Marc De Nale, directeur général de Demain la Terre.
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“Le bio n’est pas LA solution, mais il en fait très certainement partie”

Entretien avec Marc De Nale, directeur général de Demain la Terre, une association de producteurs et transformateurs de fruits et légumes engagés dans une démarche couvrant les trois piliers du développement durable (environnement, économie et social) concrétisée par le label Demain la Terre.

Emmanuel Macron appelle les consommateurs à manger français, cela vous inspire quoi ? 

Cela m’inspire deux réflexions, un peu antinomiques. D’une part, cela a été maintes fois démontré, l’agriculture française est la plus durable au monde. Nous avons la chance d’avoir des productions de qualité, qu’elles soient métropolitaines ou issues de nos outre-mers. Par ailleurs, on peut constater un nombre croissant de producteurs et faiseurs qui s’engagent dans des démarches plus vertueuses, basées sur le progrès, tant sur le plan environnemental que du point de vue de la santé (collaborateurs et consommateurs) et des conditions de travail. Il est crucial de soutenir cet engagement et d’encourager ces progrès. Le meilleur moyen pour cela est de consommer les produits de nos producteurs. Il est évident qu’au-delà des producteurs et des consommateurs, c’est toute la chaine qui doit s’inscrire dans cette logique et donc les acheteurs, revendeurs et distributeurs. Un point important à avoir en tête, et dont le consommateur doit être conscient, c’est l’absence totale de certaines filières sur notre territoire, indépendamment de l’adaptation des cultures sous nos latitudes et notre climat ; elles sont donc à (re)créer entièrement, cela prend du temps. 

D’autre part, doit-on progressivement tirer un trait sur l’importation de produits alimentaires ? Qu’on le veuille ou non, la production française coûte plus cher que pour la plupart des produits importés. Avec un coût de la vie qui est malmené ces derniers temps, il est nécessaire que tous les porte-monnaie puissent nourrir. Il est également à souligner que nous ne disposons pas de toutes les productions sur notre territoire, même ultramarin. Doit-on se passer de la plupart des agrumes, des fruits exotiques, du café, du thé, du riz… ? Enfin, il existe des démarches plus vertueuses et de progrès pour les productions d’importation qu’il est nécessaire de porter à la connaissance du consommateur pour qu’il puisse faire des choix de consommation éclairés.

Nous sommes un pays d’explorateurs qui ont notamment ramené diverses plantes et cultures que nous consommons régulièrement. Doit-on mettre cette histoire de côté ? 

L’équation est complexe, il n’existe pas de réponse unique, tranchée et absolue pour tous les consommateurs que nous sommes. Bien entendu qu’il faut prioriser la production française et soutenir nos producteurs, mais pas n’importe comment et à n’importe quel prix… 

Le point crucial que je n’ai pas évoqué ci-dessus, c’est l’indispensable présence de producteurs sur notre territoire si l’on veut consommer français, avec un métier attractif, des conditions de travail décentes, des formations adaptées aux enjeux actuels et à venir… Le chantier est immense. 

 On parle beaucoup de souveraineté alimentaire, quels sont les moyens d’y parvenir selon vous ? 

Il me semble important de bien distinguer la souveraineté alimentaire de l’autonomie alimentaire. La première n’implique pas nécessairement la seconde, il s’agit plutôt d’être maître et décideur de ce qui arrive dans notre assiette. Et pour cela, si déjà nous priorisons les productions qui sont présentes sur notre territoire sans aller les chercher ailleurs, nous aurons fait un grand pas en avant. Et si, pour ce qui est importé, nous mettons des règles de production et de travail aussi importantes que celles qui existent pour les producteurs français, nous aurons fait un nouveau pas en avant. Là alors, nous aurons deux des grandes composantes de la souveraineté alimentaire. En parallèle doivent être trouvées des solutions aux problématiques évoquées auparavant : (re)construction de filières, présence d’agriculteurs sur notre territoire, maîtrise des coûts de la production française au regard de la concurrence des produits importés, choix de produits que l’on souhaite toujours consommer ou pas… 

 Alors que la bio avait le vent en poupe, la consommation a marqué un coup d’arrêt en 2021, que se passe-t-il ? 

 Il me semble qu’il y a facteurs qui entrent en ligne de compte. Le premier concerne le prix d’achat des produits issus de l’agriculture biologique. Là encore, qu’on le veuille ou non, le prix d’achat d’un produit “bio” pour le consommateur est plus élevé qu’un produit qui ne porte pas le label. On peut trouver des exceptions, mais c’est une tendance réelle. Alors que chacun compte ce qu’il dépense pour se nourrir, se chauffer, se déplacer, s’habiller…, cela peut amener les consommateurs à se détourner de ces produits. 

Le second relève de la confiance dans le label “bio” qui marquerait (au conditionnel) le pas. Quelques scandales variablement médiatisés, des questions sur l’importation, parfois de loin, de produits porteurs du label, des enjeux globaux dont prennent conscience les consommateurs mais que n’adresse pas le label “bio”… autant de possibles explications à ce coup d’arrêt. 

De mon point de vue, le label “bio” a le mérite d’avoir fait évoluer des modes de production, trouver de nouvelles solutions techniques, réfléchir à l’impact environnemental de nos produits… Peut-être est-ce le temps de la remise en question globale et de voir plus loin. Le bio n’est pas LA solution, mais il en fait très certainement partie. 

Le bio reste une balise utile pour les consommateurs qui veulent mieux manger et qui pensent à l’impact écologique de l’alimentation... 

Oui, car le label jouit d’une très forte notoriété auprès des consommateurs et globalement d’une bonne, voire d’une très bonne, image. Pour autant, il me semble nécessaire de le remettre à sa juste place et d’user d’une grande pédagogie vulgarisatrice à son sujet : il y a un fossé important, pour ne pas dire énorme, entre les exigences techniques et réglementaires qu’impose le label  “bio” et les promesses, presque l’utopie, qu’on lui prête. Le respect de la ressource en eau, la préservation des sols, de la biodiversité, la sobriété énergétique des exploitations agricoles, leur viabilité économique, les conditions de travail sont autant de sujets que le référentiel permettant d’obtenir le label bio n’exige pas à ses prétendants.

Il faut bien distinguer la philosophie du “bio” des réelles promesses découlant de ses exigences.

Dans la tête de beaucoup, et pas que de consommateurs, c’est binaire : bio/pas bio, et par là même bio = bon / pas bio = pas bon. C’est réducteur. Les producteurs ont un métier tellement plus complexe et riche que cette “simple” distinction. Que le bio soit une balise utile pour les consommateurs, bien sûr, mais de manière juste, raisonnée et raisonnable.  

Dans le contexte actuel de crises, comment faites-vous évoluer vos actions ? 

La démarche Demain la Terre dans la filière fruits et légumes est en perpétuelle évolution, indépendamment d’un contexte de crises. Nous mettons à jour les exigences du Référentiel permettant l’obtention du label Demain la Terre, selon les évolutions des contextes réglementaires, techniques, des connaissances scientifiques… Nos producteurs doivent toujours aller au-delà de la réglementation en vigueur en matière de durabilité de leurs activités dans ses trois dimensions (environnement, social/sociétal et économie). Cela les conduit à toujours regarder plus loin et réfléchir pour le futur. Ce n’est pas toujours évident, parfois certains paliers, voire certains plafonds, sont atteints, mais on finit toujours par trouver, grâce notamment à la vertu de l’intelligence collective et de l’échange entre producteurs. 

Le contexte actuel nous a cependant conduits à réfléchir collectivement à deux sujets importants. D’une part, le recours à l’énergie, indispensable quelle que soit la production (carburants, électricité, gaz…), doit davantage être rationnalisé, d’une part pour limiter les émissions de gaz à effet de serre avec le contexte climatique que l’on connaît, et d’autre part pour éviter une explosion des coûts de production, fortement malmenés actuellement. 

D’autre part, le recrutement de salariés et collaborateurs dans les entreprises, à tous les niveaux de travail et de responsabilité. Le marché du travail est particulièrement tendu et les métiers de l’agriculture ne sont pas attractifs, principalement par méconnaissance, car il n’y a pas que du travail dans les champs, loin de là. Nous tentons donc de trouver des solutions individuelles et collectives pour nos adhérents. Nous savons que tous les secteurs d’activité sont touchés, mais le secteur agricole et agroalimentaire l’est particulièrement alors qu’il est pourtant essentiel pour avoir de quoi manger dans nos assiettes. 

Quels conseils donneriez-vous aux consommateurs qui souhaiteraient mieux manger, préserver le futur, et avoir une démarche éthique ? 

Je dirais qu’il faut arriver à combiner besoins alimentaires, juste quantité, produits de qualité, le tout teinté de plaisir de manger. Car manger doit rester un plaisir, c’est un de nos avantages d’humains par rapport au reste du monde animal, ne l’oublions pas ! 

D’un point de vue basiquement scientifique, nous devons manger de tout en quantité raisonnable et adaptée, ce sont nos besoins naturels qui dictent ce que nous devons manger. 

Ensuite, la notion de qualité peut sembler subjective de prime abord, mais elle est pourtant de mieux en mieux objectivée grâce à des scores et des labels. J’aimerais insister sur la nécessité absolue de distinguer la démarche de fond de l’allégation marketing, surtout dans un contexte de jungle de labels, logos, allégations en tout genre... En effet, un "vrai" label repose sur un référentiel d’exigences dont le respect doit être contrôlé par un organisme indépendant. Et le message qu’il véhicule doit être conforme au contenu du référentiel et non "vendre du rêve". Le monde agricole et agroalimentaire a un énorme travail de tri à faire sur ce sujet pour que ce soit le plus clair possible pour le consommateur. Ce n’est pas au consommateur de devoir partir dans les tréfonds d’Internet pour distinguer le vrai du faux. Nous apportons une réponse à ce sujet avec le Collectif de la Troisième Voie que nous avons cofondé avec d’autres structures porteuses de labels aux valeurs similaires des nôtres (Bleu Blanc Cœur, Filière CRC, Vignerons Engagés, Mr Goodfish). 

Enfin, le plaisir de manger doit se concrétiser par la présence de repas plaisir au sein d’une alimentation quotidienne saine, variée et équilibrée. C’est encore une fois une question d’équilibre et de quantité. Je pense que cela passe par une préparation soi-même de ce que l’on mange plutôt que le recours aux plats préparés et aux aliments ultra-transformés qui ont une longue liste d’additifs en tout genre. 

Je terminerai par un point important : faire en sorte de ne pas gaspiller. Ne pas acheter en trop grande quantité et devoir jeter, ne pas cuisiner en trop grande quantité qui conduira au même résultat… Là aussi, cela doit s’appliquer à tous les maillons de la chaine (production, distribution, restauration, consommation…). 

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