Les cinq cofondatrices de la plateforme Thanks For Nothing : Anaïs de Senneville, Bethsabée Attali, Marine Van Schoonbeek, Charlotte Von Stotzingen et Blanche de Lestrange.
Chronique culture

Thanks for Nothing : "susciter le premier pas d’engagement citoyen" à travers l’art

Thanks for Nothing entend rassembler artistes, entreprises et associations autour de projets citoyens et durables. Lancé en 2017 par cinq femmes issues du monde de la culture, le collectif compte déjà à son actif plusieurs événements à succès (une exposition au Palais de Tokyo, des conférences à Sciences Po et à la Villa Vassilief, une soirée de performances et collecte solidaire sur le pont Alexandre III lors de la dernière Nuit Blanche). Avec toujours pour mot d'ordre d'inciter à agir, concrètement.

Comment est venue l’idée d’engager l’art au profit de causes sociales ?

Marine Van Schoonbeek – Ça a surtout commencé parce que nous étions toutes personnellement engagées dans des associations. De façon individuelle, on avait aussi commencé à organiser le dimanche des brunchs solidaires, avec des amis, des connaissances, des collègues du monde de l’art, etc. L’idée était de collecter des vêtements, des produits d’hygiène ou de première nécessité, qu’on allait ensuite tous ensemble distribuer dans mon quartier, près des gares du Nord et de l’Est, où arrivent beaucoup de réfugiés. On a fait ces maraudes pendant plus d’un an, ce qui nous a permis de nous rendre compte du désastre sur le terrain, en étant au contact des populations en difficulté et pas seulement en lisant les journaux. Ils sont confrontés à un isolement et une invisibilité terribles, et ça leur faisait beaucoup de bien d’être considérés par des citoyens comme nous et pas seulement par des services sociaux. Puis on s’est dit qu’il fallait aller plus loin, en mettant également à profit le monde de l’art.

Selon vous, le milieu culturel n’était pas assez impliqué ?

Pour moi, l’art est engagé par essence. C’est un monde de convictions. Mais on voyait qu’on pouvait faire plus : beaucoup de personnes avec qui on travaillait nous disaient “Face à la crise des réfugiés, des sans-abri, des inégalités femmes-hommes, j’ai envie d’agir mais je ne sais pas quoi faire.” Parce ce ne sont pas des humanitaires de terrain ! Ils n’ont pas toujours le temps de se renseigner sur quelle association fait quoi, etc. Il y avait une proximité naturelle dans les idées, mais qui ne trouvait pas sa forme d’expression. Ce qu’on a déployé avec Thanks for Nothing, c’est une structure dont la spécialité est précisément de faire le pont entre ces deux mondes : on scanne le monde de l’art, on scanne le monde associatif, et on propose un format clef en main pour les deux acteurs afin qu’ils s’engagent ensemble.

"We Dream Under the Same Sky", exposition au Palais de Tokyo, automne 2017
©Florian Kleinefenn

À quoi ressemblent vos projets ?

On a globalement trois formats annuels. Le premier est celui qu’on a initié avec We Dream Under the Same Sky : une exposition dans un musée ou une institution culturelle, qui réunit des artistes qui produisent des œuvres ou nous les donnent, ou les deux, pour interpeller sur une cause, en l’occurrence les réfugiés.

Le deuxième format se situe dans une logique de transmission des savoirs, en invitant un public engagé au sein d’une école, à l’image de la conférence à Sciences Po qu’on a organisée l’an dernier : c’est un événement qui s’adresse principalement au monde de l’art, mais aussi aux étudiants et futurs professionnels. Que vous soyez avocat, dans la pub, dans la finance, dans la politique évidemment, cet élan est possible pour tout le monde.

On veut transmettre l’idée que partout, dans tous les milieux, on peut s’engager et apporter cet impact social."

Le troisième format est un projet dans l’espace public, dans une logique de démocratisation de la culture : vous n’avez même pas besoin de vous déplacer quelque part, c’est l’engagement qui vient à vous. D’autant plus que la rue est le contexte où les inégalités sociales sont le plus visibles. C’est ce qu’on a voulu faire à la Nuit Blanche, avec Le Pont des Échanges.

"Le Pont des Échanges", Nuit Blanche Paris 2018
©JB Gurliat

La culture peut-elle véritablement avoir un impact social ?

La culture, c’est l’éducation, la connaissance, une façon de questionner le réel, d’interroger les normes, de se positionner de façon décalée dans la société. Comme la philosophie ou toutes les sciences humaines, ce sont des remises en question permanentes qui nous permettent d’avancer. Les artistes ne font que ça.

Effectivement, ce n’est pas quantifiable, mais ça contribue à former des individus éclairés."

Le deuxième point, plus palpable, c’est que le monde de l’art peut mobiliser beaucoup d’individus et de moyens très concrets. D’une part, il a une capacité de mobilisation médiatique importante, qui permet d’être audible auprès d’un plus grand public. Grâce à la voix des artistes, notre premier projet We Dream a été relayé aussi bien par des journaux déjà engagés comme La Croix ou Libération, que par Vogue ou Madame Figaro. Ensuite, il a une capacité de levée de fonds importante. Le monde de l’art est producteur de valeur, on peut y trouver des artistes suffisamment généreux pour donner des œuvres ou des réalisateurs qui offrent de décors de cinéma qui pourront ensuite être vendus.

On aimerait souligner qu’on peut donner autre chose que de l’argent, comme du temps ou des compétences (pour conseiller un réfugié dont on parle la langue pour l’orienter, donner des cours de français) mais aussi des dons en nature (distribuer les milliards de choses inutilisées qu’on a chez soi). On a adopté ce principe sur le pont Alexandre III, à la Nuit Blanche : on a réussi à collecter 35 000 livres, pour la plupart des catalogues ou de beaux livres d’art donnés par le centre Pompidou, le musée Picasso, la fondation Vuitton, la fondation Cartier, plusieurs galeries parisiennes… Des ouvrages qui auraient probablement été détruits par manque d’espace de stockage, on les a sauvés pour l’association Bibliothèques Sans Frontières. C’était la plus grande donation qu’ils aient jamais reçue ! Ça va aussi dans une logique de lutte contre le gaspillage et d’économie circulaire.

Comment le public peut-il s’engager à son tour ?

Dans tous nos projets, on a constaté qu’en offrant la possibilité aux acteurs de terrain et aux personnes en difficulté de rencontrer le grand public – et en nombre (450 000 visiteurs au Pont des Échanges) ! – beaucoup de collaborations se mettent en place. Un cabinet d’avocats a proposé à plusieurs des structures associatives de s’engager en pro bono, une agence de communication également ; des personnes ont commencé à donner des cours de français, à faire des maraudes avec nous… C’est cela qu’on veut susciter : le premier pas d’engagement citoyen. Parce qu’une fois qu’on l’a fait, on continue.

Les projets Thanks for Nothing sont à suivre ici et  !

Retrouvez toutes nos propositions de sorties culturelles (et durables) dans notre agenda participatif.