L'Assemblée nationale a voté jeudi à l'unanimité des mesures visant à freiner la "fast fashion".
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Julia Faure : “Nous souhaitons pousser des réglementations qui pénalisent le modèle de la fast fashion"

Alors que les marques éthiques se multiplient, la fast fashion continue son expansion. A l’heure de la lutte contre le réchauffement climatique, le collectif En Mode Climat tire la sonnette d’alarme et réclame des lois pour réguler le secteur de la mode, l’un des plus polluants au monde. Entretien avec Julia Faure, co-fondatrice de la marque LOOM et membre de ce mouvement. 

100 milliards. C’est le nombre de vêtements vendus chaque année dans le monde. Cette surconsommation n’est pas sans conséquence sur l’environnement. Selon l’ADEME, l'industrie de la mode (vêtements et chaussures) émettrait 4 milliards d’équivalent C02 par an, soit plus que l’impact des vols internationaux et le trafic maritime réunis. Face à cette pollution massive, de plus en plus d’acteurs appellent à une transformation du secteur, à l’image de Julia Faure co-fondatrice de la marque LOOM et membre du collectif En Mode Climat, “un mouvement d’entreprises qui demande des régulations justes afin de lutter contre le réchauffement climatique”. Interview. 

L’industrie textile est responsable de 2 à 4 % des émissions de gaz à effet de serre. Qu’est-ce qui pollue ? 

Les émissions de gaz à effet de serre proviennent du transport (2 %), des bureaux et magasins (2,5 %), des matières premières (26,4 %) mais surtout des machines qui transforment la matière en vêtement (69 %). Une fois qu’on a le coton, il faut le filer, le teindre, le tisser et le confectionner. Toutes ces phases sont faites dans des usines où il y a des très grosses machines qui consomment beaucoup d’énergie.  

Le collectif En Mode Climat, dont vous faites partie, pointe également du doigt le rôle de la fast fashion, cette mode jetable à bas prix qui repose sur un renouvellement permanent des collections. En quoi son essor pose aujourd’hui problème ? 

Le problème du textile, ce n’est pas l’impact environnemental par vêtement. Le problème, c’est que l’on en produit beaucoup trop. Depuis les années 80 en France, nous avons doublé notre consommation. On achète deux fois plus de textiles et on les garde deux fois moins longtemps. Les Français achètent par ailleurs 40 vêtements neufs par an. L'essor de la fast fashion est en grande partie responsable de cette explosion.

Si on veut une industrie soutenable, il faut abandonner ce modèle et se tourner vers la sobriété."

Aujourd’hui, il y a une "prime au vice", c’est-à-dire un avantage compétitif à mal faire. Si je décide de délocaliser mon t-shirt en coton bio du Portugal vers le Bangladesh, je vais diviser par trois ou cinq mes coûts de production en ayant à la fin le même produit. Plus je fais mal, plus je suis compétitif.  

Des marques éthiques émergent. Peuvent-elles changer la donne ? 

Nous avons été bercés par le mythe que les entreprises éthiques allaient remplacer les entreprises moins éthiques car le consommateur allait se tourner vers elles. En tant qu’entreprises éthiques, nous avons fait un constat différent. Certes, il y a un développement commercial des marques éthiques, comme Patagonia ou encore 1083...Mais ce succès ne s’est jamais fait au dépens de la fast fashion, voire de l’ultra fast fashion avec des Primark ou Shein. A l’heure du changement climatique et de l’effondrement du vivant, ce n’est pas suffisant d’avoir des initiatives vertueuses. Il faut des lois pour empêcher le développement d’initiatives destructrices. 

Avec le collectif En Mode Climat, vous plaidez en effet pour une législation contraignante. Quelles réglementations souhaitez-vous pousser ?  

Nous souhaitons pousser des réglementations qui pénalisent le modèle de la fast fashion. Celle-ci s’appuie sur deux piliers. Le premier, ce sont les bas prix. Le deuxième, ce sont les incitations à consommer, par le renouvellement des collections ou les offres promotionnelles. Nous souhaitons qu’il y ait des critères qui pénalisent ces deux aspects dans la réglementation existante. Il faudrait notamment une révision du cahier des charges de la REP (Responsabilité élargie du producteur textile).

Nous demandons à ce que l’écotaxe payée sur chaque vêtement soit plus importante en appliquant le principe du pollueur-payeur."

Si vous achetez une marque de la fast fashion, vous payez une écotaxe plus importante que si vous êtes une marque qui produit en France.  

Conformément à l’article 2 de la loi Climat et résilience, un affichage environnemental dans le secteur des textiles doit voir le jour en 2023 en France. Grâce à un système de notes, allant de A (la meilleure) à E, il doit permettre au consommateur d’identifier les produits les plus responsables. Qu’en pensez-vous ?  

C’est une bonne idée. Mais aujourd’hui il n’y a rien qui pénalise les marques de la fast fashion. En l’état, des t-shirts en polyester siglés H&M, faits à l’autre bout du monde, seront mieux notés que des t-shirts en matières naturelles, réalisés localement. Nous souhaitons qu’il y ait des critères qui permettent de sanctionner les prix dérisoires et les incitations à consommer. Nous avons été invités par le ministère pour proposer une méthode qui tient compte de la durabilité réelle des vêtements. Celle-ci est actuellement en phase de test. Nous espérons que le gouvernement en tiendra compte dans les prochains mois. Sur la filière REP, nous avons également fait des propositions, notamment une augmentation significative de l’écotaxe. Mais celles-ci n’ont pas été retenues.  

Observez-vous tout de même une prise de conscience de la part des pouvoirs publics ? 

S’il y avait une prise de conscience, il y aurait des régulations qui vont dans ce sens-là. Actuellement, il n’y a aucune régulation qui s’oppose à la fast fashion, ni en France, ni en Europe. La fast fashion a un boulevard sur le marché du textile ce qui explique son succès actuel ou encore la fermeture de modèles intermédiaires comme Camaïeu. Ce qui est inquiétant, c’est que ça ne va pas s’arrêter là.  

Quel rôle peut jouer le consommateur ? 

Le consommateur a un rôle à jouer dans le sens où il peut faire émerger des marques éthiques. Il peut également s'adresser aux politiques pour s'opposer à ce que des produits issus de l’esclavage des Ouïghours rentrent sur le territoire à des prix dérisoires. Mais on ne peut pas uniquement compter sur le consommateur. C’est comme sur la route, on ne peut pas seulement s'appuyer  sur l’autorégulation des automobilistes pour s’assurer qu’il n’y ait pas d’accidents autour des écoles. C’est important qu’il y ait des lois et un code de la route qui forcent les automobilistes à avoir une bonne conduite. Cette logique doit s’appliquer aussi dans le secteur de la mode. 

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