paysans du Larzac, qui pour certains n’étaient sortis du causse que pour leur service militaire, et de l’autre côté les étudiants politisés qui étaient liés à mai 68. Au lieu de se regarder en chien de faïence, ils vont s’apprivoiser.
Comment l’expliquez-vous ?
Pierre-Marie Terral : Il est difficile d’expliquer comment la symbiose a pris, peut-être est-ce dû à l’humour ou la dimension de convivialité qui ont été des ciments dès les débuts. Pour l’anecdote, chaque manifestation se terminait par un pique-nique. Le choix de la non-violence a également été déterminant. Ceux qui voulaient faire partie du mouvement devaient adhérer à cette notion. Tout n’a pas été rose. En 1975, il y a notamment eu un attentat contre une famille paysanne, un événement qui aurait pu faire basculer la lutte.
Sébastien Verdier : Ce n’était pas gagné dès le départ. C’est une suite de hasards qui a permis d’aboutir à une issue heureuse.
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On parle aujourd’hui de "l’esprit Larzac". Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
Pierre-Marie Terral : La lutte des paysans du Larzac, c’est une lutte pour la terre, pour le droit de "vivre et travailler au pays", comme on pouvait l’entendre dans certaines régions occitanes dans les années 70. L’esprit du Larzac, c’est la persistance de cette volonté. Cinquante ans plus tard, d’autres lieux impulsent de nouveaux mouvements et de nouvelles façons de produire et consommer.
Sébastien Verdier : C’est la fusion entre ce que les habitants du cru étaient et tous les apports extérieurs qui leur ont permis de s’ouvrir sur d’autres mentalités, d’autres formes d’agriculture. Cet état d’esprit est aujourd’hui un exemple pour ceux qui suivent.
La lutte du Larzac résumée en cinq dates clés
Le 6 novembre 1971 : Après l’annonce d’un projet d’extension du camp militaire du Larzac, le 28 octobre 1971, lors des informations télévisées régionales, 6 000 personnes se réunissent à Millau, la sous-préfecture voisine, à l’appel de la FDSE (Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles) et de l’Association de sauvegarde du Larzac. Le début d’une longue lutte du "pot de terre agricole contre le pot de fer militaire".
Le 25 octobre 1972 : 60 brebis, peintes du slogan "Gardarem lo Larzac" sont lâchés sous la Tour Eiffel, suscitant l’attention de la presse et donnant ainsi au mouvement un écho national.
Les 25 et 26 août 1973 : Entre 60 000 et 100 000 personnes débarquent sur le plateau du Larzac en soutien aux agriculteurs menacés d’expulsion. Un rassemblement qualifié de "Woodstock à la française" par les médias.
Le 2 décembre 1978 : Près de 50 000 marcheurs affluent vers Paris. Parmi cette foule : des paysans partis du Larzac, trois semaines auparavant, et des militants qui les ont rejoints au cours de leur parcours de près de 700 kilomètres.
Le 3 juin 1981 : Fraîchement élu, le nouveau président François Mitterrand honore son engagement d'annuler le projet d’extension du camp militaire du Larzac, à l’issue d’un Conseil des ministres, mettant fin à une décennie de combats.
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