Manifestation à Sainte-Soline, collectif "Bassines Non Merci".
©PASCAL LACHENAUD/AFP
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Opposition au projet de Sainte-Soline : qu’est-ce qu’une "méga-bassine" ?

Plusieurs milliers de manifestants se sont rassemblés le week-end dernier à Sainte-Soline dans le département des Deux-Sèvres pour protester contre le projet de "réserves de substitution" d’eau, actuellement dans les tuyaux. Solution à la sécheresse pour les uns, privatisation de l’eau pour les autres, qu’est-ce qu’une méga-bassine ?   

La manifestation a viré au chaos ce 25 mars. Plusieurs mois après de premières échauffourées, Sainte-Soline a été une fois de plus le théâtre de violents affrontements entre militants et forces de l’ordre. Malgré une interdiction de rassemblement, entre 6000 (selon la préfecture) et 30 000 personnes (selon les organisateurs) se sont réunis ce samedi sur le site en chantier d’une "méga-bassine", espérant stopper sa construction. D’après la Confédération paysanne, le collectif Bassines non merci et l’association Soulèvements de la Terre, organisateurs de l’événement, 200 manifestants auraient été blessés, dont 40 grièvement. L’un d’entre eux se trouvait toujours entre la vie et la mort ce 28 mars au soir. Du côté des forces de l’ordre, le parquet fait quant à lui état de 47 gendarmes blessés. 

"Réserve de substitution" ou "bassine", qu’est-ce que c’est ?

Les raisons de la colère : un projet de construction signé avec l’Etat en 2018 - et financeur de 70 % dudit projet - implanté dans le département des Deux-Sèvres. Celui-ci vise à faire sortir de terre 16 "réserves de substitution" d’eau dans la région, que ses détracteurs appellent "bassines". L’un des chantiers est donc prévu sur la commune de Sainte-Soline.  

Élaboré par quelque 450 agriculteurs regroupés au sein de la Coopérative de l’eau, l’objectif du dispositif est de "faire baisser de 70 % les prélèvements en été". Ces bassines sont des retenues d’eau creusées dans le sol à une dizaine de mètres de profondeur, à l’apparence de piscine géante et généralement implantées au milieu des champs. Au fond de celles-ci, une bâche en plastique. Sous terre, des kilomètres de tuyaux. La fonction d’une telle installation est, non pas de stocker l’eau de pluie, mais de pomper les nappes phréatiques afin d’assurer une irrigation suffisante des cultures toute l’année, notamment en cas de sécheresse. Ces piscines peuvent contenir jusqu’à 650 000 mètres cubes d’eau, soit l’équivalent de 260 piscines olympiques. Concrètement, l’idée est donc de stocker l’eau en plein air, puisée l’hiver lorsque la pluie est abondante, pour la réutiliser l’été lorsque la sécheresse s’installe et met à mal les cultures agricoles. Mais entre les "pro" et les "anti", le torchon brûle.  

Quels sont les arguments pour et contre ? 

D’un côté, on défend une réponse aux périodes de déficit hydrique à travers un système assurant les récoltes agricoles toute l’année. De l’autre, on dénonce un accaparement de l’eau au profit d’une agriculture intensive, ressource pourtant de plus en plus rare à mesure que les effets du réchauffement climatique se font sentir. 

Dans un camp comme dans l'autre, les arguments s’appuient sur une même étude. Publiée en juillet dernier par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), celle-ci affirme en effet que le projet devrait s’avérer bénéfique et qu’il pourrait notamment permettre d’augmenter "de 5 à 6 %" le débit des cours d’eau en été, contre une baisse de 1 % en hiver. Mais certaines limites de ce rapport scientifique ont été mises sur la table par le collectif Bassines non merci, qui a publié une contre-étude à la fin du mois de janvier, poussant le BRGM a recontextualiser ses travaux par la voie d’un communiqué paru début février

Il s’agit d’une étude répondant à une commande précise, donnant lieu à un rapport technique permettant de répondre aux questions posées avec les limites associées."

Rappelant que l’étude menée a été commandée à cet organisme public par la Société Coopérative Anonyme de l’eau des Deux-Sèvres, promoteur du projet, le BRGM a admis que la modélisation présentée dans le rapport ne prenait pas en compte les effets du réchauffement climatique et notamment les risques accrus de sécheresse régulière. La raison : l’étude s’est basée sur la période 2000-2011 et visait à répondre à une question précise posée par la Coopérative. "L’expertise réalisée par le BRGM n’est pas une étude approfondie, ni une étude d’impact de toutes les conséquences possibles des prélèvements d’eau envisagées, ont noté les auteurs dans le communiqué. Il ne s’agit pas non plus d’un article de recherche scientifique soumis à l’évaluation de la communauté scientifique. Il s’agit d’une étude répondant à une commande précise, donnant lieu à un rapport technique permettant de répondre aux questions posées avec les limites associées". Les auteurs ont également estimé que les risques croissants de sécheresses hivernales - telle que celle qui a touché la France ce début d’année - "pourrait conduire de manière répétée à des niveaux de nappe inférieurs aux seuils réglementaires, compromettant le remplissage des réserves certaines années". À ces zones d’ombre, mises en avant par les opposants, les promoteurs répondent qu’ils ont tenu compte du réchauffement en dessinant les contours du projet, décidant de diminuer d’un quart la quantité d’eau pompée dans les nappes prévue au départ.

Outre le fait qu’il serait donc difficile d’assurer des périodes de pluie suffisante pour remplir les bassines dans un contexte où le changement climatique bouleverse d’ores et déjà les saisons et confronte le monde à des événements météorologiques extrêmes plus fréquents et plus intenses, l’étude du BRGM ne répondrait pas non plus au principal argument des opposants au projet, estiment-ils : une privatisation de l’eau par une minorité d’agriculteurs. Selon Greenpeace, ce dispositif viserait à "maintenir coûte que coûte un modèle agro-industriel dévastateur". Modèle à la fois "inadapté face au changement climatique", mais également "en partie responsable" de celui-ci. Car dans les faits, cette eau stockée servirait essentiellement à irriguer les cultures qui en sont les plus consommatrices "comme le maïs, majoritairement destiné à l’élevage industriel". Les irrigants des Deux-Sèvres répondent à ça qu’ils représentent au contraire "un modèle d’agriculture familiale et diversifiée".  

Enfin dans son communiqué, le BRGM a fait savoir qu’une "actualisation (de l’étude) couvrant la période 2000-2020" était en cours. Celle-ci devrait "aboutir fin 2024". "En fonction des besoins exprimés, elle pourrait permettre d’envisager de nouvelles simulations incluant des scénarios sur les effets du changement climatique tel que prédit". Suite aux importants débordements lors de la manifestation du 25 mars, les opposants au projet de "méga-bassines" ont appelé à de nouveaux rassemblements dès demain "devant les préfectures", "pour les victimes de violences policières".

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Commentaires
Par Ludovic Chapdelaine - le 31/03/2023

Je trouve dommage de s'opposer "simplement " à ces projets. Les opposants pourraient profiter de l'occasion pour négocier l'implantation de haies par exemple : qui aurait comme effet de favoriser l'infiltration de l'eau, limiter un peu les effets de l'érosion, augmenter l'evapotranspiration l'été, biodiversité... etc...
Toujours pareil, on s'oppose sans proposition, ce n'est pas ainsi qu'on avance...

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